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Surprise à Venise

Surprise à Venise

9-12 ans - 27 pages, 4840 mots | 37 minutes de lecture | © Fanny Joly Numérik, 1997, pour la 1ère édition - tous droits réservés


Surprise à Venise

9-12 ans - 37 minutes

Surprise à Venise

'' ... Les étiquettes pleines de zéros valsent dans la tête d'Enzo. C'est sûr le trésor qu'il serre sous son blouson vaut plus de sous qu'il n'en a jamais vu de toute sa vie. '' Une folle et captivante poursuite à Venise.

"Surprise à Venise" vous est proposé à la lecture version illustrée, ou à écouter en version audio racontée par des conteurs et conteuses. En bonus, grâce à notre module de lecture, nous vous proposons pour cette histoire comme pour l’ensemble des contes et histoires une aide à la lecture ainsi que des outils pour une version adaptée aux enfants dyslexiques.
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Extrait du livre Surprise à Venise

Surprise à Venise de Fanny Joly et Philippe Poirier aux éditions Fanny Joly Numérik


1) Une gondole pas comme les autres Enzo a l' oreille fine. Dès le premier cri du premier gondolier, là-bas, sur le Grand Canal, il ouvre l'œil. Sans bruit, pour ne pas réveiller Sandra, Giulietta et Nina, ses sœurs, qui dorment à côté de lui, Enzo sort du lit. Derrière le pâle rideau à fleurs qui sépare le petit logement en deux « chambres » minuscules, mamma Luisa dort aussi. Sur la pointe des pieds, Enzo enfile son survêtement, ses baskets et son blouson. Il ouvre délicatement la porte d'entrée et se glisse sur le palier. Là, il fait un brin de toilette à l'eau glacée de l'antique lavabo d'étage. Il n'y a pas de miroir. Tant pis.
Enzo se peigne à l'aveuglette, avec trois doigts. Il a l'habitude. Son « diable », ce vieux chariot à roulettes dont la peinture rouge s'écaille sous la rouille, l' attend, caché dans le recoin de l'escalier. Enzo le hisse sur son dos et descend ainsi les six étages. Arrivé en bas, il s' accorde un instant de repos, histoire de reprendre son souffle. C'est que ce diable est bien lourd pour ses maigres épaules. Mais il faut bien le descendre chaque matin et le remonter chaque soir car si Enzo le laissait dans la rue, il risquerait d'être volé. Et ce serait une catastrophe pour la famille... Lorsque Enzo sort, le jour se lève à peine sur la calle Pesaro. On n'entend que le clapotis des vagues de la lagune dans le brouillard du petit matin. Le vent d'hiver fait danser les gondoles amarrées au bord du quai et le linge suspendu aux fenêtres. Enzo aime ces instants où sa rue lui appartient, sans les flonflons des radios, les rires, les cris et les touristes qui l'envahissent dans la journée. Enzo a dix ans, trois petites sœurs et une maman : mamma Luisa. Il vit en Italie, à Venise, la ville magique, construite sur la mer. La ville où l'on ne circule qu'à pied ou en bateau, où les passages cloutés sont des ponts, et les autobus, de longues embarcations à moteur appelées " vaporetto ".
Venise, " la plus belle ville du monde " celle dont les vacanciers rêvent pour leurs vacances et les amoureux pour leur voyage de noces... Pourtant, la vie d'Enzo ne ressemble ni à un rêve, ni à des vacances. Sa famille n'a jamais été riche. Mais depuis l'été dernier, elle est plus pauvre que jamais : son papa, Giacomo, est tombé du haut d'un toit sur le chantier où il travaillait. Tué net. Et c'est comme si, en ce triste jour de juillet, le bonheur et l'espoir s'étaient tués avec lui. Depuis, mamma Luisa pleure souvent et travaille tout le temps. Elle fait le ménage autant d'heures qu'il y d'heures dans la journée et de clients dans le quartier. Et malgré cela, on manque de tout, Calle Pesaro. Les chaussures de Sandra sont trop petites, le manteau de Giulietta aussi et Nina n'a même pas eu de cartable pour sa rentrée à l'école... Heureusement, il y a une chose dont Enzo ne manque pas : c'est de courage. Depuis longtemps, il a compris que pour aider mamma Luisa, il lui fallait travailler. Et pas seulement à l'école. L'école, c'est bien mais ça ne rapporte rien à manger, seulement des bonnes notes. Enzo, lui, travaille pour des sous. Chaque matin, comme ce matin, à l'heure où son instituteur et les copains de sa classe dorment encore à poings fermés, Enzo commence sa première journée de travail. La plus dure, la vraie. Il file, tirant son diable rouillé, jusqu'au « ventre » de Venise, le grand marché proche du pont du Rialto. Là, malgré l'heure matinale, les larges bateaux de transport se croisent sur le Grand Canal, pleins à ras bord de cageots multicolores. Sous les arcades, les marchands, cigarette au bec, déchargent en s'interpellant : — Ciao Massimo ! — Come va, Pier-Luigi * ? En quelques minutes, Enzo fait son choix parmi les victuailles qui s'étalent sur le quai. Il empile un cageot, deux cageots, dix cageots qu'il fixe sur son diable à grand renfort de ficelles et de tendeurs. Puis il s'en va, par la calle Botero, la calle dell'Agnelo, le long du café Tivoli. Le serveur le connaît bien. Chaque matin, il lui lance un : « Salut la fourmi ! » qui résonne à travers la ruelle. C'est vrai qu'il ressemble à une fourmi avec son chariot deux fois haut comme lui. Parfois, quand le patron du café a le dos tourné, le serveur offre à Enzo quelque chose à boire, soda frais en été, chocolat chaud en hiver. Mais ce matin, il ne faut pas y * - Salut Maxime ! - Comment ça va, Pierre-Louis ?
compter : le patron est là, ventre en avant, sur le pas de sa porte. Enzo passe son chemin sans s' attarder. Il se dépêche, il est pressé : tout doit être prêt à huit heures pour l'arrivée de Giuseppe. Giuseppe est le « patron » d'Enzo. Un marchand des quatre-saisons comme on n'en voit qu'à Venise : son magasin n'est autre qu'une gondole, amarrée Campo San Boldo, une place très passante à deux pas de chez Enzo. Quand il était petit, Enzo venait souvent rendre visite à Giuseppe, histoire de grappiller quelques fruits trop mûrs ou d'écouter les drôles d'histoires que le vieux marchand raconte de sa voix cassée. Avec le temps, Enzo a commencé à rendre quelques menus services à Giuseppe un coup de balai par ici, une livraison par là. Peu à peu, les services d'Enzo sont devenus de moins en moins menus. Au point que désormais, le vieux ne peut plus se passer de ce petit commis aussi vaillant que débrouillard. Il lui évite mille et une corvées et en particulier la corvée de se lever le matin. Car Giuseppe se couche fort tard. Chaque soir, chaque nuit, il se livre à la passion qui dévore sa vie : le jeu. Il joue à tout : au loto, au tiercé, à la loterie, au poker, au casino... « Pourquoi perdre sa vie à travailler quand on peut la gagner à jouer ? » répète-t-il souvent à Enzo.
Enzo acquiesce mais n'en pense pas moins. Les petits travaillent, les grands jouent, c' est un peu le monde à l' envers. Mais ça n'a pas que des inconvénients : après tout, si Giuseppe ne jouait pas, il n'aurait pas besoin d'un commis... Bien sûr, le salaire d'Enzo est loin d'être régulier. Quand le vieux a de la chance au jeu, Enzo rapporte de beaux billets à mamma Luisa. Quand la chance tourne, le marchand ne le paye que d'un kilo de tomates abîmées ou de pommes talées*. Mais quand on n'a rien, c'est mieux que rien. * Talées : abîmées, cognées.
2) Brillante découverte En ce samedi matin de février, le ciel est bleu mais il fait un froid de gueux sur le campo San Boldo désert. Qui aurait l'idée de quitter son lit douillet pour affronter la bise glaciale qui siffle à travers Venise ? Assis au bout de la gondole de Giuseppe, Enzo s' amuse à faire de la fumée en respirant, pour passer le temps. Son étalage est intact. Il n'a pas encore servi un seul client. Silhouette noire sur fond de brouillard blafard, un prêtre traverse le campo d'un pas pressé. — Fraises ! Citrons ! Raisins pour égayer l'hiver ! Allez, frère abbé, ça ne vous emmènera pas en enfer ! lui crie Enzo, à tout hasard.
Mais le prêtre ne s'arrête pas. Il soulève simplement son chapeau noir en adressant au petit commerçant un sourire de bénédiction... — La journée va être longue... Et dire qu'il n'y a même plus de piles dans la radio de Giuseppe ! S'il gagne au jeu aujourd'hui, il pourrait bien en acheter. . . maugrée Enzo en frottant ses doigts qui commencent à s'engourdir. Ah, si seulement j'avais des gants... Et aussi du chocolat. Mmm, une tasse de chocolat bien chaud. . . Clic clac cloc clac... Au milieu de son rêve de chocolat, voilà qu'Enzo entend des pas. Un intéressant trio vient d' apparaître au bout du campo. Il y a une grande dame en manteau de fourrure blanche. Elle tient par la main une petite fille, à peu près de l'âge de Giulietta, mais aussi blonde que la petite sœur d'Enzo est brune. Un homme à casquette les accompagne, chargé de cartons, de sacs, de paquets aux marques des plus chics magaSins de la ville. Ils s'approchent. Enzo les dévore des yeux. La petite fille a un chapeau et des chaussures vernies qui feraient baver d'envie Sandra. La dame lui parle dans un italien teinté d'un fort accent anglais — Regarde comme c'est amusant, Priscilla. C'est une épicerie sur un bateau ! Et le petit vendeur
a ton âge ! Veux-tu t' amuser à lui acheter des choses, chérie, comme si tu faisais ton marché ? Le regard bleu de la petite blonde se pose sur Enzo. Gêné, il tire la fermeture de son blouson pour cacher son sweat-shirt taché. . . Ah oui, c'est vrai, cette maudite fermeture est cassée... — Euh... fraises... Citrons...euh... raisins... bredouille-t-il. Priscilla grimpe lestement sur le bateau et se promène parmi les cageots. Elle ressemble à une vraie petite dame qui jouerait à faire son marché . — Je vais prendre des pommes. . . des melons... des bananes... Oh, des kiwis, j'adore les kiwis. . . Dix minutes plus tard, lorsque le trio repart, l'homme à casquette croule littéralement sous les paquets. Enzo, ravi, compte et recompte les pièces et les billets. Ce n'est pas un jeu, c'est pour de vrai : la caisse est pleine comme si les clients s'étaient bousculés toute la matinée. C'est alors qu'au fond de la gondole, Enzo aperçoit quelque chose qui brille. Il soulève le caillebotis de bois, plonge sa main dans l'eau croupie et en retire une pochette de satin blanc, fermée par un fermoir d'argent. Ça alors ! Ça n'y était pas tout à l'heure ! C'est sûrement la dame qui l'a laissé tomber au moment de payer. Elle n'est peut-être pas encore trop loin. Vite, Enzo bondit du bateau pour essayer de retrouver le trio. Au bout du quai, à gauche, à droite, il croit entendre un talon claquer, pousse une porte : c'est un menuisier qui travaille dans une cour. Plus loin, il lui semble reconnaître un manteau blanc... Non, c'est une dame qui secoue une nappe.. Enzo ne peut pas abandonner son « magasin » plus longtemps. Il rebrousse chemin, tournant et retournant l'objet dans ses mains. Quand il appuie, il sent quelque chose de dur. Quand il remue, ça tinte bizarrement. Il aimerait tant voir ce qu'il y a dedans ! "Je sais, essaye-t-il de se raisonner, mamma Luisa le dit souvent il ne faut jamais fouiller dans ce qui ne vous appartient pas..." Mais la curiosité est la plus forte.