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Les rebelles d'Héliandras

Les rebelles d'Héliandras

9-12 ans - 53 pages, 10642 mots | 1 heure 18 minutes de lecture | © Beurre salé, 2022, pour la 1ère édition - tous droits réservés


Les rebelles d'Héliandras

9-12 ans - 1 heure 18 minutes

Les rebelles d'Héliandras

La princesse Mélissandre a sa vie en horreur ! Pour tromper sa solitude et son ennui, elle multiplie les caprices. Un jour, Clotilde, achetée pour faire le ménage, entre dans sa vie. Tout va changer pour les deux amies décidées à se battre contre le destin qui leur est imposé.

Humour, émotion, suspense...

"Les rebelles d'Héliandras" vous est proposé à la lecture version illustrée, ou à écouter en version audio racontée par des conteurs et conteuses. En bonus, grâce à notre module de lecture, nous vous proposons pour cette histoire comme pour l’ensemble des contes et histoires une aide à la lecture ainsi que des outils pour une version adaptée aux enfants dyslexiques.
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Extrait du livre Les rebelles d'Héliandras

Les rebelles d'Héliandras de Patrice Quélard et Magali Ben aux éditions Beurre Salé


Les rebelles d'Héliandras
Sur le continent d’Héliandras, à l’Est des Montagnes sans Fin, il y avait trois royaumes. Aussi loin que remontait la mémoire des hommes, ces royaumes n’avaient jamais connu la paix. Non seulement les citoyens du royaume de Verdurie, du royaume de Griseroche et de celui d’Eaubleue – c’est ainsi qu’ils s’appelaient – avaient oublié ce qu’était la paix, mais ils ne se souvenaient plus pourquoi ils étaient en guerre. Le royaume de Verdurie, gouverné par le roi Childebert, possédait d’immenses champs de céréales et des vergers où les fruits poussaient en abondance. Dans ses prés vert émeraude, des chevaux fringants cavalaient en toute liberté. Le royaume de Griseroche, dirigé par le roi Enguerrand, avait des mines de fer, d’argent et d’or,
de hauts pâturages où gambadaient des troupeaux de moutons, et des vignes étagées d’où l’on tirait un excellent breuvage. Le royaume d’Eaubleue, où régnait le roi Baudouin, disposait de plages de sable fin, de sécheries de poissons, de marais salants, de ports florissants d’où partaient des galions vers d’autres continents dont ils revenaient chargés de marchandises rares, telles que les saphirs d’Hydras dont les femmes se faisaient de magnifiques diadèmes et boucles de nez, ou les adorables écureuils girafes de Géodras, à la mode comme animaux de compagnie.
1 Notre histoire commence en la 773e année de la guerre sans fin. Certains érudits avancent qu’il s’agirait de la 788e année, mais laissons là ces querelles d’experts, car une chose incroyable et inédite est sur le point de se passer : le roi de Verdurie et le roi d’Eaubleue s’apprêtent à signer une trêve ! Voilà qui pourrait réchauffer le cœur de ceux qui osent encore espérer la paix, à la condition qu’ils en ignorent la véritable raison. Car le vrai motif de cette alliance, le voici : — Écraser les vermines de Griseroche ! rugit Childebert de Verdurie. — En finir une bonne fois pour toutes avec ces montagnards crasseux ! renchérit Baudouin d’Eaubleue. Sauf qu’une trêve, cela ne se signe pas facilement entre deux royaumes en guerre depuis plus de 700 ans. Alors, pour sceller leur alliance, les deux rois concluent
un pacte : la princesse Mélissandre de Verdurie, onze ans, se mariera cet été avec le prince Théobald d’Eaubleue, treize ans. Pour les futurs alliés, le plan est ingénieux, mais il a le tort d’oublier un détail : le mauvais caractère de Mélissandre ! Elle a la réputation d’être la pire peste du royaume. Et quand on dit « peste », précisons que lorsqu’ils parlent d’elle, les serviteurs du château de Fort-Vert disent des choses moins polies. En ce printemps précédant le mariage, les deux rois organisent une rencontre entre les futurs époux afin qu’ils puissent faire connaissance. Ainsi, Théobald vient rendre visite à Mélissandre au château de Fort-Vert. Selon les témoins, le rendezvous dure environ une minute. Soucieux de ne pas froisser ses invités d’Eaubleue, le Roi Childebert se contentera d’expliquer : « la rencontre aurait pu mieux se passer, mais il faut laisser à la princesse le temps de se rendre compte de sa chance et de son bonheur. » Guillemette, la nourrice de Mélissandre, seule
personne qui peut discuter avec la Princesse en colère sans recevoir dans la figure un chandelier ou un pot de chambre – hélas pas toujours vide –, tente de la raisonner après le départ en catastrophe du prince Théobald : — Mais enfin ma princesse, vous l’avez intimidé ! Vous auriez dû lui laisser le temps de vous parler ! — Du temps, il en a eu ! Et qu’est-ce qui lui est sorti de la bouche, hein ? À part des « euh… », des « eh ben… » et des « en fait, euh… » ? Rien ! Il est stupide ! — Reconnaissez au moins qu’il est beau garçon avec ses boucles blondes et ses yeux bleus ! — Pourquoi il a les yeux si bleus ? Tu ne t’es pas posé la question ? Je vais te le dire, moi : parce qu’il a de l’eau de mer dans la tête, voilà ! Cette histoire de mariage, c’en est trop pour Mélissandre, qui a déjà sa vie en horreur. Toutes les petites filles du royaume aimeraient être à sa place, mais elle rêve d’être ailleurs. Elle en a assez des gardes du corps qui la suivent partout, jour et nuit. Et puisque Childebert leur a dit d’obéir à tous ses ordres – sauf à celui de ne plus la suivre, hélas – elle passe son temps à les torturer : elle leur demande de marcher à quatre pattes ou sur les mains, de faire le poirier, de s’embrasser sur la bouche, ou d’imiter le braiment de l’âne. Elle n’en peut plus également de Mortimer, son précepteur, un grand maigrelet toujours habillé de noir comme un corbeau. Même sa voix nasillarde ressemble à un croassement. Elle en a assez des cours pompeux et des savoirs inutiles de ce professeur aussi aimable qu’une trappe d’oubliette, aussi charismatique qu’un rat d’égout, aussi drôle qu’un vol de chauve-souris. Mélissandre n’a rien contre l’idée d’apprendre. Au contraire, elle brûle de s’instruire… Mais pas comme ça ! Pas avec pour seule vue une tapisserie immonde ! Pas sur ce bureau qu’elle rend par les yeux, avec dans les oreilles la voix grinçante de ce croque-mort et dans le nez l’odeur de moisi qu’il transporte avec lui ! La phrase que Mélissandre prononce le plus souvent tient en deux mots : « Je m’ennuie ! »
2 Lors de ce même printemps qui ouvre une nouvelle ère à l’Est du continent d’Héliandras, une petite servante, âgée de onze ans elle aussi, arrive au château royal de Fort-Vert. Elle s’appelle Clotilde et son histoire est à faire pleurer tous les bouffons du roi, qui n’ont pourtant pas la réputation d’être tristes ! Originaire de Grisemine, un village du royaume de Griseroche, elle vient d’une famille si pauvre qu’elle a été vendue comme domestique à de riches propriétaires. Mais l’armée de Verdurie l’a capturée et ramenée à Fort-Vert dans une cage roulante tirée par des chevaux. Désormais, elle travaille à longueur de journée au palais, vêtue de haillons, un f ichu sur la tête, le visage
barbouillé de crasse, ne pensant qu’à retrouver sa mère qui l’a pourtant vendue. Ce jour-là, trempant sa brosse dans un seau d’eau savonneuse, Clotilde s’évertue à frotter les taches sur le plancher d’un couloir quand Mélissandre apparaît, suivie par un garde du corps. C’est le chevalier Fulbert qui est de « corvée de princesse. » Les soldats de Verdurie préfèrent de loin des missions plus dangereuses que de supporter sans rien dire les humiliations de cette peste. Fulbert n’a pas de chance, la princesse est d’une humeur massacrante. Le voilà qui tente désespérément de marcher sur les mains pour obéir à ses injonctions. Ce n’est pas facile quand on porte une lourde armure d’acier. Impossible de parcourir plus d’un mètre avant de s’écraser au sol avec fracas ! Un spectacle aussi insolite attire l’attention de Clotilde, qui cesse un instant de frotter pour regarder la scène. Mélissandre lui lance, furieuse : — Qu’est-ce que tu as à me regarder, toi, la souillon ? Tu veux mon portrait ? Comme Clotilde ne baisse pas les yeux, Mélissandre donne un grand coup de pied dans son seau d’eau qui tombe à la renverse : — Tu as vu ce que tu as fait, maladroite ? Nettoie tes bêtises, maintenant ! Clotilde continue à la fixer, sans rien dire, les sourcils froncés. — Ramasse tes saletés, souillon ! répète Mélissandre en hurlant. Clotilde ne bouge pas et secoue négativement la tête, déterminée. — Tu oses me désobéir, à moi, la princesse ? s’époumone Mélissandre, hors d’elle. Clotilde se relève et, bien campée sur ses jambes, fait face à la furie. Elle la regarde droit dans les yeux, bras croisés. Trop content de pouvoir se remettre debout et que sa maîtresse ait choisi un autre souffre-douleur, Fulbert s’empresse de tirer son épée du fourreau : — Obéis à ta princesse, souillon, ou je te coupe la tête ! — De quoi tu te mêles, andouille ? lui dit Mélissandre.
Mets-toi plutôt à quatre pattes ! Consterné, Fulbert range son épée et s’exécute. — Tu ferais mieux d’en prendre de la graine, imbécile ! Elle n’est pas chevalier, mais au moins elle a du caractère ! Allez, fais le mouton, c’est tout ce que tu vaux ! — Bêêê ! fait timidement Fulbert. — Plus fort ! je veux qu’on t’entende à l’autre bout du couloir ! lui ordonne Mélissandre. — Bêêêêêêêêêê ! Clotilde reste là, étonnée de s’en sortir à si bon compte. Elle se remet à frotter, tout en pensant avec perplexité à l’étrange personnage qu’est cette princesse de Verdurie.