Extrait du livre Le fennec le plus menteur du monde et encore plus d'histoires...
Le fennec le plus menteur du monde et encore plus d'histoires... de Richard Petitsigne et Benoît Perroud aux éditions L'atelier du poisson soluble
Le fennec le plus menteur du monde ! Et encore plus d'histoires...
Le fennec le plus menteur du monde ! Et encore plus d'histoires...
LA SORCIÈRE LA PLUS COQUETTE DU MONDE ! Cette curieuse histoire se passe dans une forêt. Dans cette forêt, on trouve une clairière. Dans cette clairière se dresse une petite maison. Et dans cette maison vit une sorcière du nom de Raimunda. Raimunda est ce que l’on peut appeler un archétype de sorcière, la sorcière qui ressemble le plus à l’idée qu’on se fait d’une sorcière. Sous un chapeau noir et pointu, elle a de longs cheveux filasse qui ressemblent à un fagot de paille ayant trempé trop longtemps dans une bassine de boue. Ses yeux sont petits et son regard, perçant. Quand elle vous regarde, on a toujours l’impression qu’elle vous voit à l’intérieur ; c’est un peu désagréable…
Son nez… Ah, son nez ! Son nez est tordu et crochu. Oui, on peut avoir, à la fois, un nez tordu et crochu. Il est tordu au milieu et crochu au bout, ce qui fait penser immanquablement à un boomerang de Papouasie. Sur ce nez trône une pustule poilue, un poireau monstrueux qui pourrait être très utile à la fabrication d’un pot-au-feu. Descendons un peu et présentons la bouche, qui a ceci de particulier qu’elle n’a rien de particulier. Elle ressemble à toutes les bouches du monde… Ce qui n’est pas le cas des dents. En effet, les dents de Raimunda sont très pointues et peu nombreuses. Je ne les ai jamais comptées mais, à mon avis, il ne doit pas y en avoir plus de douze… peut-être treize. En tout cas, ce que je peux vous assurer, c’est qu’elles sont jaunes avec des reflets beige foncé, surtout après les repas.
Quand on cherche dans un dictionnaire, on découvre que son menton est prognathe, mot un peu compliqué. Quand on discute avec un marin en escale dans un quartier mal famé d’Amsterdam, on apprend que son menton est en galoche, mot un peu familier. Quand on la regarde, on voit juste que son menton est très long et très pointu. Ce qui crée une symétrie charmante avec son chapeau, sauf quand elle l’enlève… Son chapeau, pas son menton ! Son corps, ses jambes et ses bras sont normaux. C’est du moins ce que l’on imagine car elle porte toujours une grosse tunique en laine noire à manches longues qui lui recouvre les chevilles. Du coup, personne n’a jamais vu ce qu’il y a en dessous, et comme elle n’aime pas se baigner… Ses mains sont fines et noueuses et portent, au bout de chaque doigt, des ongles interminables et si solides qu’ils peuvent, paraît-il, décapsuler une bouteille de soda. Ses pieds sont larges et plats, engoncés dans des chaussures qui devaient être à la mode lors de la bataille de Marignan en 1515. La description de Raimunda étant terminée, je vais pouvoir maintenant vous raconter son histoire. Ah, j’oublie un détail important ! Raimunda est sans aucun doute la sorcière la plus coquette du monde ! Vous allez comprendre… Ce matin-là, Raimunda était d’excellente humeur. Elle était invitée au bal des vampires organisé par le célèbre Vladus, lui-même vampire bien connu pour avoir inventé la moutarde au sang de boulanger. S’étant levée très tôt, notre sorcière se tenait assise devant son miroir et se préparait pour cet événement. Elle brossait ses cheveux avec un ustensile assez original : un oursin accroché à une fourchette. Selon Raimunda, seules les aiguilles d’oursins étaient assez fines pour démêler sa tignasse. Ce premier travail effectué, elle attaqua le nez et la mise en valeur de son gros bouton. Elle l’aimait beaucoup, sa pustule, et ne manquait jamais de la couvrir de couleurs des plus chatoyantes. Ce soir-là, elle opta pour un camaïeu de violine et de rose. En guise de rouge à lèvres, une préparation de son cru à base de betterave fit l’affaire. Quelques traces de fard à paupières bleu ciel, du rimmel fabriqué avec de l’encre de seiche et un fond de teint censé atténuer la taille de son menton, elle était maintenant fin prête pour cette soirée qui s’annonçait inoubliable. En effet, Raimunda était secrètement amoureuse du fameux Vladus et elle envisageait sérieusement de lui ouvrir son cœur. Elle prit sa cape des grandes occasions, ferma la porte de sa maison et marcha d’un bon pas vers le château de Vladus. En chemin, elle croisa Pierrot, le gnome, qui était aussi laid qu’il était petit. Et il était très petit… – Raimunda, où vas-tu comme ça, si joliment maquillée ? lui cria Pierrot. – Je suis invitée au bal des vampires, répondit-elle en ne freinant pas sa course. La sorcière s’éloigna rapidement et n’entendit pas le gentil compliment sur sa beauté chuchoté par le gnome.
Arrivée au château, elle se mêla aux autres invités, vampires, squelettes, fantômes et loups-garous et, peu à peu, s’approcha du sémillant Vladus. Il était en grande discussion avec le comte Drukal, personnage éminent du pays et président de l’AVA (Amicale des vampires asthmatiques). – Quelle merveilleuse soirée, mon cher Vladus, dit le comte Drukal. Alors, toujours célibataire ? Permettez-moi de vous présenter ma cousine Irma, qui se sent très seule, elle aussi. – Elle est ravissante, admit Vladus. Dommage qu’elle soit défigurée par ce gros bouton sur le nez ! Finalement, la conversation tourna court, le comte partit furieux en tirant par le bras la pauvre Irma qui pleurait à chaudes larmes. Raimunda n’avait pas perdu un mot de cet échange et prit la décision qui s’imposait : retour à la maison pour faire disparaître le sien, de bouton. Sans cela, elle n’avait aucune chance de plaire à l’élégant Vladus. À grandes enjambées, elle retourna chez elle et saisit, sur une étagère poussiéreuse, son fidèle grimoire : Petits arrangements avec votre physique. Elle chercha fébrilement la page qui donnait la solution pour éradiquer les poireaux et autres boutons. Elle ne fut pas surprise d’apprendre que l’ingrédient principal pour une telle potion était un désherbant bio. La préparation achevée, elle la versa sur sa pustule, qui fut comme grignotée, ne laissant qu’un petit cratère presque invisible et une odeur de boudin blanc grillé. Satisfaite de son nouveau visage, Raimunda reprit le chemin du château et ne tarda pas à se retrouver non loin de son cher Vladus. Il était, cette fois-ci, fort occupé à expliquer à un squelette que seules les femmes avec des cheveux lisses et soyeux trouvaient grâce à ses yeux. Devant la mine déconfite du squelette, la sorcière pensa qu’il devait s’agir d’un squelette de femme. Cela dit, on a toujours du mal à les reconnaître, ils se ressemblent tous, les squelettes, comme les melons ou les écureuils. Cela prouvait que le charme de Vladus opérait dans toutes les couches de la population de ce pays. Cependant, ça n’arrangeait pas les affaires de notre sorcière, la touffe de poils hirsutes et boueux trônant sur sa tête ne correspondant pas aux canons de beauté de l’homme qu’elle aimait. Donc, retour à la maison et opération sauvetage capillaire… Raimunda consulta une nouvelle fois son précieux grimoire et trouva la solution à son problème à la page 122 : Vos cheveux ont la douceur du granit et la forme de l’explosion d’une fusée de feu d’artifice ? Préparez une émulsion de graisse de mouton tiède et de salive d’un casoar âgé de trois ans. Laissez reposer dix minutes puis versez sur votre tête. Un coup de peigne et le tour est joué ! Notre amie suivit à la lettre cette surprenante recette et admira bientôt sa belle chevelure lisse et soyeuse, exigée par l’homme de sa vie. Pleine d’espoir, elle reprit illico la route du bal des vampires et se posta, encore une fois, tout à côté de Vladus, attendant l’occasion de lui dévoiler ses sentiments. Le vampire dialoguait avec Lupus, le chef de meute des loups-garous,
créature repoussante couverte d’un mélange dégoûtant de poils et de bave. – Alors, mon bon Vladus, parlez-moi donc de votre idéal féminin ! lança Lupus. – Cher ami, selon moi, une femme doit être fine, avec de longs cheveux soyeux et blonds ! De belles proportions, un nez menu, une jolie bouche et une dentition parfaite, un menton petit et des ongles parfaitement manucurés ! – Tout sauf une sorcière, alors ? – Vous avez raison ! Tout sauf une sorcière… À ces mots, le cœur de notre pauvre Raimunda saigna et une profonde tristesse l’envahit. Regardant son vampire s’éloigner en riant, elle comprit que c’en était fini de ses rêves de mariage avec le beau Vladus. Elle était une sorcière, rien qu’une sorcière avec un physique de sorcière et, malgré tous les artifices qu’elle pourrait utiliser, cela ne changerait rien aux yeux de certains. À cet instant, elle prit la ferme décision de ne plus jamais être la sorcière la plus coquette du monde… D’un pas lent et mécanique, Raimunda rentrait chez elle, le cœur encore lourd de cette histoire d’amour avortée, quand elle tomba face à face avec Pierrot, le gnome petit et laid. – Raimunda, quelle triste figure ! Que t’arrive-t-il ? demanda le petit bonhomme. – Rien de grave, Pierrot, j’ai juste voulu être quelqu’un d’autre et j’ai échoué. – Je te crois ! Ta nouvelle coupe de cheveux est ratée et ta pustule me manque ! – Que dis-tu, gnome ? – Que tes efforts pour cacher la sorcière qui est en toi n’ont fait que t’enlaidir. Tu as fait tout ça pour rien. Moi, je t’aime comme tu es, hideuse et toute de noir vêtue. Un drôle de sentiment parcourut l’échine de notre sorcière, un sentiment inconnu jusqu’alors, que les mots de Pierrot avaient allumé comme un feu de forêt : la colère ! – Qui es-tu pour me parler sur ce ton, demi-portion ? hurla-t-elle. Elle attrapa le gnome par le fond du pantalon et l’emporta aussitôt dans sa maison. Le pauvre petit bonhomme avait beau se débattre, la colère de Raimunda était si terrible que rien ne pouvait l’arrêter. Dans sa cuisine, elle prépara un rôti de gnome accompagné d’une fricadelle de petits légumes de saison et, en dessert, un tiramisu aux yeux de Pierrot. Elle fit, cette nuit-là, le plus beau repas de sa vie. Depuis ce jour, Raimunda a jeté à la poubelle tous ses produits de beauté et de maquillage, et ses cheveux ont retrouvé leur laideur d’antan. Seule sa pustule n’a pas encore repoussé… Mais, cela ne l’empêche pas de s’autoproclamer : LA SORCIÈRE LA PLUS CRUELLE DU MONDE ! Vladus peut trembler dans ses mocassins…
LE FANTÔME LE PLUS PEUREUX DU MONDE ! 1 – La réunion – Je déclare ouverte la 2 307e réunion annuelle des fantômes de notre chère Écosse ! Des applaudissements nourris saluèrent l’annonce du président de l’assemblée, le vénérable Douglas McFaden, très ancien fantôme du château du même nom, situé au bord d’un loch non loin d’Inverness. Des dizaines d’autres fantômes étaient assis autour d’une grande table ovale en bois précieux. Il y en avait des vieux, des jeunes (sachant que les jeunes fantômes sont déjà vieux), des grands, des petits, des gros, des maigres… Certains avaient le drap d’un blanc immaculé, d’autres d’un blanc douteux comme s’ils avaient pris un bain avec des chaussettes noires. Angus McAdam, d’un manoir des Highlands, avait le drap troué de partout, tenue négligée signe d’une déprime passagère.
Le tissu de Jack McDonald était maculé de taches de friture et de ketchup, quand celui de Seamus McIntosh sentait bizarrement la pomme ! Billy McAuley, avare au pays des avares, portait un drap rapiécé, couvert de rustines de tissus multicolores. Tous étaient là pour avoir des nouvelles de leur congrégation ainsi que pour discuter des problèmes actuels et des projets à venir. Le président ne tarda pas à donner la parole au trésorier du groupe, fantôme réputé de la Banque d’Écosse, le très réfléchi Malcolm McGrath : – Chers confrères, le rapport financier de l’année est très positif. Nos comptes sont dans le vert et nous venons de signer un accord avec la lessive « Fantomex » qui nous assure la propreté de nos draps pour les quatre prochaines années ! Des murmures de contentement parcoururent l’assemblée. Pendant plus de quatre heures, les bilans s’enchaînèrent, les bonnes nouvelles tombèrent les unes après les autres et les sourires irradièrent les visages des fantômes. Même la tentative du très conservateur Jimmy McMoody, fantôme sénile du plus vieux château d’Edimbourg, exigeant le retour immédiat du boulet de métal fixé au drap, ne suscita que rires, quolibets et moqueries. Les participants étaient tous d’excellente humeur et rien ne pourrait gâcher le plaisir de ces retrouvailles. Jusqu’au petit grain de sable… La réunion touchait à sa fin quand une voix nasillarde s’éleva et plongea les fantômes dans le doute : – Tout ça est bien joli, mes cocos. Je suis ravi d’apprendre que nous sommes pleins aux as et que nos frusques vont rester blanches comme des fesses de laitier. Mais, je vais me permettre de casser l’ambiance ! Cette voix était celle de Peter McDermott, fantôme des vieilles halles de Glasgow. Il fréquentait un faubourg très populaire et parlait un langage de charretier malpoli. – Eh oui, les potes ! J’ai l’impression que vous n’avez pas entendu jacter du dénommé Darren McDuff, d’un bled paumé près d’Aberdeen. – En effet, répondit calmement l’ancêtre McFaden, mais vous allez éclairer notre lanterne, mon cher Peter. – Pour sûr, Doug ! C’est simple, ce McDuff vient d’arriver dans le métier et le zig a un gros défaut : il a peur ! Il a les chocottes pour un rien, c’est dangereux ! – Peux-tu développer un peu tes propos ? demanda McDonald en retirant une feuille de salade qui trônait sur son épaule. – Je l’ai vu de mes yeux. Ce fantôme d’opérette a peur du noir ! – C’est embêtant, approuvèrent tous les autres. – En plus, insista Peter, il a le vertige ! – Très embêtant… – Et le pire, c’est qu’il a la frousse des coccinelles ! – Des coccinelles ? Ce dernier argument résonna longtemps dans la grande salle. L’heure était grave, la