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Contes des six trésors

Contes des six trésors

9-12 ans - 61 pages, 21532 mots | 2 heures 36 minutes de lecture | © Éditions du Jasmin, 2006, pour la 1ère édition - tous droits réservés


Contes des six trésors

Contes des six trésors

Il y a les trésors faits de diamants, d'or et de pierreries. Et puis il y a les autres, bien plus précieux encore. Ce livre propose un voyage merveilleux et fantastique à la découverte de quelques-uns de ces trésors. On y découvre la mystérieuse vie nocturne du Louvre et le secret d'un coffre-fort. On y croise un ascenseur magique et une boutique pleine d'objets insolites. On y rencontre un fou qui devient roi et un ange envoyé sur terre pour une étrange mission.

Six histoires indépendantes, mais pourtant réunies par un lien secret.

"Contes des six trésors" vous est proposé à la lecture version illustrée, ou à écouter en version audio racontée par des conteurs et conteuses. En bonus, grâce à notre module de lecture, nous vous proposons pour cette histoire comme pour l’ensemble des contes et histoires une aide à la lecture ainsi que des outils pour une version adaptée aux enfants dyslexiques.
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Extrait du livre Contes des six trésors

Contes des six trésors d'Emmanuelle et Benoït de Saint Chamas et Éric Puybaret aux éditions du Jasmin


Contes des six trésors
Lettres anonymes Peut-être avez-vous déjà croisé Germaine dans la rue. Mais quand bien même l’auriez-vous rencontrée, il y a fort à parier que vous ne l’avez pas remarquée, car cette petite femme est la discrétion incarnée. Elle rougit quand on s’adresse à elle, s’excuse avant de parler, se tient à l’écart des groupes, se laisse doubler dans les files d’attente. Germaine, c’est la concierge du numéro 3 de la rue Croix-des-Petits-Champs, à deux pas du Louvre. On sait très peu de choses d’elle. À vrai dire, on sait simplement qu’elle habite seule dans la loge du rez-de-chaussée et qu’elle passe ses journées à rendre service aux habitants de l’immeuble sur lesquels elle veille comme une petite fée. Depuis des années, les journées de Germaine se suivent et se ressemblent. Elle se lève à cinq heures du matin pour sortir les poubelles, nettoyer les cent-trente-deux marches et les six paliers de
l’immeuble, briquer la rampe d’escalier et brosser les paillassons. À sept heures, elle va donner du pain aux pigeons du jardin du Palais Royal, qui est un peu plus loin, du côté de la rue Montpensier. À huit heures, elle va promener Margilin, le chien de Monsieur Robin, du quatrième étage. À neuf heures, elle va à l’épicerie du 23, rue Croix-des-petits-champs pour faire les courses de Madame Jullier, la vieille dame du second qui marche difficilement. Mais son moment préféré, c’est dix heures, l’heure de passage du facteur. Elle guette son arrivée, de la fenêtre de sa loge. Comme elle est heureuse quand le postier glisse le courrier dans la fente de sa boîte aux lettres ! Elle prend les lettres avec un respect infini, lit avec délectation les écritures, contemple les timbres, puis classe les lettres par petits paquets avant de les distribuer dans l’immeuble, en commençant toujours par le dernier étage. C’est en déchiffrant les noms et adresses écrits sur les enveloppes qu’elle avait appris à lire et à écrire. Ainsi commençaient, depuis des années et des années, les journées de Germaine. Jusqu’au jour où débuta cette histoire… Ce matin-là, Germaine reçut un gros paquet destiné à Monsieur Grimbert, du troisième étage. Quelqu’un d’important, ce Monsieur Grimbert-du-troisième ! Dans l’immeuble, c’est lui qui recevait le plus de lettres. Et pas n’importe lesquelles : elles venaient souvent de la Préfecture de Police, du Trésor Public, d’huissiers de justice. Bref, que des gens haut placés. Pensant qu’il y avait urgence, Germaine monta aussitôt le paquet et sonna à la porte du troisième. — Bien le bonjour, Monsieur Grimbert. Dans le courrier de ce matin, il y avait ce colis. Je vous l’ai apporté tout de suite parce que ça avait l’air important. — Merci, merci, vous avez bien fait. Rien d’autre ? — Je n’ai pas encore regardé le courrier arrivé ce matin. J’y vais de ce pas et je remonte distribuer toutes les lettres. — Toutes, sauf les lettres qui vous sont destinées, bien sûr, reprit l’homme, en refermant la porte. Ce n’étaient que des mots prononcés comme ça, en l’air, à la légère. Pourtant ces quelques paroles marquèrent profondément la concierge. Recevoir du courrier, elle, Germaine ? Cela ne lui était jamais arrivé. L’idée ne l’avait d’ailleurs jamais effleurée. Qui, du reste, pourrait bien lui écrire ? Elle ne connaissait personne en dehors des gens de l’immeuble, de l’épicier-du-23-rue-Croix-des-petits-champs et des quelques commerçants du voisinage… Et elle n’avait pas de famille. Alors, qui pourrait bien s’intéresser à elle ? Le simple fait que Monsieur Grimbert-du-troisième pensât qu’elle était digne de recevoir du courrier ouvrait soudain chez
elle un horizon complètement nouveau et bigrement enivrant. Pendant toute la journée, puis toute la nuit, elle y songea. Et c’est le lendemain matin, tandis qu’elle promenait Margilin, le chien de Monsieur Robin du-quatrième, qu’elle eut une idée. « Si les gens de l’immeuble reçoivent des lettres, c’est parce qu’ils en écrivent. Si je veux recevoir des lettres, c’est simple, il faut d’abord que j’en envoie », se dit-elle. Pourtant, les choses n’étaient pas aussi faciles. Écrire, d’accord, mais à qui ? Envoyer une lettre à quelqu’un de l’immeuble ou à l’épicier-du-23, elle sentait bien que c’était ridicule. Quant à écrire à des inconnus, elle était bien trop timide pour cela. Ce fut seulement le soir, tandis qu’elle reprisait les chaussettes de Monsieur Grimbert-du-troisième, qu’elle trouva la solution. Ses yeux venaient de tomber sur le « Guide des chefs-d’œuvre du Louvre », posé sur sa table de nuit. C’était le seul livre que Germaine possédait ; elle l’avait lu cent fois, peut-être mille. C’est Madame Jullier-du-second qui le lui avait offert pour les étrennes, quelques années auparavant. — Voilà ce que je vais faire, décida la concierge : je vais écrire aux personnages célèbres du Musée du Louvre. Dès le lendemain matin, sitôt les courses faites à l’épicerie-du-23 pour Madame Jullier-du-second, Germaine se précipita au bureau de poste et acheta cinq timbres, cinq enveloppes et du beau papier à lettres. De retour dans sa petite loge, elle s’installa confortablement devant la fenêtre et commença à feuilleter le livre des chefs-d’œuvre du Louvre. Elle tourna consciencieusement les pages du guide, les regarda attentivement et finit par sélectionner cinq personnages. Le premier était le Scribe accroupi, parce que cet Égyptien avait des yeux étonnants et que c’était un homme d’écriture. Son deuxième choix se porta sur la Joconde, parce que Germaine la trouvait infiniment belle et mystérieuse. Comme troisième destinataire, Germaine retint la femme symbolisant la Liberté guidant le peuple, peinte par Eugène Delacroix, avec son drapeau à la main, debout sur les barricades : elle était tellement fière et courageuse. Son quatrième choix se porta sur la Dentellière, une peinture de Vermeer, parce que Germaine se retrouvait un peu dans cette femme travailleuse. Enfin, elle choisit le tableau du jeune mendiant peint par Murillo, parce qu’il devait être bien seul, comme elle. Elle avait pensé, un moment, écrire à la célèbre Vénus de Milo, mais elle avait renoncé. Ce n’était pas délicat d’écrire à une statue sans bras : elle aurait pu se sentir offensée et, d’ailleurs, comment aurait-elle pu répondre ? Germaine avait même caressé un instant l’idée d’écrire à la momie égyptienne, qui l’avait toujours fascinée, mais elle avait finalement décidé que c’était un peu macabre. Aux cinq chefs-d’œuvre retenus, elle écrivit la même lettre :
Bonjour, Je m’appelle Germaine et je suis la gardienne du 3, rue Croix-des-petits-champs. Je vous admire beaucoup et j’aimerais bien faire votre connaissance. Vous pouvez m’écrire si vous voulez, mais vous n’êtes pas obligé. Germaine. Elle glissa les lettres dans les enveloppes sur lesquelles elle inscrivit le nom et l’adresse des destinataires. Puis elle colla les timbres et sortit de sa loge. Tandis qu’elle trottait à petits pas impatients sur le trottoir, elle croisa Monsieur Grimbert-du-troisième. — Où allez-vous comme ça ? demanda-t-il — Je vais à la poste pour poster des lettres que j’ai écrites moi-même, dit-elle fièrement. — Ça tombe bien. J’y vais aussi. Donnez-moi vos lettres, je les posterai pour vous. — Vous êtes trop gentil, Monsieur Grimbert, les voici. Mais si vous préférez, je peux y aller, moi, et poster votre courrier. — Non, non, laissez, je m’en occupe. L’homme prit les cinq lettres avec un sourire exagéré. Au fond de lui, il pensait : «À qui peut-elle bien écrire, cette vieille chouette ? » Lorsqu’il fut seul, il jeta un œil sur les enveloppes et y lut successivement : Monsieur le Scribe accroupi Musée du Louvre Paris Madame la Joconde Musée du Louvre Paris Madame la Liberté guidant le peuple Musée du Louvre Paris Madame la Dentellière Musée du Louvre Paris Monsieur le jeune mendiant Musée du Louvre Paris — C’est bien ce que je pensais, marmonna Monsieur Grimbert-du-troisième, cette vieille toupie est encore plus timbrée que ses enveloppes. C’est trop bête de gâcher des timbres pour ces bêtises. Allez, hop, il n’y a pas de petites économies ! Il décolla les cinq timbres des enveloppes, les glissa dans son portefeuille, et jeta les lettres dans le caniveau.
Par miracle, un jeune garçon retrouva un peu plus tard l’une des cinq lettres. Il pensa que son propriétaire l’avait perdue. Comme il avait un peu d’argent de poche sur lui et qu’il était d’un naturel généreux, il acheta un timbre, le colla sur l’enveloppe et posta la lettre… Une semaine après, Germaine reçut une réponse. Elle pensa tout d’abord avoir mal lu. Non, pas d’erreur, c’était bien son nom qui était écrit sur l’enveloppe : Germaine Petite loge du rez-de-chaussée 3, rue Croix-des-petits-champs Paris Ensuite, la gardienne se demanda si elle n’était pas en train de rêver. Elle se pinça. Non, elle était bien éveillée. Alors elle décacheta l’enveloppe. Voici ce qu’elle lut : Chère Germaine, Votre lettre m’a fait très plaisir. Prenons le temps de faire connaissance et continuons à nous écrire. Peut-être, après, pourra-t-on se rencontrer. Qu’en dites-vous ? M… Post-scriptum : par souci de discrétion, et pour éviter que nos correspondances se perdent, je vous propose, quand vous voudrez m’écrire, de déposer discrètement vos lettres au Musée du Louvre dans la salle Saint-Louis. Tout au fond de cette salle médiévale, peu fréquentée par le public, il y a trois niches laissées dans l’ombre ; au fond de celle qui est la plus à gauche, il y a un trou dans le mur : ce sera, si vous le voulez bien, notre boîte aux lettres. J’y déposerai aussi mes messages. Germaine était partagée entre la surprise et la joie. La joie de recevoir, pour la première fois de sa vie, une lettre. La surprise, parce qu’elle ignorait totalement l’identité de celui ou de celle qui venait de lui écrire, et dont la signature se résumait à une simple lettre « M ». Elle se remémora à voix haute le nom des cinq personnages auxquels elle avait écrit : — Voyons… Scribe, ça commence par un « S », Joconde par un « J », la Liberté guidant le peuple par un « L ». Quant à la Dentellière, c’est un « D »… Ce doit donc être le jeune « Mendiant », peint par Murillo. Ça doit correspondre : « M » comme mendiant, ou comme Murillo. De sa plus belle plume, elle écrivit aussitôt une lettre : Cher M… , Je crois que j’ai deviné qui vous êtes. Je suis d’accord : écrivons-nous pour mieux nous connaître.
Je déposerai les lettres à l’endroit que vous avez choisi. Et quand vous voudrez qu’on se rencontre, dites-le-moi. Germaine. Le lendemain, aussitôt après avoir distribué le courrier dans les étages, elle se rendit au Louvre avec sa lettre. La rue Croix-des-petits-champs n’était pas très loin du musée, mais Germaine n’y était pourtant jamais allée. Quelle aventure ! Et quel éblouissement quand elle y entra ! Elle erra plusieurs heures, les yeux ouverts du plus grand qu’elle pouvait pour ne rien perdre des merveilles qui l’entouraient. Quand elle se retrouva dans la salle Saint-Louis, dernier reste du corps de logis de l’ancien Louvre médiéval, elle s’approcha discrètement de la troisième niche et n’eut aucune peine à repérer le trou dans le mur. Elle y glissa soigneusement son message. Elle attendit deux jours avant de revenir au Louvre. Cette fois-ci, elle alla directement dans la salle Saint-Louis. Victoire ! Il y avait un papier plié au fond du trou. Le cœur battant, elle lut : Chère Germaine, C’est une très grande joie pour moi de vous lire et de savoir que vous acceptez que nous apprenions à nous connaître. J’aimerais en savoir un petit peu plus sur vous. Mo… — « Mo » ? s’exclama Germaine. La deuxième lettre devrait être un « e », pas un « o ». Ça ne colle pas avec « Mendiant », ni avec « Murillo ». Pendant le trajet du retour, elle réfléchit à cette énigme. — … à moins que « Mo » ne soit le début de « Monsieur ». Ce qui signifie alors que mon correspondant peut tout aussi bien être « Monsieur le Scribe accroupi » que « Monsieur le jeune mendiant ». De sa plus belle plume, elle répondit : Cher Mo… , Je croyais savoir qui vous étiez, mais je n’en suis plus certaine. C’est que j’ai envoyé des lettres à plusieurs personnes du Louvre que j’ai découvertes grâce à un très beau livre que vous connaissez sûrement : il s’appelle « Guide des chefs-d’œuvre du Louvre ». Alors, voyez-vous, comme vous ne signez pas votre lettre, je ne sais pas si vous êtes le scribe ou le mendiant. Pouvez-vous me donner un indice ? Vous vouliez que je parle de moi ? Je veux bien, mais je vous ai presque tout dit dans ma première lettre. Je suis née dans mon immeuble, dans la loge où j’habite, au 3, rue Croix-des-petits-champs. Ma maman y était gardienne. Quand elle est morte, j’avais 13 ans et je l’ai remplacée. Je n’ai pas de famille. Mais tous les gens de l’immeuble sont très gentils avec moi. Ce sont des gens très bien,
vous savez. Peut-être pourrai-je vous les présenter un jour ? Et puis il y a aussi l’épicier du 23 qui est toujours très généreux avec moi. Il me fait souvent des prix. J’espère qu’on pourra être amis et j’attends votre réponse. Germaine. Deux jours plus tard, elle récupéra la réponse au fond de la niche de la salle Saint-Louis : Chère Germaine, Merci pour votre très gentille lettre. Je ne pourrai malheureusement pas rencontrer vos amis de la rue Croix-des-petits-champs parce que, voyez-vous, je ne sors jamais du Louvre. C’est dommage, j’aimerais bien venir chez vous, dans votre loge. C’est drôle : vous habitez dans une loge, comme les artistes… Vous vouliez un indice pour découvrir qui je suis ? Lisez attentivement cette lettre, et vous le trouverez. À très bientôt. Je pense effectivement que nous deviendrons amies. Mon… Germaine lut et relut la lettre. — C’est étrange, il me parle d’un indice, mais je ne vois rien. En tout cas, j’avais raison : la troisième lettre est un « n ». C’est bien le début de « Monsieur ». Mais ça ne me dit pas s’il s’agit du scribe ou du mendiant. C’est seulement le lendemain, en promenant Margilin, le chien de Monsieur Robin-du-quatrième qu’elle eut une illumination. — « Amies » ! s’exclama-t-elle, il y avait écrit « amies », avec un « e ». J’avais tout faux : c’est une femme qui m’écrit ! Pourtant, loin de faire progresser l’enquête, cette découverte ne faisait au contraire que la compliquer. Car la signature ne correspondait à aucune des femmes célèbres à qui elle avait écrit. Alors elle commença à échafauder des hypothèses, toutes plus farfelues les unes que les autres. Elle alla même jusqu’à envisager que tout cela n’était peut-être qu’une farce : une gardienne de musée pouvait avoir intercepté ses lettres et voulait s’amuser. Mais qu’importait, après tout ? Germaine était heureuse.Elle avait envie de savoir, de connaître celle qui lui écrivait. Voici ce qu’elle écrivit à son amie inconnue : Chère Mon… , J’ai mis un peu de temps, mais j’ai fini par comprendre votre indice. En revanche, je n’ai toujours pas trouvé qui vous êtes. Je vous ai tout dit sur moi : pouvez-vous m’en dire un peu plus sur vous ? Même si je ne vous connais pas encore vraiment, je crois que vous êtes maintenant ma meilleure amie. Germaine
La réponse ne se fit pas attendre. Dès le lendemain, voici le message qu’elle trouva dans la cachette de la salle Saint-Louis : Chère Germaine, Je vous considère aussi comme mon amie. Comme vous le souhaitiez, je vais vous donner un indice qui vous permettra de découvrir qui je suis : je suis italienne. Monn… De retour dans sa loge, la concierge se précipita sur son livre des chefs-d’œuvre du Louvre. — Ce n’est pas la « Dentellière » de Vermeer : le livre dit qu’elle est hollandaise. Ce n’est pas non plus la « Liberté guidant le peuple », puisqu’elle porte le drapeau français… Reste la Joconde… Mais oui, bien sûr, où avais-je la tête : le vrai nom de la Joconde, c’est Monna Lisa. La solution était là, dans le guide, et je ne l’avais même pas vue. Elle écrivit aussitôt sur un papier cette simple question : Êtes-vous Monna Lisa ? Votre amie Germaine