Extrait du livre La charabiole
La charabiole de Fanny Joly, Denise et Claude Millet aux éditions Fanny Joly Numérik
La charabiole
Chapitre 1 Le nouveau de la classe Je m’appelle Rémi Blanc. Je ne suis ni grand ni petit, ni vraiment gentil ni franchement méchant. Mais je suis toujours au premier rang, parce que je suis le dernier de la classe. À côté de moi, il y a Quentin Corbillon. À la rentrée, quand Corbillon est arrivé dans
la cour, les copains et moi, on l’a tout de suite repéré. Il avait l’allure parfaite du premier de la classe : pantalon à pli qui tient debout, petites lunettes, cartable ciré. Il attendait, l’air de tout savoir et de s’ennuyer déjà. Ses deux parents l’entouraient. Hou ! Les parents ! Le père avait une fine moustache. La mère était comme une souris d’acier, avec chignon serré en forme de zéro sur la nuque. Ses parents ont insisté pour que mademoiselle Dumou, la maîtresse, le mette au premier rang, sous prétexte qu’il ne voit pas bien. Du coup, la maîtresse l’a installé à côté de moi. Un voisin qui révise son imparfait à
la récréation et qui se lave les dents après le goûter ! J’étais furibard. J’avais tort en réalité, car la charabiole de Quentin Corbillon, je ne suis pas près de l’oublier. Une histoire pareille, c’est comme les chewing-gums gagnants, ça fait pétiller la vie. Chapitre 2 Une réponse incroyable Bien sûr, notre maîtresse adorait Quentin Corbillon. Il était abonné au 10 sur 10, comme mon père est abonné à son journal. 10 en histoire, 10 en sciences, 10 en dessin... ça tombait sur son bureau comme des œufs frais pondus du matin ! Dès que la maîtresse
posait une question, il répondait. Il suivait les leçons comme si c’était un feuilleton à la télévision. Quelle joie pour la maîtresse de le donner en exemple. Elle nous demandait : – L’imparfait du verbe coudre ? Personne ne le sait, évidemment ! Heureusement, Corbillon est là ! Ah, si j’avais 32 Cordillon, cette classe serait un paradis ! Ce genre de phrase nous rendait dingues. Un jour, Romuald a crié en cachant sa tête sous la table. – 32 Corbillon égalent 32 cornichons ! Il a dû recopier deux cents fois : « Je ne dois pas me moquer de mes camarades. » Il savait tout, Corbillon, c’est fou ! La Lune, les robinets, les accords du complément d’objet et les hommes préhistoriques, un par un. Plus incollable que Corbillon, il n’y a que le riz, et encore ! Mais ça ne lui faisait ni chaud ni froid d’être le plus fort. Il répondait toujours du bout des lèvres, d’un air triste, comme pour dire : « Je sais tout, alors je réponds à tout. Mais si un jour il pouvait se passer quelque chose de nouveau ici... »
Et un jour, il s’est vraiment passé quelque tous la pendule en se posant la même question : les aiguilles atteindront-elles quatre heures et demie avant que la maîtresse nous interroge sur les triangles quelconques ? Pourquoi étudier ces affreux triangles, quand il y a tant de choses passionnantes à étudier : le foot, les billes, les copains, les chewing-gums gagnants ? Quatre heures et vingt-quatre minutes. Soudain, la maîtresse a demandé : – Bon, nous avons juste le temps de réciter la règle des triangles quelconques. Qui lève le doigt ? Lever le doigt ? Surtout pas ! On restait tous raides comme des bouts de bois. – Allons, vite, reprit la maîtresse, il nous reste peu de temps. Bon ! Une fois de plus, je me tourne vers Quentin Corbillon. Lui va nous dire ce qu’est un triangle quelconque. Comme on l’aimait dans ces moments-là, notre Corbillon ! Mais voilà qu’il a bredouillé : – C’est... C’est un... chioukamard avec trois gloupions !