Extrait du livre Amath et le Lwas
Amath et le Lwas de Maylis Daufresne et Nathalie Paulhiac aux éditions du Jasmin
Amath et le Lwas
Un bosquet d’acacias, et le voilà, le village d’Amath. Comme si le sol ici avait fait le gros dos, une grappe de bâtisses en banco rompt la monotonie d’un sol tendu à l’extrême, comme pour soutenir un ciel lourd de soleil. Des kilomètres à la ronde, c’est la terre d’Afrique : vêtue de latérite, cette écorce hâlée par d’infinis étés ne se pare que de rouges et de bruns, mais de toutes leurs nuances. Ici le sol aride et sec ne donne vie qu’à quelques épineux et concentre parfois une folle énergie pour pousser vers le ciel l’étrange baobab, corail du désert. Plus loin, un peu trop loin encore pour le petit Amath, gazelles et fennecs côtoient les premières dunes, l’erg de sable roux qui ondoie et s’enfuit à l’autre bout du monde. Amath a sept ans et quelques chèvres. Une famille, un village, et son plus grand trésor : un beau livre d’images de plantes et de fleurs africaines, laissé en héritage par quelque touriste de passage, en route pour le désert.
Mille fois feuilleté, visité, étudié, car Amath n’aime rien tant que marcher, les yeux rivés au sol. Scrutateur insatiable, il aime les arbres, les herbes, les cailloux, le sable et les épines : il aime la nature, même pauvre, et n’a de cesse de récolter chaque jour un modeste tribut qu’il offre en général à celles et ceux qui croisent son chemin. Une belle pierre ambrée pour l’un, une fleur de sorgho pour l’autre. Dans une boîte de conserve vide, prunelle de ses yeux, Amath range le soir brindilles et plumes avec d’anciennes trouvailles et s’invente des contes de forêts, de vergers, de prairies…
Le soir où notre histoire commence, Amath s’endort profondément après une journée riche en découvertes et explorations minutieuses. Il rêve. Étrange mélopée ! Une flûte peule égrène sa complainte dans le ciel limpide et réveille Amath. Cette mélodie, qui semble avoir percé les strates du temps, fascine l’enfant. Elle lui ouvre le chemin, et il la suit. Au bout du chemin il y a cette porte, comme jamais Amath n’en a vue. Barreaux ouvragés et dorés fichés dans les étoiles, si hauts que l’enfant n’en devine même pas l’extrémité. Le silence maintenant. Une imperceptible brise caresse son visage. Plus de flûte, seulement le chant d’un oiseau qui trace son sillage jusqu’au petit garçon. Attiré irrésistiblement, Amath pousse la grille colossale qui n’oppose pas de résistance. Il n’a jamais vu l’océan et c’est à lui pourtant qu’il pense d’abord. Son grand-père lui a chanté la houle et il entend la houle ! Le flux et le reflux des vagues mystérieuses et le souffle mêlé du vent et de la mer. La nuit est d’encre, Amath se laisse guider par la vaste rumeur et bientôt s’y enfonce. « Grand-père je me noie ! » pense-t-il, le souffle coupé. Il pénètre un monde bruissant et frémissant : cela chuchote, cela gronde, Amath se sent comme englouti. Par réflexe il lève la tête, avide d’air et ce sont ses yeux qui alors s’écarquillent : imprimés sur le ciel nocturne, plus noires encore que l’ébène céleste, de mouvantes dentelles à profusion ! « Gigantesque bouquet qui ondoie, qui respire ! » pense Amath, sidéré.