Extrait du livre Chine, scènes de la vie quotidienne
Chine, scènes de la vie quotidienne de Nicolas Jolivot aux éditions Hongfei
Chine, scènes de la vie quotidienne
À sept reprises je suis allé en Chine, essayant d’oublier tout préjugé pour vérifier qu’en dehors des séismes récurrents, des catastrophes industrielles, des ouvriers exploités et des décisions autoritaires du parti unique, relayés par nos actualités occidentales, se déroule du matin au soir en tous lieux le quotidien banal et parfois merveilleux des habitants, fait de gestes répétés, de rencontres habituelles, de petites peines et de joies douces, de traditions respectées ou bousculées par les temps modernes. Je voulais sentir la vie sur le seuil des maisons, écouter le brouhaha des rues et dessiner tout ce qui me surprenait le long du chemin, au rythme lent des pas du voyageur. J’ai découvert des quartiers paisibles dans des villes folles et inquiétantes, et des villages en effervescence dans des paysages parfois splendides. J’ai contemplé un nombre infini de minuscules activités tenues par des gens simples qui, comme dans le reste du monde mais en l’exprimant différemment, sourient, râlent, mangent, font du bruit, s’agitent, s’amusent, s’inquiètent, et essaient de s’en sortir pour donner une chance à leurs enfants. Les habitants d’un village au nord de Shanghai se rendent en équipe tôt le matin dans les rizières. Défilé du dragon pendant les fêtes du Nouvel An.
VOYAGER
Labour à la charrue dans les monts de lœss le long du fleuve Jaune.
Paysages de cheminées L'un des éléments les plus récurrents du paysage dans lequel vivent les Chinois est la cheminée. Elle est en briques rouges pour les plus anciennes, notamment dans les innombrables briqueteries, ou en ciment peint alternativement de bandes rouges et blanches à la sortie des chaufferies collectives au charbon. Toutes laissent leur panache griffer le ciel bleu ou se fondre dans le ciel gris pollué des grandes villes. Cheminées d’usines et de briqueteries entre les petites montagnes en pain de sucre de la région de Guilin à Wuxuan (Guangxi).
La gymnastique matinale Se maintenir en forme pour mieux servir sa patrie et vieillir en bonne santé : tels étaient les slogans du régime sous Mao Zedong, qui n’hésita pas à traverser le fleuve Yangzi à la nage jusqu’à un âge avancé pour illustrer cette propagande. Elle rejoint dans le même temps une tradition culturelle qui voue un culte à la longévité. On voit donc dans chaque quartier, sur les places, le long des trottoirs ou au parc, de curieuses mécaniques composées de rouleaux, de pédaliers et de bascules permettant à chacun de faire ses exercices physiques au milieu des gaz d’échappement. À l’heure de l’embauche, la glorification du corps sain se devait d’être associée au culte de l’esprit d’équipe pour galvaniser les travailleurs. Aujourd’hui, on les voit moins se rassembler en uniforme devant leur lieu de travail pour cette cérémonie gestuelle ; ou peut-être encore devant la seule grande surface commerciale du centre de Yan’an (Shaanxi) quand la centaine de jeunes filles employées suent de concert en bougeant les bras. Cette chorégraphie traditionnelle au moment de la prise de service est remplacée peu à peu par un simple garde-à-vous pour un briefing du manager… L’exercice physique de la marche en arrière des personnes âgées sur l’esplanade du Bund à Shanghai face au quartier financier de Lujiazui.
Voie rapide vers la ville d’Harbin, au-dessus des espaces marécageux.
La navette du port de pêche Le port de la ville de Beihai (Guangxi), au bord de la mer de Chine du Sud, n’est pas un lieu pimpant. Les sacs en plastique flottent sur l’eau comme autant de bancs de poissons morts ; les odeurs de graisse, de mazout et de la marée vaseuse piquent les narines. Un petit détail vient pourtant égayer l’atmosphère emplie du son rauque des sirènes de cargos vieillots : la cloche tintinnabulant du frêle bateau taxi qui prévient les marins, les dockers et les habitants de son passage d’un bout à l’autre du bassin. Elle semble dire : « Qui quitte le quai ? qui quitte le quai ? qui quitte le quai ?… » Sur le quai, devant sa maison, un pêcheur calfate son petit bateau de pêche avec de l’étoupe et du goudron.