Extrait du livre Chausson de lune
Chausson de lune d'Annabelle Fati & Violette Viette aux éditions Voce Verso.
C’est la nuit, mais Lubin ne dort pas. Une lune toute ronde s’est accrochée à sa fenêtre et brille comme trois réverbères, inondant sa chambre de lumière. Chiffonné de sommeil, Lubin grimpe sur un tabouret et ferme les volets. Mais à peine a-t-il posé la tête sur l’oreiller, qu’un rayon de lune se faufile pour le chatouiller. Lubin ouvre grand la fenêtre : – Lune, tu me mets le doigt dans l’œil. Peux-tu te tourner de l’autre côté ?
La Lune ne répond pas. – … S’il te plaît ? ajoute Lubin. Mais la Lune se contente de sourire dans le noir. De sa fenêtre, Lubin peut l’attraper entre les doigts d’une main pour la déplacer un peu plus loin. Peine perdue : la Lune ne bouge pas d’un pouce. Cette fois, Lubin perd patience. Il attrape son chausson et, dans un geste rageur, l’envoie, zou ! droit vers la Lune et son sourire moqueur. C’est alors que quelque chose d’incroyable se produit : la Lune vacille, se décroche et, pour finir, tombe au fond du jardin avec un petit bruit duveteux. « Voilà qui n’était pas prévu », songe Lubin.
À pas prudents, Lubin sort de la maison et s’aventure dans le jardin noir comme une gouttière. Où la Lune a-t-elle bien pu tomber ? Le pinceau de la lampe effleure le grand châtaignier. Dans un froufrou de branches, un écureuil déboule, les moustaches affolées. – À l’aide ! Vite ! Grimpe par ici ! couine l’animal avant de détaler, sans vérifier que Lubin comprend l’écureuil, ni rien.
Lubin n’a plus du tout sommeil. Est-il en train de rêver ? L’écorce du grand châtaignier est rugueuse sous ses pieds. Lubin se hisse et l’écureuil le guide jusqu’à son nid. La Lune est tombée dedans. Cinq petites boules de poils poussent des cris perçants. – Je n’arrive pas à la sortir de là, explique l’écureuil. Au toucher, la Lune est tiède et veloutée comme de la peau de lait. Lubin la cale dans la poche de son pyjama. Avant de redescendre, il aide l’écureuil à rendormir ses petits, un à un. Rien que pour eux, il chante son air de berceuse favori. « Dors, dors, mon tout petit. »