Extrait du livre Petits pains poèmes
Petits pains poèmes de Daniel Schmitt et Gilles Bourgeade aux éditions du Jasmin
LA RUE DU POETE A Manosque il existe la Rue du Poète Etroite tortueuse et courte infiniment Et de ma vie déjà longuette Jamais n’en avais vu avant De Rue du Poète Dans la Rue du Poète Fort peu de monde passe On ne peut être Rue du Poète Et boulevard tout à la fois C’est tout à fait normal C’est dans l’ordre des choses Les plus grandes artères étant réservées A Monsieur Thiers ou à tel général sanglant Un poète est un sentier Un chemin de traverse Parfois même une impasse Et c’est bien comme ça
BILLE DE CLOWN La gueule enfarinée C’est une destinée Tu peux toujours te lamenter Ou essayer de t’amender Depuis longtemps déjà tu as choisi ton juge Et tes grimaces qui l’ont fait te condamner A porter le masque de ton vrai visage CHANSON DES VOLEURS DE POEMES On m’a volé les poèmes Me dit-elle un peu peinée On m’a volé les poèmes Que tu m’avais donnés Des poèmes va la belle En veux-tu ? Tiens en voilà ! Et merci pour la très belle Histoire que voilà On m’a volé mes poèmes Je ne l’aurais jamais cru Car les voleurs de poèmes Ça ne court pas les rues
CHANSON A SAUTE-BERGÈRE Sur la table où je travaille Sur cette table où j’écris Sur le rectangle où j’appuie Ma feuille-champ de bataille L’épais buvard fait un pli Ou pour mieux dire une bosse Ce qui fait danser ma plume Plume qui est un crayon Crayon bic ou crayon feutre Peu importe restons neutre A la plume revenons Puisque le pli ou la bosse Fait danser mon écriture Comme plume ou comme cosse De noix sur un ruisseau pur Qu’est-ce à dire... Souhaitons Que mes lignes soient légères Grâce à la vague ma chère Qui leur fait faire des bonds Jouer à saute-mouton Ou bien à saute-bergère 24 février 1990 BALADE EN LONGEANT LA VIE Ne me demandez pas qui je suis Ne me demandez pas ce que j’ai fait Ne me demandez pas d’où je viens Ne me demandez pas où je vais Je ne sais pas qui je suis Je ne sais pas ce que j’ai fait Je ne sais pas d’où je viens Je ne sais pas où je vais Je peux dormir pendant des années Je peux veiller pendant des années Je ne vous connais pas plus que je ne me connais Vous m’obsédez et je vous oublie Et l’inverse est aussi vrai Et je vais longeant vos vies Et je vais longeant ma vie Sans jamais y pénétrer 22 février 1987
CHANSON DE LA CUISINIERE A côté de la cuisinière Il y avait dans un panier Tapissé d’un vieux pull-over Un chat en rond qui ronronnait A côté de la cuisinière Sur un tapis il y avait Couleurs passées couleur poussière Un chien en rond qui sommeillait Il y a des années-lumière Mais c’est encor tout à côté Qu’on réchauffait le four ouvert Nos pieds par la neige mouillés Et comme si c’était hier Dans un coin frileux du passé J’entends la vieille cuisinière Avec les bêtes respirer 26 décembre 1988
AVEC MON OMBRE J’écris avec mon ombre Un poème sans mots Nul ne saura jamais son bruit de vent et d’eau Moi-même j’oublierai Ce flot qui me traverse Moi-même j’oublierai Ce souffle qui m’emporte Ces fragments de moi-même Ces fragments de mon ombre Bouts de vie incertaine Dans l’Espace et le Temps BALADE DE LA BETE A BON DIEU Au seuil de l'hiver Cette bête à bon Dieu Là posée sur la table Où je trace ces vers Je la récupère Sur cette feuille Elle se recueille Parmi les mots J'ouvre la porte-fenêtre Et l'invite à s'envoler En secouant ce papier Vers un arbre-ancêtre Elle s'envole Et mes paroles Rentrent avec moi dans l'atelier 14 décembre 1988
LA MARCHE Je ne sais pas où ils vont Sous le silence des arbres Dans le silence des herbes Sous le silence du ciel Je ne sais pas où ils vont Cloîtrés dans leur silence Complices des arbres des herbes Sous le poids sans poids du ciel Je ne sais pas où ils vont Ils marchent marchent marchent Ils ne savent pas où ils vont Leur marche seulement leur marche Elle seule sait où ils vont Mougins, 4 mai 1997