Extrait du livre Le chat qui ne savait pas ronronner
Le chat qui ne savait pas ronronner de Roland Fuentès et Emmanuelle Moreau aux éditions du Jasmin
Dans la bonne ville de Brasov vivait un chat qui ne savait pas ronronner. C’était un matou au regard vide, au poil gris et râpeux, dont le ventre mou traînait par terre en soulevant des tonnes de poussière. — Laissez-moi tranquille ! grognait le chat qui ne savait pas ronronner quand les matous de son quartier l’approchaient. Et il traînait son ventre mou un peu plus loin en soulevant d’autres tonnes de poussière.
Ce chat, que nous appellerons désormais Zoran pour ne pas répéter constamment « le chat qui ne savait pas ronronner », n’aimait ni les chats, ni les souris, ni le soleil, ni la pluie. En réalité, Zoran n’aimait rien du tout. — Je voudrais bien ronronner mais je ne sais pas comment faire, dit-il un jour à un vieux matou presque sourd. Le vieux matou presque sourd, que nous appellerons Dragos pour ne pas répéter constamment « le vieux matou presque sourd », réfléchit un long moment. Tellement longtemps qu’il s’endormit.
En ouvrant les yeux plusieurs minutes après les avoir fermés, Dragos lança : — Il faut que tu pleures. Là-dessus, il se rendormit, comme si prononcer cette phrase l’avait épuisé. Zoran, tout en réfléchissant aux paroles de Dragos, se mit à marcher droit devant lui. Il sortit de la ruelle, puis du quartier, en soulevant un nuage de poussière. Un petit chat beige, que nous ne prendrons pas la peine de nommer parce qu’il n’apparaîtra plus dans cette histoire, éternua sur son passage. « Il faut que tu pleures, se répétait Zoran en s'éloignant du centre-ville. De deux choses l'une : soit Dragos a tort, soit il a raison. Mais comment savoir ? » Zoran se rendit compte qu’il ne savait pas pleurer. À la sortie de la ville, un garçon aux bras longs et maigres s'approcha de lui. Son visage était partagé en deux par un sourire aux dents très blanches. — Tu es un très beau chat, toi ! Le garçon aux bras longs et maigres se baissa et attrapa Zoran sous la bedaine. Personne n’avait jamais dit à Zoran qu’il était un très beau chat. Mirko – c’était le nom du garçon – caressait le pelage râpeux de l’animal. Personne n'avait jamais caressé Zoran, et il se rendit compte qu'il
aurait peut-être aimé ça… s’il avait été capable d’aimer quelque chose. Mirko, tout en câlinant Zoran, prit le chemin d’un petit bois. Dans ce petit bois s’ouvrait une clairière. Et dans cette clairière, on avait installé trois roulottes. Autour d’un brasero, plusieurs individus coiffés de chapeaux noirs discutaient. — Ah ! Voilà notre Mirko ! s’exclama un homme avec plusieurs dents en or. Et il nous rapporte une espèce de chat ! L’homme ébouriffa Mirko, et il caressa Zoran entre les deux yeux, du bout de l’index. Le garçon tenait le ventre du chat à pleines mains. Il le pressait contre son cœur comme un gros coussin, lui faisait des bisous partout. Zoran ne bronchait pas, indifférent à cette tendresse. — Regarde, Luana, l’animal que ton frère a rapporté !
La femme qui avait prononcé ces paroles était vêtue d’une robe rouge et noir, elle portait aux oreilles deux anneaux très larges et tenait par la main une fillette toute décoiffée. Elle s’assit en tailleur près du brasero et entreprit de peigner l’enfant. Le papa de Mirko et Luana sourit en dévoilant toutes ses dents en or, puis déclara à l’adresse du chat : — Bienvenue dans notre roulotte, mon gros ! Ensuite, il le caressa entre les deux yeux. L’après-midi, le papa de Mirko et Luana répara des casseroles, leur maman aiguisa des couteaux, et les enfants jouèrent avec Zoran. Mirko lui fit visiter leur roulotte :