Extrait du livre Le comte Dracula et autres créatures de légende
Le comte Dracula et autres créatures de légende
d'Alberto Orso et Vanina Marchetti
aux éditions Amaterra
Le comte Dracula et autres créatures de légende
Histoire du comte Dracula
Inspiré de Dracula de Bram Stoker
Jonathan Harker regardait le paysage défiler par la fenêtre de la calèche. Le jeune homme entendait le cocher crier sur les chevaux, fouetter vigoureusement leurs flancs pour les pousser à hâter la cadence le long de la route de montagne e scarpée. Le jour avait baissé d’un coup et les hauts sapins faisaient à présent peser sur leur attelage des ombres menaçantes. Pour tout dire, l’atmosphère des lieux commençait à lui paraître vaguement inquiétante.
« Que diable suis-je venu faire dans cette galère ? » songea Jonathan.
Quand Mr Hawkins, son patron, l’avait chargé de cette mission, il avait su immédiatement qu’il aurait dû dire non. Refuser de quitter l’Angleterre et sa chère Mina.
Le cabinet de notaire de Mr Hawkins avait été contacté par un riche aristocrate étranger souhaitant acheter
une propriété dans la campagne anglaise. Nou vellement embauché, c’est à Jonathan que son employeur avait confié la tâche d’aller porter et faire signer les documents de vente au futur propriétaire, chez lui, dans son pays. Raison pour laquelle ce dernier se retrouvait en cet instant perdu au fin fond des Carpates, une lointaine région d’Europe, en Transylvanie plus exactement, à fendre une nuit sans lune pour atteindre la demeure d’un certain comte Dracula.
Voilà trois jours maintenant qu’il était parti de Londres Ce voyage lui semblait interminable. Mais surtout, depuis leur dernière halte, une sourde appréhension avait gagné le jeune Anglais.
À l’auberge où ils s’étaient arrêtés pour se restaurer, les choses avaient pris une tournure assez bizarre : mis au courant de sa destination par le cocher, l’aubergiste et son épouse étaient soudainement devenus très pâles, avant de faire plusieurs signes de croix en lui jetant des coups d’œil alarmés. Au moment de reprendre la route, la femme s’était approchée de la calèche pour fourrer dans ses mains un petit crucifix en bois en murmurant des paroles incompréhensibles mais manifestement pleines de frayeur.
Pour avoir effectué quelques recherches avant de partir, Jonathan n’ignorait pas que les superstitions étaient très nombreuses dans cette partie du monde. Mais, associé à la fatigue d’un long trajet, cela lui avait fait plutôt forte impression...
Un hurlement terrifiant déchira soudain le silence, tirant le jeune homme de ses pensées. Il fut aussitôt suivi par d’autres. De tous côtés s’élevèrent des ululements lugubres – « Houu… Houuu… Houuuu… » – se répondant comme en écho.
« Grands dieux, des loups ! » s’exclama Jonathan.
Le cocher fouetta de plus belle les chevaux pour les inciter à accélérer l’allure. Leur attelage brinquebalait en tous sens sur la route caillouteuse mais, loin de diminuer, les terribles cris paraissaient se faire encore plus forts et plus nombreux à mesure que la calèche s’élevait vers les hauteurs. Ils étaient visiblement encerclés de toutes parts par ces effroyables bêtes ! Fallait-il y voir un nouveau présage de mauvais augure ? En tous les cas, cela n’aida pas à apaiser les inquiétudes du jeune Anglais.
Jonathan désespérait d’atteindre sa destination, lorsque tout à coup, se découpant sur le ciel d’un noir d’encre, l’ombre inquiétante d’un vieux château en ruine aux allures de spectre apparut au sommet du pic...
Bon sang, mais où était-il arrivé ?!
Après une dizaine de minutes et plusieurs nouveaux lacets de la route, la calèche s’immobilisa finalement devant l’entrée. Aussitôt, le cocher descendit de son siège et, sans un mot, déchargea rapidement les bagages de son passager avant de remonter tout aussi vite saisir les rênes pour repartir en sens inverse.
Interdit, Jonathan Harker regarda l’équipage s’éloigner. Tout cela semblait irréel. Lui, petit employé londonien, perdu au cœur d’une contrée chargée de mystère, pour y rencontrer un non moins mystérieux gentilhomme, habitant ce sinistre endroit... Dans quelle aventure s’était-il donc engagé ?
Il n’eut pas davantage le temps de s’effrayer car la lourde porte du château grinça sur ses gonds, découvrant la haute silhouette d’un individu extrêmement maigre et tout de noir vêtu.
« Soyez le bienvenu. Entrez de votre plein gré ! » déclara celui-ci, d’une façon et d’un ton également étranges. L’homme se présenta comme étant le comte Dracula, puis il invita son visiteur à le suivre vers un petit salon. Le calme de Jonathan n’était certes pas exemplaire, cependant il le suivit. Qu’aurait-il pu faire d’autre ?
Une collation l’attendait sur la table, et il prit place dans le fauteuil que lui désigna son hôte.
« Je ne vous accompagnerai pas, ayant déjà dîné moi-même », lui indiqua ce dernier.
Le jeune Anglais avait grand faim, aussi ne se fit-il pas prier. Mais manger ainsi, sous le regard perçant
du comte, augmenta encore sa nervosité.
La pièce était très faiblement éclairée. Malgré cela, Jonathan put mieux distinguer le maître de maison : un visage anguleux, des joues creuses, un teint d’une pâleur cadavérique, mais des lèvres d’un rouge écarlate, d’où il lui sembla voir dépasser la pointe de canines très blanches et très pointues... Un frisson le saisit à cette vue.
Après ce pénible voyage, le jeune homme avait hâte de se reposer, mais le comte Dracula n’avait visiblement pas l’intention de le laisser se retirer. La soirée s’éternisa en un long monologue de sa part. Celui-ci loua l’Angleterre, évoqua son amour pour ce pays, pour la culture et la langue anglaises, dit son impatience de découvrir la propriété que Mr Hawkins lui
avait trouvée, etc.
Au moment où le jour commença à poindre, tout à coup le comte se leva vivement de son fauteuil.
« Je vous prie de m’excuser, Mr Harker, je m’aperçois que je vous ai retenu bien longuement », déclara-t-il, avant de conduire prestement son invité jusqu’à sa chambre.
Quand le comte prit congé et le laissa libre de se coucher enfin, l’aube se levait. Jonathan était épuisé, mais il lui fut pourtant bien difficile de trouver le sommeil.
Il était trop agité intérieurement, taraudé par une impression de malaise croissante, et plein d’appréhension sur ce qui l’attendait en ces lieux...
~
Cela faisait à présent une semaine que Jonathan Harker
se trouvait chez le comte Dracula, et ce sentiment de malaise ne s’était pas dissipé. Bien au contraire.
Depuis son arrivée, le jeune homme avait eu l’occasion de relever plusieurs détails troublants. Tout d’abord, il avait pu constater qu’il n’y avait aucun domestique dans le château. En dehors de son hôte et de lui-même, l’endroit était complètement désert. Cela était plutôt étonnant vu la taille de la demeure, et déprimant également, car Jonathan y demeurait seul la plupart du temps. Très pris par ses affaires, le comte s’absentait fréquemment et ne rentrait pas toujours chez lui après ses rendez-vous. Quand il le faisait, il n’apparaissait jamais avant la tombée de la nuit, et le retenait ensuite immanquablement jusqu’à l’aube pour discuter. De plus, si le jeune Anglais trouvait toujours ses repas préparés (par qui ?), il ne l’avait jamais vu manger lui-même, pas une seule fois. Non seulement celui-ci semblait ne jamais dormir, mais ne jamais se
nourrir non plus !
Par ailleurs, un incident très étrange s’était produit le matin même. Sa chambre et la salle d’eau attenante ne disposant d’aucune glace, Jonathan avait accroché à la fenêtre son miroir de poche afin de pouvoir se raser. Comme il faisait glisser la lame sur sa joue, un mouvement près de lui l’avait fait sursauter et il s’était coupé légèrement. Se retournant, il avait alors avisé la présence de Dracula.
La petite glace reflétant toute la pièce derrière lui, il lui parut bizarre de ne pas l’avoir vu approcher. Un bref coup d’œil au miroir confirma l’absence de l’image du comte. Au moment où Jonathan pivotait de nouveau vers lui, perplexe, il fut saisi par la fureur étincelant dans son regard. Ce dernier avait les yeux rivés à la coupure sur son visage, où le jeune Anglais sentait perler une goutte de sang...
L’instant suivant, son hôte parut se ressaisir, mais tourna brusquement les talons pour sortir, lui lançant d’un ton menaçant :
« Prenez garde quand vous vous blessez, il est des endroits où cela peut être très dangereux ! »
Jonathan en frémissait encore...
Ah ça ! Il avait vraiment hâte de pouvoir rentrer chez lui, et retrouver Mina, sa douce fiancée. Or, le comte repoussant sans cesse le moment de signer les documents dont l’avait chargé Mr Hawkins, il ne savait absolument pas jusqu’à quand il allait être coincé ici.
~
Quinze jours déjà. Jonathan n’en pouvait plus d’être enfermé entre ces murs, il étouffait dans ce château lugubre ! S’approchant de la fenêtre de sa chambre, il l’ouvrit largement afin de s’aérer un peu.
Ses inquiétudes se faisaient de plus en plus grandes. Depuis deux semaines maintenant, le comte Dracula différait la signature de l’acte de vente, invoquant à chacune de ses tentatives un prétexte différent. Pire encore, voilà que ce soir ce dernier lui avait demandé d’écrire à Mr Hawkins et à sa fiancée pour les prévenir
que son séjour ici était prolongé d’un mois ! Ne voyant pas l’utilité d’un tel délai, il avait osé s’en étonner. Mal lui en avait pris.
« Votre employeur m’a indiqué pouvoir user à loisir de vos services, Mr Harker. Je puis donc disposer de vous comme bon me semble ! » lui avait sèchement répondu le comte.
Encore une fois, le jeune homme n’avait pas pu monter se coucher avant l’aube. Ces veilles répétées étaient tout bonnement infernales, et cela aussi commençait à lui user les nerfs.
Comme Jonathan se penchait à la fenêtre pour aspirer une goulée d’air, un mouvement plus bas sur la paroi attira son regard. Ciel ! Quelle épouvantable vision ! L’espace d’une seconde, le jeune Anglais crut que son esprit lui jouait des tours... Mais non, il n’avait pas rêvé. Avec horreur, il le reconnut : rampant tel un
lézard sur le mur du château, ce n’était autre que le comte Dracula lui-même !
« Bonté divine, mais quelle créature est-il donc ?! » s’exclama Jonathan.
Il devait fuir sur-le-champ cet endroit maudit !
Affolé, le jeune homme sortit en trombe de sa chambre et dégringola les escaliers pour gagner la porte d’entrée. Mais il trouva celle-ci verrouillée. Effrayé, il se mit alors à courir en tous sens, cherchant à ouvrir chaque porte qui se présentait à lui : toutes étaient fermées à clef !
Prisonnier. Il était prisonnier. C’était maintenant une évidence.
~
« Ah, Mina ! Ma chère fiancée ! Te reverrai-je un jour ? » se lamentait Jonathan, le front collé contre la vitre de la fenêtre de sa chambre.
Encore une fois, il venait d’assister au départ de Dracula de son horrible manière habituelle. Cela faisait en effet plusieurs nuits que le jeune Anglais voyait le comte quitter le château en rampant sur les parois, la tête en avant, ses doigts griffus agrippés à la pierre,
sa longue cape noire étalée dans son dos comme deux grandes ailes.
Les questions se bousculaient dans sa tête. Chez quel monstre avait-il atterri ? Quelle proie celui-ci allait-il ainsi chasser la nuit venue ? Et pourquoi le retenait-il
dans son château ?... Jonathan n’avait pas de réponses, mais il était terrifié. Le crucifix donné par la femme de l’aubergiste se trouvait à présent accroché au-dessus de son lit, et il invoquait sa protection chaque soir avant de s’endormir.
Profitant des absences de Dracula, le jeune homme avait exploré le château pour trouver un moyen de s’échapper. Hormis la grande porte de devant, toujours verrouillée, il n’y avait aucune issue. Le bâtiment avait été construit au bord d’un précipice, et trois de ses côtés donnaient sur les hautes falaises. Il disposait en outre de très peu de fenêtres, qui soit se trouvaient trop haut placées pour être atteintes et pourvues de barreaux, soit ouvraient sur le vide.
Cette bâtisse était un véritable donjon.
Oh ! comme il regrettait d’être venu dans cet endroit maudit ! Et comme il aurait voulu pouvoir sortir d’ici – en sortir sain et sauf...
~
Jonathan arrivait au bout de la deuxième quinzaine de ce que l’on pouvait désormais sans conteste qualifier de captivité. Plus le temps passait aux mains de cette créature, plus il lui semblait sentir sa raison s’effriter. Ni Mina ni Mr Hawkins ne s’inquiéteraient
de lui avant plusieurs semaines étant donné les lettres que Dracula l’avait forcé à leur écrire.
Il ne pouvait compter que sur lui-même.
Le jeune Anglais avait fait le tour de ses options, et elles étaient maigres. Ce soir, il s’était résolu à une tentative assez désespérée : il avait prévu de s’introduire dans la chambre du comte, dans l’espoir d’y trouver une clef ouvrant la porte d’entrée. Cette pièce,
comme quasiment toutes les autres, se trouvant bouclée à double tour, il allait lui falloir longer le rebord extérieur de la façade jusqu’à la fenêtre.
Rassemblant tout son courage, Jonathan commença à progresser le long du mur. Porté par sa peur, il parvint assez rapidement au niveau de la chambre et se faufila à l’intérieur, la fenêtre ayant fort heureusement été laissée ouverte. Le jeune homme fouilla et refouilla l’endroit en vain : nulle trace d’une quelconque clef. Il s’apprêtait à repartir par la même voie lorsqu’il remarqua une petite porte au fond de la pièce. Il s’en approcha pour l’ouvrir, et découvrit un escalier en colimaçon s’enfonçant vers les étages inférieurs.
Une bouffée d’espoir le gagna : peut-être celui-ci conduisait-il vers une sortie ?