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La nuit des géographes

La nuit des géographes

13-15 ans - 60 pages, 12371 mots | 1 heure 30 minutes de lecture | © Amaterra, 2019, pour la 1ère édition - tous droits réservés


La nuit des géographes

13-15 ans - 1 heure 30 minutes

La nuit des géographes

Une même passion réunit Lisa, Thomas et Idriss : la géographie. Pour réaliser leur rêve de voyages et de découvertes, ils partent explorer un territoire dont ils ignorent presque tout, la nuit. Mais, une rencontre impromptue va les bouleverser et chambouler leur plan. Ils reviendront de leur expédition transformés et soudés par une solide amitié.

Cet album a reçu le Prix du roman Danielle Grondein 2020 et a été sélectionné pour le Prix Renaudot des benjamins 2021.

"La nuit des géographes" vous est proposé à la lecture version illustrée, ou à écouter en version audio racontée par des conteurs et conteuses. En bonus, grâce à notre module de lecture, nous vous proposons pour cette histoire comme pour l’ensemble des contes et histoires une aide à la lecture ainsi que des outils pour une version adaptée aux enfants dyslexiques.
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Extrait du livre La nuit des géographes

La nuit des géographes de Gilles Baum aux éditions Amaterra


La nuit des géographes
Sommaire 1 Oulan-Bator ! p. 9 2 Le massif du Makay ! p. 15 3 Latitude N 47° 51’ 13’’ Longitude E 3° 17’ 12’’ p. 25 4 La zone industrielle, la zone commerciale... p. 35 5 Prochain départ : 23 minutes p. 43 6 Hong-Kong p. 51 7 Skiez à Saint-Gervais p. 63 8 Vendredi, c’est Océanie p. 71 9 Internet ne sait rien ! p. 81 10 Cité Jaurès, cité fleurie ! p. 89 11 La culture traditionnelle du riz ? p. 101 12 India pour Tango ! p. 11
1. Oulan-Bator ! Le nom claque dans la salle de classe, comme un coup de fouet. Je n’ai rien vu venir, Idriss non plus. Même le maître n’en revient pas : « Oui, Lisa… C’est ça... La capitale de la Mongolie est Oulan-Bator ! C’est toi qui remportes le challenge, bravo ! Thomas, Idriss, ne faites pas cette tête, voyons... » Je me tourne vers Idriss, la bouche grande ouverte. Lui, il regarde la fille et dans ses yeux je vois une drôle de lueur. D’habitude,
le challenge géographie du vendredi se joue entre nous deux, c’est toujours ainsi. Je crois même que M. Melvil a inventé ce jeu pour me valoriser, pour me permettre de briller de temps en temps, de sortir du rôle de Thomas-le-râleur au moins une fois dans la semaine. La géographie, c’est la seule matière qui m’intéresse, je ne sais pas pourquoi. Idriss, lui, il est fort partout. D’ailleurs, c’est grâce à ce jeu qu’on a fini par devenir copains. La géographie, c’est notre truc, notre point commun. Aujourd’hui, c’était les capitales d’Europe. Au début, on a laissé nos camarades se battre pour Paris, Rome, Bruxelles ou Londres. Trop facile pour nous. On a ri avec la meute quand Enzo a affirmé que la capitale de ’Allemagne était le Bayern de Munich, et puis on est passés aux choses sérieuses. Idriss a pris coup sur coup Oslo, Vienne et Reykjavík. J’ai gardé Stockholm, Lisbonne et Budapest. À lui Vaduz, La Valette et Kiev. À moi Tirana, Zagreb et Tallinn. Égalité ! Il a carrément fallu quitter le continent pour nous départager, ce n’était pas prévu. Dans la classe, l’excitation est montée d’un cran. Les autres n’étaient plus candidats mais spectateurs, chacun choisissant son camp. Idriss s’est jeté sur Caracas et Bombay, provoquant quelques applaudissements. J’ai contré avec Kinshasa et Séoul sous les vivats de mon public. Les plus lèche-bottes ont commencé à scander mon prénom en rythme tout en tapant des mains, c’est ridicule mais ça fait toujours plaisir. Je m’arrange juste pour ne pas le montrer.
À Buenos Aires, j’ai opposé Jakarta avec fougue. Montevideo ! Bangkok ! Yaoundé ! Kampala ! On aurait pu tenir des heures comme ça, au coude à coude, alors M. Melvil a annoncé le défi ultime avec cette formule qui sonne bizarrement quand elle est dite par un adulte : « Dernière question ! Celui qui trouve la réponse à celle-ci a tout gagné. » Dans ma tête, j’ai entendu le roulement du tambour, j’étais prêt pour la balle de match… « Quelle est la capitale de la Mongo… » Et c’est à ce moment-là que la nouvelle a surgi du fin fond des steppes avec Oulan-Bator. La peste ! Elle qui est arrivée dans la classe il y a seulement trois semaines et qu’on n’avait encore jamais entendue jusqu’ici ! On peut dire qu’elle a réussi son entrée dans la compétition, cette Lisa ! Si ça se trouve, elle ne connaissait que cette capitale en plus ! Ça m’énerve ! Dès la sonnerie, je rejoins Idriss, je l’attrape par la manche puis on fonce sur elle. « Dis donc, je lui fais, une seule réponse c’est un peu trop facile ! Ici, les vrais géographes, c’est nous ! ». Je veux continuer mais Idriss m’interrompt : « On se réunit le jeudi après l’école dans la caravane de Thomas pour réviser. Si ça te dit de passer, on pourra s’entraîner ensemble. » Je reste sans voix. Idriss, espèce de traître… Je savais bien qu’elle était bizarre, cette lueur dans son regard. Face à nous, Lisa sourit
en coin. Elle se contente d’afficher ce petit air de satisfaction, puis elle tourne les talons sans dire un mot. Elle nous plante là comme deux pantins. C’est officiel, je la déteste. 2. Le massif du Makay ! En faisant défiler les images sur sa tablette, Idriss s’enthousiasme : « Regarde ! C’est à Madagascar ! Une montagne dont on ne sait presque rien, une zone blanche, un paradis à explorer ! Le rêve de tout géographe ! » Le week-end dernier, suite à l’incident, je n’ai donné aucune nouvelle à Idriss, et lundi j’ai pris soin de l’ignorer à l’école. Mais mardi il m’a fait passer un mot en classe pour savoir
si le rendez-vous du jeudi tenait toujours ; c’était sa façon de faire un pas vers moi et je n’ai pas eu le cœur de l’envoyer paître. Je n’ai déjà pas beaucoup d’amis… et qui m’écoutera râler si Idriss n’est plus à mes côtés ? « Mouais... zone blanche, tu parles, avec ces fichus satellites je te trouve une cartographie précise du massif en deux clics. Parle plutôt de zone grise, s’il te plaît. Les zones blanches, ça n’existe plus ! À part au fin fond de l’océan ou dans l’espace ! » Ma mauvaise humeur, c’est comme une seconde peau, elle ne me quitte jamais. « J’te jure, Idriss, si seulement on était nés quelques siècles plus tôt ! J’envie Marco Polo, Vasco de Gama, Magellan ! Ils avaient tout à découvrir, le monde était pour eux un grand terrain de jeu ! — Euh... Thomas ? m’interrompt Idriss. Je crois qu’on frappe à la porte... » Je m’arrête net et j’écoute. C’est vrai, quelqu’un toque ! Bizarre, maman est déjà passée nous apporter un goûter et vérifier au passage qu’on ne fumait pas des cigarettes ou qu’on ne préparait pas une attaque de banque. Oui, elle est un peu étrange, ma mère, faut pas trop lui en vouloir… Je regarde Idriss d’un œil noir. Il n’a quand même pas osé maintenir son invitation à l’autre peste ? Le nez contre la porte, je lance : « C’est qui ? — L’ambassadrice de Mongolie ! » Je reconnais Lisa à sa façon de rouler le « r ».
En face de moi, un peu gêné, Idriss ne peut s’empêcher de sourire de cette blague imbécile ! Moi, je ne m’en laisse pas conter : « C’est un club privé ici ! N’entre pas qui veut ! Petit test : Quel est le plus long fleuve d’Asie ? La Volga ou le Ienisseï ? — C’est l’Ob, idiot. Ouvre maintenant. » Me voilà mouché pour l’hiver, comme dit ma mère. À côté de moi, Idriss a les yeux qui pétillent à nouveau, il se précipite sur la poignée, je recule. En entrant, Lisa ne peut s’empêcher de formuler quelques remarques grinçantes à mon intention : « Une caravane sans roues qui rouille dans le jardin ! Bonjour les grands voyag... ». La dernière syllabe reste bloquée dans sa gorge, ses yeux balaient les murs de la caravane et son cerveau a du mal à gérer toutes les informations. Partout autour d’elle, des cartes routières, des planisphères, des posters. Sur toutes les étagères, des livres, des magazines et des classeurs sur les tranches desquels on peut lire : « Triangle des Bermudes », « Patagonie », « Archipels divers », « Déserts du monde », « Métropoles »… Et sur le mini-frigidaire, une devise comme un rêve : « Voyager dans le blanc des cartes. » Pour manifester sa présence, Idriss lance fièrement : « Bienvenue dans l’antre des Géographes ! » Lisa sourit, vraiment, comme pour nous remercier de l’accueillir dans ce cabinet de curiosités. Elle voudrait reprendre le fil de
la conversation mais ses yeux ne peuvent s’empêcher de balayer une série d’autocollants collés sur la vitre. Ceux-là ne sont pas récents, ils rappellent d’anciens voyages un peu partout en France, en Europe, même en Russie à Sotchi. Cette caravane a donc eu des roues un jour. Mais ça, c’était avant que mon père ne quitte la maison avec la voiture équipée de l’attache-remorque... Idriss tente à nouveau de capter l’attention de Lisa : « Nous avons fini de réviser les grands fleuves du monde pour le challenge de demain. Toi aussi apparemment… Du coup on parlait de Madagascar. On dresse la liste des territoires inconnus à explorer un jour. — Madagascar ? reprend Lisa. Ce n’est pas vraiment inconnu ça… À l’aéroport, y a un vol tous les deux jours… » Je voudrais lui rabattre son caquet, là, maintenant, tout de suite, mais Lisa enchaîne, sûre d’elle : « Vous rêvez de territoires vierges ? Inutile d’aller aussi loin. Il y en a un tout près d’ici, messieurs… — Près d’ici ? répète bêtement Idriss. — Oui, vraiment tout près... pour qui a réellement le goût de l’exploration... » Malgré toute ma défiance pour elle, je ne peux m’empêcher de la questionner à mon tour : « Ah ouais ? Et c’est quoi, cette île vierge ? Un nouveau rond-point ? Le grenier de ta grand-mère ? Le vestiaire des filles au gymnase ? On peut savoir au juste ? »