Extrait du livre Robert la pompière
Robert la pompière Louise Chaput Annie Carbonneau-Leclerc
Mes parents s’attendaient à un garçon. — Notre fille s’appellera Robert ! a dit maman lorsqu’elle m’a sortie de l’eau. Oui, je suis née sous l’eau, dans une piscine
gonflable installée dans la chambre de mes parents. Mon existence s’annonçait excitante. Après une minute de vie, je portais un nom pas super pour une fille et j’avais effectué ma première plongée, au grand plaisir de mes parents, amateurs de plongée sous-marine. Puis tout s’est mis à déraper. Ma mère mourait quelques minutes plus tard. « Complications cardiaques », a-t-on dit. Un feu sournois brûlait depuis longtemps à l’intérieur d’elle. C’est peut-être pour ça que je suis pompière de naissance. J’ai dix ans. Mon père est pompier comme moi. Il connaît bien les feux, tous les feux, sauf celui-là,
qu’il n’a pas pu combattre. Alors, c’est moi qui le protège contre le feu de la vie. Robie est le nom que mes amis m’ont choisi. Papa m’appelle toujours Robert. Pour ses coéquipiers à la caserne, c’est Rob. La caserne, c’est ma maison depuis toujours. Quand ma mère est morte, les amis de papa lui ont dit : — Jean-François, on va t’installer confortablement à la caserne. Tu peux y rester le temps qu’il faudra. Nous ne l’avons pas quittée. Mon père n’a jamais eu de problèmes avec mon biberon la nuit. Ses amis répondaient joyeusement à l’appel
lorsque je sonnais l’alarme de la faim. À la maternelle, les garçons voulaient toujours jouer avec moi, et ce n’était pas parce que je m’appelle Robert. Ils me suppliaient que je les invite après l’école. Chez moi, il y a des jouets grandeur nature. C’est quand même cool d’aller faire l’épicerie avec le camion d’incendie. Dans les allées du supermarché, les vieilles dames proposent des produits ou des recettes à mon père, comme s’il ne connaissait rien à la cuisine, mais les pompiers savent aussi faire des gâteaux au chocolat. Tout le monde est gentil avec nous, surtout celles qui font les yeux doux à mon père et qui lui
tournent autour comme des mouches. Avec celles-là, je me méfie. Il est tellement beau en uniforme, mon père. Je le vois bien à la façon dont elles le dévisagent. Moi, ce que je vois surtout, c’est un papa qui a le sourire le plus radieux du monde et des yeux bleus qui me disent plein de secrets. Mon père est si fort qu’il me soulève dans les airs juste avec un bras. Et, quand je fais tourner sur son poignet son bracelet avec la perle noire, il sait que quelque chose me tracasse. Alors, il me raconte encore et encore comment maman et lui ont trouvé cette perle dans le fond de l’océan. Mon père, c’est mon héros. Il sauve des vies, il aide les gens
Tout le temps. Il ne s’énerve pas comme moi. Il fait tout calmement, même le ménage. J’aime bien l’accompagner dans sa tournée des écoles avec lui quand je suis en congé, et voir la tête des élèves quand il leur dit qu’un exercice d’incendie, ce n’est pas une récré. Driiiiiiiing! LA FUMÉE ME SORT PAR LES OREILLES
D’un bond, je suis debout sur mon lit. L’alarme s’est déclenchée. Quelqu’un quelque part, dans mon quartier, a besoin de mon père. De ma fenêtre, juste au-dessus du garage, je vois la lumière qui est encore au vert. Tout se met à trembler lorsque les immenses portes s’ouvrent. Rouge. Les passants se sont arrêtés pour laisser passer le cortège des soldats du feu. Pour la première fois, mon père oublie notre petit signe habituel. On fait : « GRRRRR! », puis on montre les dents. On est des tigres, à la caserne 28,
comme le montre fièrement notre écusson. Décidément, il y a quelque chose qui tracasse mon petit papa. Et j’ai bien l’intention de savoir QUI c’est! Zioup! Je glisse au rez-de-chaussée et rejoins Tante Coucou. Dès qu’une alerte se déclenche, le signal retentit chez elle et je la vois qui traverse le parc à petits pas pour venir s’occuper de moi. Depuis toujours, elle entre en disant: — Coucou! C’est moi! Puis elle m’entoure de ses bras. — Si on leur préparait un bon dîner? Il paraît que c’est une grosse alerte! Ils vont être affamés en rentrant.
Comme toujours, j’aide Tante Coucou à monter son sac de gâteries au deuxième et, comme toujours, elle se plaint : — C’est pas possible, un escalier si long pour aller à la cuisine ! Mes pauvres jambes ! — Papa est bizarre ces temps-ci… Tu sais pourquoi je me fais garder plus souvent ? Et je ne parle pas du travail… — Ton père a bien le droit de faire des cachotteries, non ? Tant mieux, s’il est sur un nuage. Depuis le temps… — Un nuage ? Un nuage toxique, tu veux dire, qui pue le parfum et qui a des cheveux !