Extrait du livre La jeune fille et la cigogne
La jeune fille et la cigogne de Raphaële Lennoz des éditions La Pimpante
La jeune fille et la cigogne
Dans un orphelinat austère au fin fond de la Russie, une petite fille rêveuse gardait toujours des miettes de pain dans sa poche. « Apprendre à se débrouiller seule dans la vie car personne ne vous aidera... » Dès le lever du lit, alors que les enfants récitaient en chœur cette devise de l’établissement sous la vigilance autoritaire des surveillants, Tamina était songeuse. Elle imaginait secrètement qu’un beau matin, un oiseau lui rendrait visite, apportant avec lui un peu de liberté. Mais les jours défilaient, plus longs et plus tristes les uns que les autres. Il fallait l’admettre : les murs étaient trop hauts, les fenêtres très étroites, et le goudron de la cour si épais qu’aucune fleur ne pouvait y pousser. « Jamais le moindre moineau ne viendra picorer des miettes dans ce lieu sinistre, il n’y a même pas un arbre pour se percher ! » déplora Tamina. Il était temps de prendre une décision des plus osées : « Cette nuit, je déroberai les clés dans le bureau de la directrice, et je me sauverai de cet endroit. » Quelle ingéniosité il lui fallut pour mener son plan à exécution ! Son courage fut largement récompensé quand la serrure de l’immense portail se déverrouilla...
– Ça y est, je suis libre ! Cette escapade interdite mena Tamina aussi loin que ses jambes le lui permirent, et ce n’est qu’au petit matin qu’elle parvint, essoufflée, devant une grande prison qui ressemblait étonnamment à celle qu’elle venait de quitter. Pas d’enfants derrière les barreaux, mais toutes sortes d’animaux enfermés dans des cages ! Tamina était arrivée aux portes d’un zoo. Elle se précipita aux volières afin de distribuer ses miettes de pain. Au milieu de ces oiseaux aux airs tristes, une cigogne toute rabougrie l’interpella. – Aide-moi petite fille, je me sens si seule, j’ai si froid ici, j’ai besoin de migrer en Afrique, de sentir la chaleur du soleil sur mes ailes, mais ces grilles m’empêchent de prendre mon envol ! Tamina ne réfléchit pas longtemps à la demande de la cigogne : elle aussi avait froid, se sentait seule et aurait bien aimé sentir la chaleur des bras d’une maman ou d’un papa, en Afrique ou ailleurs. Elle comprenait mieux que quiconque cette envie de liberté, et ouvrir la porte d’une volière était un jeu d’enfant après l’exploit qu’elle venait de réaliser !
– C’est d’accord Cigogne, mais je pars avec toi ! Ni une ni deux : encore un agile tour de main de la fillette, et les deux complices purent s’enfuir, sans jamais se retourner. C’est ici que commença la merveilleuse aventure de Tamina et de la cigogne. Haut dans le ciel, elles profitaient d’un fabuleux spectacle à chaque battement d’ailes. Elles étaient libres comme l’air.
À voler sans s’arrêter des heures et des heures, elles avaient oublié de reprendre leur souffle et c’est à la vue d’une immense étendue d’eau qu’elles ressentirent la soif, puis la faim. Le lac Baïkal fut leur première halte, mais le rigoureux hiver russe l’avait recouvert d’une épaisse couche de glace. – Qu’allons-nous faire, Cigogne ? Par chance, Olga, une souriante meneuse de chiens qui passait par là, les invita à prendre place sur son traîneau : – Venez faire un tour avec nous !
Pas moins de quatre huskies entraînaient cette drôle de luge avec une énergie délirante : la course s’annonçait renversante ! Olga dissimulait sous une couverture du pain d’épice et du thé au miel, qu’elle partagea volontiers pendant la longue traversée du lac. Enfin arrivées sur l’autre rive, elles échangèrent des bises chaleureuses sur leurs joues refroidies. Tamina et Cigogne reprirent la voie des airs, et autour d’elles se mirent à tourbillonner des flocons de neige.
Le vent soufflait dans la bonne direction et les menait bon train vers leur destination, quand à nouveau leur ventre se mit à gargouiller de faim. Elles décidèrent le soir même de camper dans l’ébouriffante steppe de Mongolie. Cette fois, c’est Kushi et ses parents qui les accueillirent à bras ouverts dans leur yourte. Pendant qu’elles trempaient des bonbons au lait dans du thé salé au coin du feu, Kushi leur expliqua : – Ma famille possède un troupeau de mille et un rennes, et je connais le nom de chacun. Je sais aussi attraper les courants d’air, et si je me concentre fort, j’arrive à faire fleurir les pierres.