Extrait du livre Le tyran des mots
Le tyran des mots des Rémi David et Valérie Michel aux éditions Motus
Le tyran des mots
Dans un pays dont il vaut mieux taire le nom, un horrible tyran régnait depuis longtemps. Comme nombre de tyrans, il répétait sans cesse qu’il aimait son pays et qu’il aimait les gens. Mais ce qu’il aimait surtout, ce n’était pas son pays : c’était principalement le pouvoir et l’argent.
Plus les années passaient, plus le tyran sentait grandir en lui une peur qui devint obsédante : c’était que l’on décide de mettre sur le trône quelqu’un d’autre que lui. Car dans tout le royaume, un mot se chuchotait : c’était révolution.
Il avait déjà fait enfermer, torturer tous ceux qu’il avait su être opposés à lui. Pourtant rien n’y faisait : le mot continuait sans cesse de gronder, comme une colère qui monte. Chaque jour le tyran s’efforçait de trouver une idée pour ne pas qu’on le chasse du trône. Il cherchait, il cherchait... mais avait beau creuser, il ne parvenait pas à trouver comment faire.
"Bien sûr, mais c’est bien sûr ! Mais comment se fait-il que je n’y aie pas pensé ? C’est pourtant évident ! Ceux qu’il me faut combattre, qu’il faut emprisonner, ce ne sont pas les gens, mais non : ce sont les mots !" "Si je fais disparaître le mot révolution, plus personne ne saura ce qu’est une révolution. Et ne sachant pas ce que c’est, pas même que ça existe, personne ne la fera, cette révolution !"
Le tyran fit savoir qu’il tiendrait prochainement une grande réunion à laquelle tout le peuple pourrait participer, qui serait l’occasion de pouvoir lui poser n’importe quelle question et serait retransmise partout dans le royaume. "Il va encore, je pense, augmenter nos impôts et s’en mettre plein les poches." "À mon avis, il va dire qu’il déclenche une guerre." "Et s’il avait enfin pris la résolution de se retirer du trône ?"
Après quelques questions qui furent toutes posées par simple politesse, quelqu’un leva le doigt : "Que pensez-vous des bruits qui courent dans le royaume d’une révolte ou bien même d’une révolution ?" Le tyran n’attendait que cette question-là. "Ne parlez pas de révolte ni de révolution. Ces mots sont tous les deux des termes inacceptables dans notre bel État. Si vous les employez, c’est que vous devez être une ennemie de la paix ! À partir de maintenant, il sera interdit de dire, de chuchoter, de hurler ou bien même de mentionner le mot révolte ainsi que le terme révolution. M’avez-vous bien compris ?"
Dès le lendemain, des hommes, des femmes et des enfants furent arrêtés, car ils avaient osé dire l’un des mots désormais interdits dans le pays. La répression fut telle que, très vite, plus personne n’osa les prononcer, d’autant plus que partout des micros furent posés. Certains dans les écoles, les collèges, les lycées, les universités, d’autres, dans les maisons, les parcs, les magasins. Il y en avait même de cachés aux toilettes.