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Klag Zoubi - Chambardement dans la banquise

Klag Zoubi - Chambardement dans la banquise

6-8 ans - 68 pages, 19155 mots | 2 heures 19 minutes de lecture | © Éditions du Jasmin, 2023, pour la 1ère édition - tous droits réservés


Klag Zoubi - Chambardement dans la banquise

6-8 ans - 2 heures 19 minutes

Klag Zoubi - Chambardement dans la banquise

« Ceci est une plante : c’est un animal qui pousse de la terre, et qui se nourrit de la neige fondue et du soleil pour grandir. Cette couleur que tu vois, c’est du vert, et toutes les plantes ont cette couleur… si elle survit et grandit, nous pourrions alors voir l’espoir renaître dans notre pays. » Voici ce qu’a dit Zbaïn Zbaïna, la vieille sagesse du village, à Klag Zoubi, lorsqu’il lui fait part de sa découverte.

Tous les villageois se concentrent alors sur deux tâches, protéger la plante et entreprendre un long voyage vers La Grande Prairie de la Petite Maison pour ramener les messagères de plantes, les seuls êtres qui lui permettraient de porter des fruits.

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Extrait du livre Klag Zoubi - Chambardement dans la banquise

Klag ZoubiChambardement dans la banquise Écrit par Edmée Pautet Illustrations de Corinne Demuynck Aux éditions du Jasmin


Klag Zoubi Chambardement dans la banquise
Klag Zoubi avait cinquante-sept ans lorsque le printemps vint. Toute sa vie il n’avait connu que l’hiver, la neige sous toutes ses formes, le blizzard, et la banquise éternellement blanche ; mais ce matin, en allant chercher sa pêche du jour au trou à poissons, il avait vu pour la première fois du vert. Une petite pousse, pas plus grosse qu’un poil de son chien, qui se trouvait en plein milieu du désert blanc. « Zkeblop ? » se dit-il, ce qu’on pourrait traduire par « Mais qu’est-ce donc que cela ? Quelle merveille suis-je en train d’admirer ? Je n’ai jamais rien vu de tel, c’est l’eau de la mer, mélangée avec la lumière chaude de la graisse de phoque qui brûle au bout d’un os de narval
et pourtant c’est tout autre chose que ce simple mélange ». Il faut savoir que dans le pays de Klag Zoubi, on avait poussé le langage jusqu’à son paroxysme : très peu pour la langue, beaucoup pour l’esprit. Ainsi, rares étaient les discours qui dépassaient dix syllabes, mais un seul de ces discours suffisait pour faire réfléchir toute une vie. Il détailla longuement cette toute petite plante qui barrait son chemin, se baissant si bas que les poils de sa barbe commençaient à coller à la banquise. Il scruta les deux petites feuilles, et la manière dont le soleil du matin les frappait, les rendant presque translucides. Au bout d’une bonne heure d’observation assidue, il décida d’aller voir la vieille sagesse, oubliant complètement sa pêche du jour, et partit au petit trot vers la yourte de Zbaïn Zbaïna, non sans avoir protégé l’arbuste avec quelques pierres. Quelque chose de si petit ne pouvait pas être bien résistant, s’était-il dit, et il sentait que cela valait la peine de le protéger. La yourte de Zbaïn Zbaïna se trouvait à flanc de rocher, à quelques centaines de pas. Faite de peaux de phoques et d’ours blancs, tannées par des mains habiles qui n’existaient plus depuis longtemps et par le vent insatiable, c’était la plus vieille yourte de la banquise. Et la personne à l’intérieur était également la plus vieille personne de la région, car dans le pays de Klag Zoubi et Zbaïn Zbaïna, on aimait que les choses qui se ressemblent s’assemblassent.
Quand il parvint à l’entrée de la yourte, il siffla deux notes pour signaler sa présence. Zbaïn Zbaïna siffla deux notes en retour, et Klag Zoubi entra. « Dezzath » lui dit-il, ce que l’on pourrait approximativement interpréter comme ceci : « Bonjour à toi, ô grande et très très vieille sagesse de mon pays, qui sait plus que quiconque et qui sait aussi l’expliquer, grande dame de notre civilisation, mère de toutes les mères, que ton esprit se porte aussi bien qu’il le puisse, et ce pour encore longtemps. Je viens te voir aujourd’hui car j’ai découvert ce matin un phénomène que je ne peux décrire, même si mon cœur me dit que c’est une bonne chose qui s’est produite. J’aimerais que tu m’accordes ta grande intelligence et ton temps précieux afin de savoir ce qu’il en est précisément. » « Feuh Gahz » répondit-elle : « Bien le bonjour à toi également, Klag Zoubi, pêcheur aguerri et homme de bienveillance, fils d’une de mes filles, homme valeureux et chaleureux, cela me fait plaisir de te voir, et ma curiosité est attisée par ton explication, laisse-moi le temps d’enfiler des cothurnes plus adéquats et nous allons observer ton phénomène de ce pas. » Les cothurnes enfilés, Zbaïn Zbaïna prit appui sur le gros bras de Klag Zoubi pour marcher, car elle était vraiment très vieille, si vous ne l’aviez pas encore compris. Plus personne ne savait quel âge elle avait, mais elle était déjà bien adulte à
la naissance de notre héros, et plus personne ne se souvenait d’une époque où elle n’était pas la grande sagesse. Bringuebalant un peu, ils arrivèrent vers la petite plante aux environs de midi. Zbaïn Zbaïna, comme Klag Zoubi plus tôt ce matin-là, se mit à observer intensément cette petite pousse, jusqu’à ce que les poils de sa barbichette se collent eux aussi à la banquise, regardant le soleil au zénith frapper de ses rayons les petites feuilles, et allant même jusqu’à renifler l’arbuste sous toutes ses coutures.Au bout d’une heure et demie, elle avait terminé son observation, et vint s’asseoir à côté de Klag Zoubi qui, pendant tout ce temps, s’était souvenu de ses poissons, et les avait récupérés pour préparer le repas qui rôtissait maintenant doucement au-dessus d’un feu de bouses de yak. « Bubul » dit-elle d’un ton grave, en prenant une petite truite sur le plat fumant. « Mon cher ami, c’est là un événement extraordinaire que tu as découvert ce matin, et je te le dis, cela n’annonce que de bonnes choses en effet, ton cœur a vu juste. Ceci est une plante : c’est un animal qui pousse de la terre, et qui se nourrit de la neige fondue et du soleil pour grandir. Cette couleur que tu vois, c’est du vert, et toutes les plantes ont cette couleur, de même que nous tous, habitants de ce pays, portons un bracelet de coton à notre cheville droite. Je ne sais pas comment elle est arrivée jusqu’ici, mais si elle survit et grandit, nous pourrions alors voir l’espoir renaître dans notre pays. Car vois-tu, il y a bien longtemps, au moins quatre vies de Zbaïn Zbaïna, ces plantes étaient partout sur la banquise, et offraient aux gens de ce pays de nombreux bienfaits, notamment de la nourriture. Et, comme tu le sais mieux que quiconque, les poissons viennent à manquer, les zébus sont éteints depuis longtemps, et les phoques se sont éloignés de nos contrées. Si
nous arrivons à faire pousser cette plante, et que d’autres poussent, nous devrions pouvoir éviter la famine qui nous guette. » ۞۞۞ Ce fut Ol Stil qui se chargea de la protection de la plante, car c’était le seul capable de rester debout dans la neige nuit et jour sans bouger. Il avait autrefois essayé de percer dans l’art de route (1), et avait eu l’idée de se déguiser en bonhomme de neige et de rester immobile, mais son déguisement était si bien fait que personne ne faisait la différence, et il n’y a rien de bien extraordinaire à ce qu’un bonhomme de neige ne bouge pas. Mais depuis, ses talents avaient été exploités à des fins très utiles : surveiller le chargement de bouses de yak, faire l’épouvantail devant les poissons en train de sécher, observer les bancs de phoques, tout ce qui demandait une patience infinie sans aucun amusement.Il avait également pour mission d’observer la pousse de la plante, et ceux qui ont déjà essayé savent que c’est un peu long pour y voir quelque changement. Mais rien ne lui faisait peur, à Ol Stil, et s’il fallait attendre, il attendrait.Tous les jours, sur le chemin du trou à poissons, Klag Zoubi s’arrêtait au point plante pour ravitailler Ol Stil et discuter un peu. En buvant une bonne tasse de neige fondue aux écailles de poisson, ils échangeaient des théories sur l’apparition de la plante, donnaient des idées pour la garder en vie, se demandaient ce qui allait pousser dessus – Ol aurait bien aimé que ce soit une plante à zébus, mais Klag lui avait expliqué que ce n’était pas possible. Tout le village de Klag Zoubi, Zbaïn Zbaïna et Ol Stil ne parlait plus que de ça. Ces quelques quatre-cents âmes passaient leurs journées à penser à la plante, à parler 1. Ce qu’on appelle l’art de rue chez nous.
de la plante, et leurs nuits à en rêver. La vieille sagesse avait convoqué tout le monde le soir-même de la découverte (sauf Ol Stil, déjà au poste), dans la Méga Yourte (2), et leur avait fait un cours magistral de tout ce qu’il fallait savoir sur la plante, de tout ce dont elle se souvenait, et de tout ce qu’il allait falloir faire pour la garder en vie. Comme vous êtes un peu familiers maintenant avec le pays de Klag Zoubi, vous aurez bien compris que ce cours magistral prit 14 secondes, le temps pour Zbaïn Zbaïna de lancer : « Keplof Migul ZétiZéti », ce que je ne vous retraduirai pas ici parce qu’on n’a pas toute la journée. Et tout le monde se mit à la tâche. Certains construisirent une sorte de solarium portatif, avec des boyaux de yak lavés à l’eau de mer. D’autres partirent tout de suite en reconnaissance, sur un périmètre assez vaste, pour tenter de trouver d’autres petites plantes. Les enfants se virent confier la tâche de construire des paillasses amovibles, pour protéger la plante du vent infernal de la banquise : avec des poils, des cheveux, des écailles, ils tissèrent une grosse toile à dérouler selon le sens du blizzard. Enfin, les tailleurs d’os taillèrent quatre fémurs de phoques pour en faire des poteaux, qui pourraient supporter le solarium ou une peau d’ours polaire, selon le temps qu’il faisait.Si bien qu’au bout de six jours, Ol Stil avait toute une armada d’outils et d’accessoires autour de lui, qu’il devait assembler, enlever, combiner, pour que la plante soit la plus confortable possible. À l’attente s’ajouta alors une chose qu’il ne connaissait pas bien, mais qu’il apprécia beaucoup : le divertissement. Dès que le soleil pointait le bout de ses rayons, il sortait le solarium, et au premier flocon, il mettait la peau d’ours ; toutes ses capacités d’observation étaient tournées vers la plante, et elle ne fut jamais à plaindre, tant Ol Stil était rapide et efficace. 2. Même principe qu’une salle des fêtes, mais en yourte
Au bout de treize jours, deux des éclaireurs revinrent, annonçant qu’ils en avaient trouvé une autre, à quelques kilomètres de là. Les habitants étaient tout joyeux de cette nouvelle, s’étant un peu lassés d’attendre que la première plante pousse, ils avaient besoin que ça avance. Ni une ni deux, les deux éclaireurs furent renvoyés à leur point plante avec tout l’équipement nécessaire à sa protection, quelques morues séchées et le cousin d’Ol Stil, Stai Poute, qui partageait les mêmes talents. Et Klag Zoubi, oubliant la pêche très vite, se mit à faire le ravitaillement pour les deux points plantes, marchant longtemps dans le blizzard avec sa peau de zébu, ses sacs de provisions et sa grande gourde de neige fondue aux écailles de poisson, pour observer les avancées et nourrir les gardiens. ۞۞۞ Au bout de cinq semaines, il n’y avait plus grand monde dans le bourg du village de Klag Zoubi. Une dizaine de petites plantes avaient été découvertes, et à chaque fois cinq ou six personnes y étaient affectées pour la protéger. Il n’y avait qu’Ol Stil et Stai Poute qui avaient assez de patience et d’observation pour pouvoir opérer tous seuls, les autres habitants ayant besoin d’une pause de quinze minutes toutes les dix minutes, tant le travail était ennuyeux. Ceux qui restaient encore au village étaient
complètement absorbés dans la construction des outils nécessaires à la survie des plantes, et on ne voyait plus personne dans les allées. Klag Zoubi faisait maintenant plus de cinquante kilomètres à pied chaque jour, faisant le tour des petites plantes, prenant commande des choses à faire parvenir aux groupes de protection, délivrant les lettres et petits mots aux familles. Khaupy Dhat, une jeune femme très à l’écoute, lui avait confectionné un sac spécial pour transporter tout ce qu’il fallait, et pour que les mots, écrits sur une plume de pingouin avec de la bouse de yak, ne soient pas détrempés accidentellement par la gourde de neige fondue aux écailles de poisson qui, de temps en temps, décidait de fuir. Klag Zoubi avait désormais sur son dos une sorte de grosse colline en toile de poils de barbe, sanglée à l’aide de deux bretelles en peau de saupahlin (3), qui lui permettait non seulement d’avoir les mains libres mais aussi de porter plus de choses, sans ralentir sa cadence. Il pouvait même, quand le blizzard l’empêchait de rentrer avant la nuit, se servir du sac comme d’une tente sommaire, mais efficace. 3. Le saupahlin, (à ne pas confondre avec notre sopalin, fruit de l’élevage intensif) est un petit animal joyeux, à la peau élastique et résistante. Par sa forme longiligne, on pourrait le rapprocher d’un basset hound, mais sans les oreilles, et généralement très blanc.