Extrait du livre Le tigre amoureux
Le tigre amoureux Muriel Carminati & Barbara Martinez aux éditions Callicéphale
Le tigre amoureux
Il a l’air triste ! Une petite fille vient de crier ces mots. - C’est normal, il doit regretter la savane, explique son père. Ces humains, quels ignorants ! Je viens de Sibérie et, là-bas, il n’y a pas de savane, que je sache ! Content de lui, le père ajoute : - Ou alors il voit tous ces barreaux qui te protègent de lui et, sans eux, il ne ferait qu’une bouchée de toi… C’est complet ! Moi, un mangeur d’enfants, on aura tout entendu… Je soupire et je pose la tête entre mes pattes. Mais pour ce qui est de la tristesse, elle n’a pas tort, cette petite fille…
Et je vais vous en avouer la raison : je suis amoureux de ma dompteuse. Je n’y peux rien, chaque fois que je la regarde, je sens bouger mon cœur comme la glace en pleine débâcle. Ah Clara, Clara ! Tes yeux, c’est la nature qui explose au printemps en bouquets de paillettes émeraude… Ta chevelure ondule pareille à l’eau qui murmure en mille ruisselets… Et ta jupe virevolte comme un soleil de feu qui embrase tout mon être. Voilà bien tout ce que j’aimerais lui dire !
Lorsque nous répétons, je souris dans mes moustaches, m’exécutant de bonne grâce. Je fais mine de me tromper parfois, juste pour la voir froncer ses jolis sourcils et taper du pied. Mais en général, j’obéis à ses demandes car j’adore recevoir ses compliments et ses caresses. Bien sûr, devant le public, je montre mes crocs, je sors mes griffes, je dois avoir l’air terrifiant… et la perle de mon cœur recueille alors les plus vifs applaudissements !
Tout aurait été pour le mieux mais hélas… Culbuto l’équilibriste lui faisait la cour. Il commençait à me courir sur l’échine, ce grand haricot aux airs supérieurs qui se prenait pour un aigle planant dans les hauteurs… Alors, une nuit, n’y tenant plus, je suis sorti de ma cage. (Oui, j’ai appris à actionner le verrou. Chut, c’est un secret, personne ne s’en doute…)
Je suis allé emprunter la fiole d’huile avec laquelle Monsieur Hercule fait reluire ses muscles. Ensuite, j’ai grimpé le long de l’échelle jusqu’au fil que j’ai enduit d’un bout à l’autre.
J’en ai été quitte avec une épaule endolorie mais lui, le funambule, a fait un vol plané impressionnant le lendemain soir. Il ne tutoiera plus les étoiles de sitôt, je vous le dis !