Extrait du livre Peter au le royaume d'En Dessous
Peter au le royaume d'En Dessous de Julie Ricossé aux éditions L'atelier du poisson soluble
Peter au le royaume d'En Dessous
Ce matin-là, comme tous les autres matins, Peter contemplait la ville en effervescence de la fenêtre de sa chambre. Basil, l’énorme chat roux de la maisonnée, ronronnait paresseusement sur ses genoux. La maman de Peter entra dans la chambre et vint l’embrasser sur le front : « Mon chéri, il faut que j’aille travailler pour M. Crook. Sois sage et surtout ne sors pas ! »
Il entendit un dernier froissement de jupe, puis le claquement de la porte d’entrée. Enfin, le nez collé à la vitre, il la vit disparaître dans la foule compacte des ouvriers qui se déversait sur les pavés. M. Crook possédait toutes les usines de la ville. Autant dire qu’il possédait la ville ! Car ici, tout le monde travaillait pour M. Crook. Et les usines crachaient dans le ciel triste les flots d’une fumée si acre, si noire, si lugubre, que personne ici n’avait jamais vu le soleil, et que le docteur avait formellement interdit à Peter de sortir de la maison, et cela pour toujours. Car le petit garçon était si petit, si chétif pour son age, qu’on craignait qu’une seule bouffée d’air pollué ne lui coûtât la vie. Mais ce jour-là, sans savoir précisément pourquoi, Peter en eut assez. Assez d’être sage, assez d’être malade, assez de rester dans sa grande maison froide avec pour seule compagnie un chat feignant. Il descendit l’escalier et traversa le hall d’entrée à pas feutrés. Curieusement, Basil avait compris l’imminence de la catastrophe et tentait, de toutes ses forces de chat trop nourri, d’empêcher son maître de commettre l’irréparable. Il s’accrochait au pyjama de Peter avec l’énergie du désespoir. Peter ouvrit la porte. Il n’avait pas froid du tout. Il sortit.
À peine avait-il mis le pied dehors, qu’il se noyait dans le flot des travailleurs. Il fut bien vite emporté, tel une pauvre brindille dans une immense fourmilière, transporté, bousculé, broyé par cette foule dont les yeux fatigués ne le voyaient pas.
Quelqu’un le projeta au sol par inadvertance. Il crut qu’il allait finir aplati comme une galette sous les pieds des gens. C’est à ce moment précis qu’il aperçut la bouche d’égout qui s’ouvrait devant lui. L’espace d’une seconde, il entrevit le reflet de son petit visage effrayé, le ciel brumeux… et finalement l’eau sombre, si calme, si tranquille. Il sut qu’il n’avait plus qu’une chose à faire pour échapper à son sort. Il repoussa un peu plus le couvercle et se laissa tomber dans le noir.
Peter ouvrit les yeux. Puis il se pinça la joue gauche, histoire de vérifier qu’il ne rêvait pas. Un petit garçon qui lui ressemblait comme deux gouttes d’eau le dévisageait : « Mais tu es mon reflet ! »
Peter bondit, indigné : « Pas du tout, c’est toi mon reflet ! » L’autre petit garçon en pyjama rouge eut un reniflement dédaigneux : « Comment veux-tu que je te croie ? Tu sors d’une flaque d’eau ! Tu ne t’appellerais pas Jack toi aussi, par hasard ? – Jamais de la vie ! Moi, c’est Peter. – Ah... Alors tu n’es pas mon reflet. J’avais cru... » Ils se regardèrent avec un mélange de curiosité et de défiance. « Où sommes-nous ? » demanda Peter. L’autre sourit, comme s’il participait à une bonne plaisanterie : « Au royaume d’En Dessous. » Peter leva la tête, au cas où le ciel chargé de nuages aurait pu lui fournir la moindre explication. « Je suis tombé de vraiment très haut... » Il craignait que son interlocuteur ne le prenne pour un fou. Bizarrement, il avait capté toute son attention. « Quoi ! Tu viens du royaume d’En Haut ? C’est pas vrai ! Ça fait un temps fou qu’on essaie de vous joindre. Viens avec moi, il faut aller voir le roi. – Le roi ? Mais... – Ne discute pas voyons, suis-moi ! » Ils marchèrent longtemps pour atteindre la ville qui dominait le paysage. Sur le chemin, Jack racontait sa vie à Peter qui se réjouissait de pouvoir entendre des choses aussi merveilleuses. « Tu connais les patlavas ? Et les snogurks ? Surtout, ne regarde jamais un snogurk dans les yeux. Tu le mettrais dans une colère noire ! – Un snogurk ! Qu’est-ce que c’est ? » Jack désigna un petit monticule de terre situé à courte distance. « C’est une tres grosse bestiole avec une carapace et des pattes méchamment grandes. » Peter regarda la butte, cherchant en vain un animal. « Mais comme je disais, il vaut mieux ne pas le réveiller ! » Peter n’eut pas le temps de s’interroger plus longtemps sur les snogurks.
Ils entraient dans la ville la plus incroyable qui puisse exister. Des créatures de tout poil se retournaient sur leur passage. Un cortège improvisé se forma bientôt derrière eux, tandis qu’ils s’enfonçaient dans les entrailles de la cité.
Ils arrivèrent au pied d’une haute falaise qui surplombait des maisons biscornues. Une grande faille s’ouvrait dans la roche lisse. Étonné, Peter regarda le roi surgir lentement des profondeurs. Ses compagnons se prosternaient. Il se dépêcha de les imiter. Le souverain s’adressa a lui d’une voix grave : « Je te souhaite la bienvenue Peter, messager du royaume d’En Haut. As-tu fait bon voyage ? » Peter bafouilla : « Oh oui, Majesté. » Comment le roi pouvait-il connaître son nom ? Celui-ci lui sourit : « Ne crains rien, jeune homme. Je suis plus vieux que tu ne pourrais l’imaginer et je connais tout de mon royaume. » Il soupira. « Cependant, mon pouvoir a ses limites, et aujourd’hui mon peuple court un péril dont je ne peux le sauver. C’est pourquoi il était si urgent de te rencontrer, Peter. – Moi ? Mais... je ne suis qu’un petit garçon ! » Ses joues s’empourprèrent tandis qu’il ajoutait : « A vrai dire… je suis arrivé dans votre monde par le plus grand des hasards. » Le roi eut un sourire énigmatique : « Le hasard... ou la chance ? » Peter paniquait. « Je ne comprends pas… Pourquoi suis-je ici ? Que va penser ma maman quand elle aura remarqué ma disparition ? Comment vais-je rentrer chez moi ! » Ses lèvres tremblaient d’émotion. « Je ne vois vraiment pas en quoi j’ai de la chance ! » Une main amicale se posa sur son épaule. Jack se tenait à ses cotés, le regardant avec sollicitude. « Ne te bile pas, Peter ! Si tu es parvenu jusqu’ici, ça ne doit pas être si compliqué de retrouver le chemin de ta maison. Je t’aiderai. » Peter tenta de se calmer. Levant la tête, il croisa le regard pétillant du roi.