Extrait du livre La Quête des sept sorciers
La Quête des sept sorciers de Luc Marie et les apprentis sorciers de la rue de Florence et la promotion Lyfoung de l'Académie Brassart Delcourt aux éditions du Jasmin
La Quête des sept sorciers
1 Les sept pierres 20 octobre 1887. L’horloge sonna minuit. Mortilius Jacks entra précipitamment dans sa minuscule demeure. C’était un homme d’une quarantaine d’années, au visage pâle, au chapeau pointu et à la longue barbe blanche. Tous les habitants s’accordaient à penser que c’était le dernier des magiciens. La petite pièce sombre et étrange n’était éclairée que d’une bougie dont la cire rouge coulait sur une pile de grands ouvrages poussiéreux. L’homme était affolé. À travers la lucarne de sa chambre, il devinait dans le noir une foule de villageois armés de torches, de fourches et de râteaux. Telle une horde de loups, elle se dirigeait vers son logis en criant : « À mort ! À mort ! » Il fouilla toute la pièce, inspectant tiroirs, placards et vêtements, ne laissant aucun centimètre carré échapper
à sa recherche minutieuse. Il était déterminé à trouver quelque chose avant que cette troupe sauvage ne s’empare de lui… Mais quoi ? Le sorcier mit enfin la main sur ce qu’il cherchait, dans le troisième tiroir d’un très ancien meuble. Ce n’était qu’un bol en terre cuite contenant sept vulgaires pierres, mais Mortilius semblait soulagé. Il les prit dans sa main, arracha la première page d’un livre qui était sur son bureau et écrivit dessus. Il sortit brusquement sa baguette magique de son long manteau noir et la pointa sur les pierres. Fermant les yeux, il se concentra et prononça des formules magiques en langue celte. Au fur et à mesure que les mots sortaient de sa bouche, la baguette projetait une lumière de plus en plus forte, de plus en plus intense. Au dernier mot, un éclair blanc jaillit de la baguette et, un court instant, une lumière aveuglante envahit tout le village. Le puissant éclat arrêta tous les sauvages assoiffés de sang, stupéfaits par ce rayonnement qui annonçait un grand danger. Les sept pierres s’étaient maintenant changées en de magnifiques pierres précieuses. N’entendant plus aucun bruit, Mortilius se risqua à regarder discrètement à travers la lucarne. Les villageois étaient aussi immobiles que sur un tableau. Celui que Mortilius identifia comme étant le meneur se tourna vers la foule qui le suivait et brandit fortement sa fourche en hurlant : « À mort!!! » Et tous le suivirent d’un même pas lourd, vers la cabane du pauvre homme posté devant sa ridicule fenêtre. Mortilius se jeta sur le message qu’il prit d’une main ferme, tout comme sa baguette qu’il tenait toujours dans son autre main. Sans prononcer un mot, il fit disparaître les sept pierres et le papier dans un éclair moins vif que le précédent. Sans même que le sorcier s’en soit aperçu, les villageois venaient d’envahir sa demeure. Ils n’en firent qu’une bouchée. De l’autre côté du village, dans une forêt éclairée par le reflet du soleil sur un croissant de lune, la femme du malheureux courait à toute allure. Une infime source de lumière blanche prit naissance à la base du hêtre qui lui faisait face puis s’éteignit lentement. Elle s’arrêta, puis, à l’approche de la source, redoubla de précaution comme jamais auparavant. Sur ce morceau
de papier consumé qui venait d’apparaître, elle reconnut l’écriture de son mari : Ne t’arrête pas ! Continue de courir. J’ai dispersé mon âme dans sept pierres, que j’ai pris soin d’éparpiller dans les différents lieux mystérieux que tu connais. Quand tu arriveras au village des sorciers, constitue un groupe de sept des plus courageux magiciens pour qu’ils aillent les retrouver. Lorsque les sept pierres seront réunies au village, lance-les en même temps dans le lac du Phénix et nous pourrons ainsi nous retrouver. Mortilius Gorge et poings serrés, elle reprit rapidement sa route vers le village, déterminée à solliciter l’aide des sorciers les plus puissants. Voici l’histoire de leurs quêtes. 2 Le prince ensorcelé Émeline était à bout de souffle. Arrivée au village, elle puisa dans ses dernières forces pour dépasser la dizaine d’habitations de pierre en toit de chaume qui le composait. La fumée qui sortait de leur cheminée semblait danser avec celle du grand feu qui trônait au centre du bourg. Habituellement, des villageois s’y retrouvaient pour chanter ou simplement discuter. Mais à cette heure de la nuit, il n’y avait personne. Haletante, Émeline se dirigea en direction de l’unique maison creusée au cœur d’un tronc de chêne. Elle frappa à la porte de bois. Au bout de quelques secondes, un rai de lumière perça le seuil de l’entrée. Émeline entendit le parquet craquer sous des pas.
– Qui est là? demanda une voix masculine à travers le bois. – Lazare, c’est moi, Émeline, répondit-elle encore essoufflée par sa course. Lazare tourna le loquet et la porte s’ouvrit en grand. – Bonsoir, Émeline, que viens-tu faire à une heure aussi tardive ? interrogea le jeune garçon. Lazare était certainement l’un des sorciers les plus respectés du village. Ce jeune garçon aux yeux aussi noirs que ses cheveux avait été l’un des plus fervents disciples de Mortilius. Le plus grand des mages avait toujours décelé en lui une force naturelle unique. Il avait toujours pensé que Lazare était l’un des cinq héritiers des éléments, sans l’avoir jamais vérifié. Même s’il n’avait pas encore dévoilé l’étendue de ses pouvoirs, Mortilius le devinait dans chacun de ses gestes. Lazare avait toujours voulu lui prouver qu’il avait l’aptitude de maîtriser un ou plusieurs des quatre éléments, en vain. Il savait que les pouvoirs des héritiers se manifestaient au cours de rudes combats qu’il n’avait jamais eu l’occasion de livrer. Émeline était certaine que Lazare serait d’une aide précieuse.
– Lazare ! Il s’est passé quelque chose d’affreux! Ils ont eu Mortilius ! Les larmes noyèrent ses yeux. – Mais comment est-ce possible ? demanda Lazare, incrédule. Entre, Émeline, tu vas tout me raconter. L’intérieur du tronc était beaucoup plus grand qu’il n’y paraissait. Les cernes du bois étaient restés visibles sur les murs et la décoration, sobre, ne dénaturait pas ce matériau remarquable. Lazare déposa une plume, un encrier, des enveloppes et quelques papiers sur la petite table qui faisait face à Émeline. Assise dans un fauteuil au coin du feu, elle avait le regard fixé sur les flammes qui lui rappelaient l’enfer auquel elle venait d’échapper. – Il te faut autre chose, Émeline ? demanda Lazare. – Aurais-tu six rapaces messagers à ta disposition? demanda-t-elle en plongeant la plume dans l’encre noire. – Malheureusement non. Mais il doit me rester deux boîtes de téléportation postale. – Je veux bien, merci. Je me débrouillerai pour les trois autres, répondit-elle en commençant à écrire sur une feuille. Lazare ouvrit la grande armoire à droite de la cheminée. Il en sortit deux belles boîtes métalliques sur lesquelles était écrit en lettres d’or : Téléportation postale. Il les déposa à côté des papiers. – Voilà. Il te suffit d’y insérer ta lettre, de visualiser l’endroit où tu veux qu’elle apparaisse, et de taper un grand coup dessus. La boîte se cassera en morceaux, mais ta lettre sera partie directement vers son destinataire, expliqua-t-il. – Merci, Lazare, nous gagnerons ainsi un temps précieux. Le jeune sorcier s’assit dans le fauteuil juste à côté d’Émeline. Dans ce petit salon de bois, seuls résonnaient le crépitement des flammes dans la cheminée et le léger frottement de la plume d’Émeline sur le papier. Lazare se risqua à briser le silence. – Tu ne m’as toujours pas dit où se cachait la pierre que je devais récupérer. Émeline s’arrêta d’écrire. Elle déposa la plume dans l’encrier et plongea son regard dans celui de Lazare, hésitant à lui répondre. – Tu trouveras la pierre auprès de Jackson.
Les traits de Lazare se décomposèrent. – Dans la caverne du prince ensorcelé ! – Elle-même. – Il faudrait être complètement fou pour s’y aventurer ! Lazare regarda la cheminée, l’air pensif. – J’irai, déclara-t-il. – Je savais que je pouvais compter sur toi, Lazare, ditelle en le regardant, pleine d’admiration. Veille à ne pas le blesser… ou pas trop gravement, du moins, ajouta-telle. N’oublie pas que c’est le frère de Mortilius. – J’y veillerai. Lazare prit une gourde d’eau ainsi qu’un sac à dos rudimentaire qu’il remplit de vivres. Émeline terminait de glisser chaque lettre dans une enveloppe, et inscrivit le nom des destinataires : Mathilde Bons Léa Macbeth John Black Leïla Campbell Ciganot Warel Elle mit les deux dernières dans les boîtes téléportatives et les déposa sur la table. Elle plaça ses mains sur chacune d’elles, puis frappa d’un coup sec les petits objets, qui se brisèrent, vides. Les lettres s’en étaient allées vers leurs destinaires. Émeline se leva pour partir, mettant les trois autres lettres dans la poche de sa robe. Lazare, qui avait enfilé sa cape violette, passa devant elle pour se saisir d’un livre posé sur la table basse : Tout savoir sur les créatures de la Forêt du Danger. – Ça pourrait me servir, là où je vais, dit-il en montrant le livre à Émeline. Si personne n’en est jamais revenu pour en parler, c’est certainement que la caverne se trouve là où règnent nombre de ces créatures, – Tu as raison Lazare, dit-elle en l’enlaçant affectueusement. Fais bien attention à toi. Le jeune sorcier quitta sa demeure et partit pour une longue nuit de marche. À l’aube, il avait déjà épuisé la moitié de ses réserves de nourriture, et il ne lui restait plus une goutte d’eau dans sa gourde. Non loin de là où il se trouvait, Lazare sentit la présence d’une source d’eau. Un lagon, une rivière, une cascade ? Il n’en savait rien. Mais à chaque pas, il sentait toujours plus d’humidité.
Il n’avait jamais autant ressenti la présence d’un des quatre éléments. Se pouvait-il que Mortilius ait vu clair dans ses pouvoirs ? Ses pensées s’interrompirent en arrivant au bord d’un grand lac cerné de montagnes. C’était inespéré. Assoiffé, il sortit la gourde de son sac. Il allait enfin pouvoir la remplir d’eau fraîche. Accroupi au bord du lac, il l’immergea dans le lac. Le silence qui régnait alentour ne le rassurait pas. Il guettait le moindre mouvement dans les arbres et à la surface de l’eau. Il se rappelait avoir lu un chapitre entier de son livre qui parlait d’un lac similaire dans lequel vivaient des créatures voraces. Ce souvenir lui glaça le sang, et il se pressa de remplir sa gourde. Il la referma et la rangea dans son sac, rassuré de n’avoir vu aucune de ces créatures. Lazare releva les manches de son pull et plongea ses mains dans l’eau pour se désaltérer. Il savourait avec bonheur chaque gorgée, quand soudain une palme couverte d’écailles vertes lui agrippa le poignet. Une créature tira d’un coup ferme le bras de Lazare, qui plongea dans le lac. Il se débattait de toutes ses forces, mais la prise était trop forte, et la créature trop puissante. Il n’avait pas pied, n’avait presque plus d’oxygène et buvait la tasse. Il fut violemment attiré dans les profondeurs du lac. Sous l’eau, il ouvrit les yeux et vit le reflet du soleil s’éloigner rapidement. Il se tourna vers la créature et la reconnut aussitôt. C’était un kappa adulte, il en était certain : il avait les mêmes traits que sur l’illustration de son livre. Il se souvint que la particularité du kappa était la petite soucoupe scintillante qui lui recouvrait le crâne. Une fois la soucoupe cassée, le kappa devenait esclave de celui qui l’avait brisée. Lazare n’avait pas d’autre solution. Il donna de violents coups de pied sur le visage et le crâne du kappa qui continuait de l’entraîner vers le fond. Lazare n’avait plus d’air dans ses poumons. Sa tête commençait à tourner et ses tympans étaient prêts à exploser sous la pression. Tentant le tout pour le tout, il frappa puissamment la soucoupe du kappa. À court d’oxygène, il s’évanouit. – Reuheuheuheuh… Allongé sur le bord du lac, complètement trempé, Lazare crachait toute l’eau qui s’était infiltrée dans ses poumons. Il libéra totalement ses bronches avant d’ouvrir les yeux.
Il cria de peur et eut un mouvement de recul. Le kappa était penché au-dessus de lui. – Qui es-tu?! Que fais-tu là?! demanda Lazare en se redressant. – Maître, dit la créature d’une voix aussi aiguë que celle d’un enfant. Le kappa s’inclina et vint baiser les pieds de Lazare qui s’en dégagea vivement. Le jeune sorcier remarqua alors que la soucoupe de la créature était brisée et laissait apparaître un cratère visqueux. – Je… je t’ai battu? demanda Lazare. – Maître… oui maître, dit le kappa en s’inclinant une nouvelle fois. Il avait un regard glacial, des dents pointues, le corps couvert d’écailles et de pustules vertes. Ses mains palmées dénotaient avec ses pattes de charognards aux griffes aiguisées. Son dos était couvert d’une carapace de la taille de celle d’une tortue géante. Lazare se souvint aussitôt : – Tu ne peux pas rester en dehors de l’eau trop longtemps, n’est-ce pas ? demanda-t-il à l’animal. Sinon, tu te transformes. – Oui, maître, répondit le kappa les yeux toujours baissés vers le sol.