Extrait du livre Le bestiaire d'Ava
Le bestiaire d'Ava Femme de Cro-Magnon d'Erolf Totort aux éditions Points de suspension
Il y a 22 000 ans, au paléolithique supérieur, l’Homo sapiens, notre ancêtre, vivait au cœur de la nature. Les mammouths, les rhinocéros laineux, les bisons traversaient les plaines de l’Île-de-France. Les troupeaux de rennes pâturaient à peine plus au nord, les ours et les lions habitaient les cavernes du Périgord. Les hommes et les femmes de cette époque nous ont laissé en témoignage : des dessins, des objets gravés, des bas-reliefs, des peintures et des gravures sur les parois des grottes, dans les abris sous roche. Les figures retrouvées représentent des signes abstraits, des silhouettes anthropomorphes, mais surtout des animaux. Les animaux étaient partout. Nous les avons chassés pour leur viande, leur peau, leurs griffes, leurs dents, leurs os… Nous avons pu supporter les hivers rigoureux emmitouflés dans leur peau, nous nous sommes éclairés grâce aux lampes à huile brûlant leur graisse, les hommes ont utilisé leurs parures pour séduire ou convoquer les esprits. Sans les animaux il n’y aurait pas d’humanité. Ici, c’est Ava, une femme de CroMagnon qui a vécu entre la Loire et les Pyrénées il y a 22 000 ans, qui va partager avec nous ses dessins et ses histoires d’animaux sauvages.
Bison Les femelles sont grosses en hiver. Les mâles sont gros au printemps. Nous chassons les bisons lors de leur passage, lorsque les troupeaux traversent les steppes du nord. Grillée, leur chair saignante est délicieuse. La Grande-Mère nous les a donnés, à nous ses filles. La viande séchée se conserve pour nous nourrir durant le mois de la Terre-Gelée, quand il fait trop froid pour sortir. Leurs peaux sont grandes, elles nous servent à construire nos huttes, à couvrir le sol. Nous faisons fondre leur graisse pour nous éclairer, brûler leurs os pour nous chauffer. Grâce à leurs tendons, nous pouvons attacher, ficeler. Le clan de la Grande-Ava ne pourrait pas vivre sans les bisons.
Mammouth J’entends le sol gronder. Les grands mammouths arrivent du nord. Ils passent au loin armés de leurs défenses blanches, écrasant la terre de leurs puissantes pattes. Nag le frère de ma mère m’a rapporté un morceau d’ivoire de son voyage vers le soleil levant. J ’ai sculpté dedans, une petite statuette de Mère, comme le font les mères de mon clan. J’ai demandé à la Grande-Mère sa protection. Nag raconte que là-bas, vers le soleil levant, il y a tellement de carcasses de mammouths que les chasseurs et les mères les utilisent pour construire des huttes solides. Il dit qu’elles ressemblent à des petites grottes et que chaque cycle de treize lunes, quand le froid revient, le clan les retrouve intactes, et peut ainsi s’y installer à nouveau pour passer l’hiver au chaud. Un jour, j’irai sur la piste du soleil levant. Un jour j’irai voir.
Rhinocéros laineux Deux énormes rhinocéros laineux combattent depuis le lever du jour. Mon fils Petit-Talao m’appelle. Il est fasciné. C’est la première fois qu’il les voit. Leur silhouette se détache au loin. Je ne veux pas m’approcher. Ils sont dangereux. Leurs cornes longues et fortes se frappent lourdement. Le son de leurs heurts est grave et profond. Comment font-ils pour ne pas tomber à chaque coup ? Quand ils seront partis, nous irons ramasser leurs longs poils arrachés et éparpillés dans les herbes. Avec, nous ferons des fils pour tresser nos cheveux, et des lacets pour nos colliers.