Extrait du livre Le Jour où j'ai grandi
Le jour où j'ai grandi de Madeline Roth et Lucille Michieli aux éditions L'Etagère du bas
Le Jour où j'ai grandi
Ce matin, Louve n’a pas envie de se lever. On est le 31 décembre. Elle s’est réveillée tôt, mais elle a regardé longtemps le vent dans l’arbre en face. Elle a beau trouver ça un peu stupide, cette idée de résolutions, elle a soudain bien envie qu’à partir de demain, tout change. Elle a surtout envie de le décider, elle, et de tout changer, elle. Elle entend sa mère qui l’appelle de la cuisine. Il y a des odeurs de pain chaud.
Quand elle se lève, la lumière du jour est déjà différente. Elle se serre contre le corps de sa mère. Elle dit : « Maman, je vais marcher un peu. » Et puis elle emporte un bout de pain, du papier, des enveloppes et un stylo.
Louve se met en marche. Elle réfléchit mieux en marchant. C’est sa forêt. Louve y a grandi. Quand elle était petite, toute petite, sa mère ne voulait jamais qu’elle s’éloigne. Pas plus loin que l’arbre. Pas plus loin que la rivière. Pas plus loin que les rochers. Louve faisait, chaque jour, un pas de plus. Elle rêvait d’explorer. De sentir. De toucher. De sortir à l’aube, quand tout est silence, caresser l’herbe mouillée de rosée. Ou d’avancer dans la nuit, quand une branche d’arbre craque et résonne. Quand on retient son souffle pour ne rien déranger.
Louve, souvent, elle aurait voulu que quelqu’un décide à sa place. Lui dise quoi faire des deux petits cœurs opposés qui semblaient s’affronter au-dedans d’elle. Celui qui lui disait « Saute, vole, fonce » et l’autre, plus peureux, ou plus sage, qui chuchotait « Respire, reste là, dors ». C’était fou, ça, d’être une et, à la fois, deux. Dans la même journée, se dire « J’y vais, plus loin que l’arbre, plus loin que la rivière, les rochers », et ne faire qu’un pas, ou deux, et revenir, pas tellement parce qu’elle avait peur, mais parce qu’il y avait comme un centre de gravité au-delà duquel Louve, au lieu de s’agrandir, de s’élever, semblait se craqueler.