Extrait du livre Eloïse ou les détours de l'amour
Eloise ou les détours de l'amour de Grégoire Kocjan et Léo Méar aux éditions L'atelier du poisson soluble
Les méchantes reines étaient-elles de gentilles princesses ? Volume 1
ÉLOÏSE ou Les détours de l'amour Alors le prince emmena sa promise sur son cheval blanc jusqu'à la cascade aux reflets de diamant. Arrivé à la clairière, il la déposa sur un parterre de mousse et de fleurs puis mit un genou à terre en lui présentant un anneau façonné dans l'or le plus pur. Le silence se fit tout autour d'eux. Biches, lapins et écureuils qui venaient s'abreuver dans l'eau claire du ruisseau retenaient leur souffle en attendant la réponse de la ravissante jeune fille. Elle accepta d'un regard, sans dire un mot, et le beau prince posa un baiser sur sa bouche offerte. Ils eurent beaucoup d'enfants élevés dans le bonheur et la paix. Et tous les soirs, le soleil se couchait, brûlant délicatement ses derniers feux pour éclairer cet amour qui rimait avec toujours.
Une fois la lecture achevée, le roi referma son livre avec force. - Voilà comment ça doit se passer bande de nazes, dit-il. Les princes, venus de tous horizons, écoutaient tête baissée les paroles du bon roi, par respect mais aussi un peu par honte. - Si je vous ai fait venir, c'est pour vous expliquer comment ça marche, vu qu'aucun de vous n'est foutu de séduire ma fille et d'en faire une reine ! L'agitation gagna les rangs. Les princes se retournaient sur les bancs pour se parler à l'oreille. - Bon, écoutez-moi. Je me fais vieux, j'ai tous les atouts pour être grand-père. J'ai la barbe fleurie, comme l'autre abruti de Charlemagne, j'ai une bonne brioche sur laquelle peuvent rebondir les marmots, j'ai des tas d'histoires à raconter et un héritage à léguer. Il ne me manque que des petits-enfants qui courent partout autour de mon trône, me tirent les poils du nez pendant ma sieste, ou planquent mes chaussons sous les tapis. Alors vous allez redoubler d'efforts pour charmer la princesse, pigé ? Ce n'est pas si compliqué... Elle est quand même sympathique, franchement pas moche et plus riche que vous tous réunis. - C'est qu'elle est un peu difficile mon bon roi, osa le prince du Nord à demi caché derrière un pilier. - Comment ça, difficile ? - Elle n'aime rien de ce que l'on propose. - Mais enfin, c'est de la princesse, les gars ! C'est nourri au foie gras de cygne et au caviar d'hippocampe depuis l'âge de trois ans ! Normal qu'aujourd'hui elle ait quelques exigences, non ? Moi, je n'appelle pas ça être difficile, j'appelle ça être distingué. - Le problème c'est qu'on ne sait plus quoi faire, lança le prince des Œles Sauvages. Honnêtement, on n'a plus d'idées. - C'est quand même incroyable ! Vous êtes tous grands, beaux et forts... euh... mis à part, bien sûr, le prince des Terres Isolées, qui a un physique un peu... particulier. Le roi fit un petit signe amical en direction d'un être décharné, sans cheveux et bossu, cloué sur une chaise à roulettes. - F'est à cause de mon père, répondit l'humain difforme. Comme il est auffi le frère de ma tante vu que fon père a coufé avec fa propre mère, qui était en fait déjà fa foeur, du coup moi je fuis auffi l'oncle de mon frère et ainfi de fuite... - Oui, oui... Je connais l'arbre généalogique de votre famille. - Un arbre à deux branches, ricana le prince du Sud. - D'ailleurs, je foulais fous dire que je ne peux pas refter parce que la femaine profaine, je dois époufer ma coufine qui du coup est auffi ma demi-foeur, vous fuivez ? - Bon, reprit le roi, disons que le prince des Terres Isolées est exempté. Il peut rentrer chez lui s'occuper de ses affaires.
Aussitôt, les autres princes se récrièrent : " C'est pas juste ! ", " Moi aussi j'ai des trucs à faire ! ", " Et ceux qui ne sont pas intéressés, ils peuvent partir ?! ", " Moi, j'ai un mot du docteur, je ne supporte pas le mariage ! ", " Laissez-nous rentrer chez nous, pitié ! ". - Pas question ! Les autres, vous restez ici ! gronda le roi. Et demain, je veux voir tout le monde à l'aube dans la cour ! Non mais ! Qu'est-ce que c'est que ces manières ?! Le lendemain matin, regroupés derrière le mur d'enceinte du ch‚teau, les princes venus de tous horizons écoutaient attentivement les instructions du roi habillé en armure qui faisait les cent pas, visiblement remonté. - C'est la guerre ! Va falloir se battre ! Nous devons remporter le combat et vaincre notre ennemi. Et notre ennemi, c'est... ? - La princesse ! répondit le prince Oreille en levant le doigt. - Bien sûr que non, enfin ! La princesse, c'est le but à atteindre. Il vous faudra dérober son coeur, envoûter son esprit, faire frémir son corps sous l'ardeur de vos baisers. Faut la faire tomber amoureuse, quoi ! Notre ennemi, c'est donc : l'indifférence. - Euh... la différence avec quoi, Majesté ? demanda le prince Oreille. - Pas la différence, mais l'in-différence. - Ah ! Donc l'indifférence avec quoi ? Le roi désespéré se lamentait intérieurement. Qu'avait-il fait au bon Dieu pour récupérer des boulets pareils ? Il avait pourtant missionné des messagers jusqu'au-delà des terres connues. N'y avait-il plus un seul homme potable issu de sang royal de par le monde ? - C'était quand même plus simple quand on était marié de force par les parents, lança le prince du Nord Nord-Ouest. - C'est fini ce temps-là, répliqua le roi. On n'est plus des brutes. L'époque est au romantisme et à la musique sirupeuse. Enfoncez ça dans vos ciboulots une bonne fois pour toutes ! Et ma fille veut absolument être amoureuse. Elle n'en démordra pas. Je ne sais pas d'où lui vient cette lubie mais c'est comme ça. - J'voudré pa dire mes y'avé pas ka lui laissé lire tou cé boukin à l'hau de rose kan elle été gaminne ! - Oui, ben elle au moins elle sait lire, n'est-ce pas prince des Œles Lettrées ? Le roi agacé se retourna et cria en direction du château : - Alors, ça vient ? C'est pour aujourd'hui ou pour jeudi ?! - C'est qu'on attendait que vous finissiez votre pitch mon bon roi, répondit une petite voix derrière une meurtrière. - Mais enfin, si je cause, c'est justement pour meubler en attendant qu'il se passe quelque chose ! - Ah, d'accord ! J'envoie les trompettes alors.