Extrait du livre Hokusai et le Fujisan
Hokusai et le Fujisan d'Eva Bensard et Daniele Catalli aux éditions Amaterra
Hokusai et le Fujisan
Dans mon pays, je suis le plus grand.
Le plus grand des volcans. Au Japon, il y en a tant. Des mille et des cents. Mais aucun ne mesure, comme moi, 3 776 mètres de haut. Je m’élève, solitaire, au-dessus des lacs, des forêts, des villages. Et même des nuages !
Moi, le Fujisan. Le mont Fuji. La montagne sacrée. Le sommet vénéré.
De ma taille imposante, je domine l’incroyable ville d’Edo, une immense fourmilière peuplée d’un million de petites fourmis travailleuses. Dès l’aube, une foule de guerriers, de moines, de marchands ambulants, d’artisans et de belles dames se pressent dans ses rues étroites, et je ne me lasse pas de les observer.
Un matin de l’automne 1804, j’émergeais tout juste de la brume quand je remarquai une agitation inhabituelle dans l’enceinte du temple Gokoku-ji. Dans ce sanctuaire d’ordinaire si paisible, entouré d’arbres et de statues de Bouddha, des cris et des clameurs s’élevaient.
Que se passait-il ? Sûrement un tournoi de sumos. Mais je ne vis aucun de ces redoutables lutteurs, prêts à s’empoigner par la ceinture. Juste un petit homme qui s’agitait sur un tapis de feuilles de papier. Il était armé d’un misérable balai de bambou, qu’il plongeait de temps à autre dans un tonneau de saké rempli d’encre de Chine ! Avec ce pinceau géant, à grands gestes, l’homme traçait des formes. Ici, un nez démesuré. Là, une oreille colossale. Un peu plus loin, un œil rond, énorme, surmonté d’un interminable sourcil. À la tombée de la nuit, un visage entier apparut ! Il devait mesurer près de vingt mètres de long. Les spectateurs, médusés, reconnurent les yeux charbonneux et le menton velu de Daruma, un moine à la sagesse légendaire. Un tonnerre d’applaudissements retentit. Qui était cet énergumène au balai ? Dans l’assistance, on murmurait son nom : Katsushika Hokusai.