Extrait du livre L'amie secrète de la Tour Eiffel
L'amie secrète de la Tour Eiffel d'Eva Bansard et Zosia Dzierzawska aux éditions Amaterra
L'amie secrète de la Tour Eiffel
Je suis une vieille cheminée d’usine, plutôt jolie dans mon genre. J’ai une silhouette mignonnette, des briques bien cuites et, sur la tête, des créneaux vraiment chouettes. Des atouts dignes d’un monument historique !
Pourtant personne ne fait attention à moi… C’est à peine si l’on sait que j’existe. Ce n’est pas faute de voir passer des visiteurs ! Mais ils n’ont d’yeux que pour ma célèbre voisine. Le symbole de Paris. Le phare de la Ville Lumière. La reine de la nuit ! Au début, je la jalousais. Tout nous opposait. Je suis menue, elle est énorme. Je suis discrète, elle est voyante. Je suis timide, elle est flamboyante ! Qui aurait imaginé qu’elle deviendrait ma gigantesque amie ?
Je suis née en 1887, juste avant la construction du métropolitain, l’apparition des premières automobiles et l’invention du Cinématographe. En ce temps-là, la tour Eiffel n’existait pas, et je régnais sans partage sur un grand carré de sable appelé le Champ-de-Mars. Pas de voisins, du calme, une vue dégagée sur la Seine. J’avais la meilleure adresse de Paris. Des écureuils grimpaient le long de mes flancs. Des oiseaux nichaient entre mes créneaux. Je veillais sur leurs poussins en regardant les péniches passer.
Et puis un matin, un affreux tintamarre me réveilla un sursaut. Encore ensommeillée, je jetai un coup d’œil en bas de chez moi. Une armée d’ouvriers avaient débarqué devant ma porte. Ils parlaient fort et agitaient des pelles et des pioches sous mon nez. S’étaient-ils trompés d’adresse ? Le contenu de leurs carrioles m’effraya. C’était un bric-à-brac invraisemblable : des caisses de boulons, des monceaux de tôles, des tonnes de barres de fer…
Des hommes coiffés de hauts chapeaux noirs regardaient cette étrange cargaison comme si c’était de l’or, en hochant la tête d’un air entendu. L’un d’entre eux, un petit barbu énergique, se posta à quelques mètres de moi et déclara : "Messieurs, nous allons entreprendre la plus incroyable construction de tous les temps." Quoi ? Ici ? Mais vous n’y pensez pas ! Et si vous alliez plutôt sur la colline de Montmartre, il doit rester une petite place près du Sacré-Cœur ? Ou alors sur les Champs-Élysées ? L’Arc de triomphe s’ennuie sûrement, tout seul sur cette large avenue… Mais personne ne m’entendit. Les ouvriers se mirent à creuser le sol à coups de pioche.