Extrait du livre Voyages à perdre haleine
Voyages à perdre haleine de Béatrice Libert et Kotimi aux éditions Motus
Voyages à perdre haleine
LA VALISE Quand une valise part en voyage, elle ne voit pas toujours dans quel sens avancer. Alors plus fidèle qu’une chienne, elle bondit sur le pavé pour suivre son migrateur, la truffe au vent. Mais si le chemin lui chuchote : « Va où ton rêve te porte », elle se sent pousser les ailes d’un oiseau du paradis.
LE BOURLINGUEUR Le vrai voyageur est un voleur de mots. Il adore manger dans toutes les langues, nager dans celle de l’océan, courir dans celle des tramways, parler l’argot des koalas. Si on lui propose anguille, il répond camembert. Si on l’invite oiseau, il se réveille noix de coco. Il n’en finit pas de s’étonner ni d’étonner le monde. Et s’il n’avale jamais sa langue, il reste parfois bouche cousue devant la beauté folle d’une libellule.
ALLÉES-ET-VENUES Il n’y a pas plus sédentaire qu’un oreiller ni plus nomade qu’un tire-bouchon. On croit le tapis casanier alors qu’il plane de récit en fable et d’Orient en Occident. On ignore les allées et venues d’une bouteille à la mer, mais on reconnaît au castor l’art de bâtir sa cabane. Et l’on aimerait devenir éléphant quand il prend ses oreilles pour des ailes et sa queue pour une hélice.
LE CHAPEAU MIGRATEUR Posé de guingois sur un crâne mal rasé, un chapeau s’ennuyait. Quand il entendit l’oiseau bleu battre le rappel de ses amis, sans hésiter, il le suivit jusqu’aux forêts du Panama où il coula des jours heureux, déguisé en divan duveteux.
EXPRESS Il est passé en courant, ce poème sur l’escargot qui avait oublié de ralentir au tournant de la page.
EMBARQUEMENT C’est un vaisseau multicolore pour traverser la peur du noir. Une musique le transporte et le fait doucement coulisser de piste en pré, de pré en sphère jusqu’à l’atelier de l’artiste, jusqu’à la toile que tu regardes et qui va bientôt t’emporter…
GARE TERMINUS Les trains qui circulent sans cesse rêvent de s’arrêter un jour au bord d’une rive déserte avec, pour seuls témoins de leur infinie paresse, de vaillants goélands et de savantes tortues qui les observeraient comme des pachydermes ayant perdu la langue et les oreilles dans une gare sourde et muette.
ÉTRANGES VOYAGEURS C’est bien dommage pour une barque d’avoir le mal de mer. C’est très étrange pour un hippocampe d’avoir du vague à l’âme. C’est ma foi triste pour un équilibriste d’avoir le mal de l’air et très révolutionnaire pour un hélicoptère de se vouloir terre à terre.