Extrait du livre Le Tyran, le Luthier et le Temps
Le tyran, le luthier et le temps de Christian Grenier et François Schmidt aux éditions L'atelier du poisson soluble
Le tyran, le luthier et le temps
Le tyran, le luthier et le temps
C’était un Troubadour étrange Aux habits couleur de poussière. Il avait le visage du Temps. A peine arrivé sur la place, Il affûta son instrument Et sur les cordes de sa viole Son archet fit apparaître Un décor, des couleurs, Des sons, des odeurs, du vent. “Bonnes gens, oyez le récit D’un Tyran qui voulait connaître Les pensées de tous ses sujets Afin d’en rester le maître !”
Au milieu de forêts, de collines, d’étangs, Se nichait une petite ville. Et dans cette cité Vivait un Luthier habile. Les instruments qu’il fabriquait Ne se contentaient pas de jouer la musique Celui qui les manipulait Devenait détenteur d’un pouvoir diabolique : Dans ses mains, sous ses doigts, mots et sons Prenaient corps : D’un accord, L’instrumentiste Au gré de pensées fantaisistes En interprétant ses morceaux Façonnait des mondes nouveaux ! Au cœur de ce pays, dominant la cité Surplombant les prairies, les forêts Etait un grand château Entouré de pierres Et de créneaux Perché haut Très haut Fier ! Dans ce château fort imposant Plein d’oubliettes oubliées Rempli d’escaliers dérobés De ponts-levis toujours levés Et de cruelles meurtrières Vivait, au milieu de ses gens Un Tyran.
Il était laid, il était vieux, Autoritaire, hautain, odieux, Cruel, moqueur, pervers, envieux, Et maladivement curieux. “Je veux être le ciel, je veux être la mer, Je veux être le vent, le feu, la pluie, la terre, Je veux savoir ce que ressent Le plus petit être vivant. Je veux tout voir en même temps, Comprendre tout et tout connaître Et devenir de l’univers Le maître.”
“ Où es-tu ? D’où viens-tu ? Où vas-tu ? ” Demandait-il à son majordome, A son fou, ses ministres, ses hommes. “Que font, que disent, que pensent les gens, Les femmes, les vieillards, les enfants ? Chacun m’évite, chacun me ment ! A quoi me sert d’être un Tyran Si je ne suis pas au courant ?” Un jour, il fit Proclamer un édit Qu’un héraut Clama haut Dans les rues de la ville : “Savants et artisans, je vous lance un défi : Que le plus habile imagine Un philtre, un procédé, une machine Qui permette à moi seul d’épier tous mes gens, D’être à la fois partout chez tous en même temps ! Tous ceux qui échoueront périront. Mais celui qui réussira Epousera Ma fille !”