Extrait du livre Le goût inventé des cerises
Le goût inventé des cerises de Marie-France Zerolo et Bérengère Mariller-Gobber aux éditions Voce Verso
Le goût inventé des cerises
Ce jour-là, j’avais pris le commandement du chantier car ma cousine Jeanne, qui n’avait que six ans, ne connaissait rien au travail d’extraction de trésors. Je la guidais donc. Mon intuition m’avait fait décider de l’emplacement des recherches : ce serait tout près du cerisier de Mémé, à côté du tas de bois mal rangé sur les palettes.
C’était pratique : à l’ombre et en plein dans le passage. J’apprendrai plus tard dans la journée que ça en faisait précisément un très mauvais emplacement du point de vue des adultes. Je dormais quelques jours chez Mémé parce que Maman et Papa étaient partis en vacances. Il fallait bien que je m’occupe. Je ne pouvais pas compter sur Mémé, qui était trop concentrée dans sa cuisine à faire les meilleurs-gâteaux-du-monde, le nez collé à la télé devant des films d’amour. Moi, j’étais chargée de creuser et Jeanne de repousser la terre en tas. Quand j’étais fatiguée, je l’autorisais à creuser avec mes outils. C’était moins bien fait, mais bon. – Léa ? m’interpella-t-elle. – Oui, quoi ? – Pourquoi on creuse, déjà ? – Et toi, pourquoi tu me poses toujours la même question depuis ce matin ? – Non mais, j’ai compris, c’est pour trouver un trésor. Mais c’est quoi, le trésor ? – Mais je sais pas justement ! C’est bien pour ça qu’on cherche.
J’ai bien vu à son regard qu’elle ne saisissait pas bien. – Tu me fais confiance, oui ou non ? lui demandai-je en interrompant la course de ses pensées. – Oui ! – Bon, ben, creuse alors ! – Léa ? – Ouiii, quoi encore ? (Ce que ça peut être énervant, les petits.) – Tu crois qu’on va trouver des sous ? – Oui, peut-être. – Ou bien un coffre rempli de robes ? – Oui, sûrement. – Ou alors des tablettes et des téléphones ! – Ah oui, ce serait bien ça. – Ou alors, on trouverait… des outils pour creuser encore plus loin. – Trop bonne idée ! Tu sais que tu deviens douée ! lui dis-je en la regardant droit dans les yeux. Je la sentais très fière. Ensuite, on a creusé longtemps et beaucoup mieux, sans se parler. Au bout d’un moment, on a fini par trouver un os minuscule, pas plus gros que mon pouce, en forme de mâchoire. Assises au bord du trou qu’on avait creusé, on contemplait notre trouvaille. C’était peut-être hyper rare et précieux, comme un os de dinosaure ?
Quand on est allées voir Mémé avec notre trésor, elle n’a pas été enchantée du tout. On était sales, pleines de terre jusque dans les cheveux, égratignées sur les jambes et les bras. Elle a beaucoup crié. Surtout après moi : c’était ma faute si j’avais laissé Jeanne se salir ! C’était moi la grande ! Qu’est-ce qui m’était passé par la tête ? C’était stupide de creuser un trou !