Extrait du livre La boucle d'oreille rose
La boucle d'oreille rose de Séraphine Menu et Sylvie Serprix aux éditions Motus
La boucle d'oreille rose
Automne
Tout a commencé un samedi d'octobre, lorsque Anaïs, la plus jolie fille du village selon les troisièmes du collège, a rejoint ses copines sur la place du marché. Il n'y avait jusque-là rien d'inhabituel. Elles se sont installées sur leur banc préféré, le plus rouillé, sous le grand étable Japonais.
Le roux des cheveux d'Anaïs s'unissait aux feuilles. Le vent emportait les secrets qu'elles se glissaient au creux de l'oreille. Au même moment, ma mère, ma sœur et moi traversions la place pour nous rendre au stand du fromager. Anaïs n'avait jamais prêté attention à moi. Je ne m'attendais donc pas à ce qu'elle me regarde, encore moins à ce qu'elle me parle.
- Elle est drôlement jolie ta boucle d'oreille, Mia ! - Ah... Merci ! - Mais où est passé l'autre ? - Je l'ai perdue. Elle est tombée quelque part. - C'est bête. Dis, tu me la prêtes ?
C'était un geste simple. Inoffensif. Pourtant, ce fut ce premier balancement de la boucle à son oreille qui changea tout. Absolument tout.
Dès le lendemain, plusieurs filles du village portaient déjà une boucle d'oreille semblable à celle que j'avais prêtée à Anaïs. Elles avaient reproduit le bijou comme elles avaient pu. Certaines boucles étaient métalliques, d'autres en tissu ou en plastique, rose saumon ou rose fuchsia, parfois même presque rouges, comme les glaces à la framboises que M. Lucien vendait en été.
Depuis la fenêtre de notre appartement, ma sœur et moi étions bien placées pour observer ce qui était en train de se passer. - Encore une ! - Ca fait quinze. - Et là-bas, les jumelles : seize et dix-sept ! En quelques jours, la rue principale qui ondulait jusqu'à la mairie se trouva parsemée d'oreilles roses, de petits points brillants comme autant de saumons remontant une rivière.