Extrait du livre Bouddha le grand sage
Bouddha le grand sage de Vanina Marchetti et Clémence Pollet aux éditions Amaterra
Bouddha le grand sage
1. La musique résonnait au cœur des grandes montagnes.
De joyeuses mélodies s’élevaient dans les airs, dont les échos se répercutaient contre les majestueuses parois de roche, si hautes qu’elles semblaient toucher le ciel. Nichée au pied de l’Himalaya, quelque part entre l’Inde et le Népal dans une région que l’on appelle le « toit du monde », la petite cité de Kapilavastu était en fête. Ce soir-là au palais, il y a plus de deux mille cinq cents ans de cela, le roi Suddhodana et son épouse Maya donnaient un banquet. Ils avaient convié tous leurs sujets, des plus puissants aux plus modestes, ainsi que plusieurs souverains des royaumes voisins à venir partager nourriture et divertissements. Les festivités battaient leur plein. Depuis le lever du jour, les réjouissances se succédaient. Musiciens, danseurs et comédiens rendaient hommage aux dieux dans d’étourdissants spectacles qui ravissaient l’assemblée. L’heure était bien avancée quand la reine Maya se retira dans sa chambre après avoir salué les invités. Épuisée par cette belle journée, elle s’assoupit sitôt que sa tête se fut posée sur l’oreiller de soie.
Mais au cours de la nuit, alors que l’aube était encore loin et que les rumeurs joyeuses se faisaient toujours entendre depuis la grande salle du palais, la reine se réveilla brusquement, tout en sueur et très agitée, tirée de son sommeil par un rêve étrange. « Qu’est-ce que cela peut bien signifier ? » se demanda-t-elle, troublée. Croyant aux signes et impressionnée par la vision qu’elle venait d’avoir, Maya ne parvint plus à trouver le repos. Elle décida d’attendre le retour de son époux pour lui raconter ce songe mystérieux. Près d’une heure plus tard, le roi Suddhodana franchissait le seuil de leur chambre. Il avançait sur la pointe des pieds pour éviter de réveiller sa chère épouse qu’il pensait profondément endormie, quand il vit cette dernière se dresser dans leur lit, le faisant sursauter de surprise ! – Ô mon mari ! J’avais hâte que vous arriviez ! s’écria la reine. J’ai fait un rêve extrêmement curieux, dont j’aimerais comprendre la signification… J’ai vu les quatre seigneurs célestes de la Tusita, monde de la félicité, entrer dans notre chambre pour m’emporter avec eux dans le ciel jusqu’au plus haut plateau de l’Himalaya et me déposer au pied d’un grand arbre. Là, ils me confièrent aux soins de leurs épouses. Celles-ci me conduisirent près d’un lac où elles me baignèrent entièrement, afin de me purifier. Puis je fus enduite de baumes odorants et couverte de fleurs parfumées, avant d’être délicatement allongée dans un lit divin. À l’horizon se mit soudain à briller une étoile au rayonnement surnaturel. Elle vint se placer au-dessus de moi, m’éblouissant de son scintillement, et descendit ensuite se poser au sol, où elle se transforma en un magnifique éléphant blanc ! Sa tête était rouge, munie de six défenses, et il tenait dans sa trompe un lotus blanc. Je n’éprouvai aucune crainte à la vue de cet animal merveilleux. Au contraire, une agréable chaleur m’enveloppa tout entière comme il venait se nicher au creux de mon ventre… Qu’en pensez-vous, mon mari, n’est-ce pas là un rêve bien extraordinaire ? – En effet, ma douce, tout cela est très intrigant, et je réunirai les devins dès demain pour demander avis !
s’exclama Suddhodana, serrant son épouse contre son cœur. La prédiction des devins fut la suivante : la reine Maya donnerait bientôt naissance à un fils, un être exceptionnel doté de mille qualités. Il deviendrait soit un grand roi, juste et bon ; soit, s’il renonçait au trône, le plus noble des sages, un véritable saint, le futur Bouddha ou « Grand Éveillé ». 2. À dater de ce jour, les seigneurs célestes vinrent chaque nuit visiter en songe la reine Maya.
La jeune femme les voyait se pencher au-dessus de son lit durant son sommeil, effleurant respectueusement son ventre de la paume de leurs quatre mains réunies en prononçant des paroles mystérieuses, veillant sur elle et sur l’enfant qu’elle portait en son sein. Car, effectivement, Maya était enceinte. Si le roi Suddhodana et elle-même s’étaient tout d’abord montrés un peu perplexes devant la prédiction des devins, chaque nouveau matin voyait le ventre de la souveraine s’arrondir davantage, et les doutes s’éloigner un peu plus. Bientôt une annonce officielle fut faite, informant la population de la grossesse de la reine, et la liesse gagna tout le royaume. Depuis de nombreuses années déjà, les habitants de Kapilavastu espéraient que leurs bons souverains donnent un héritier au trône. Suddhodana et Maya connaissaient un bonheur sans pareil. Le roi était aux petits soins pour sa tendre épouse, la couvrant de cadeaux, de fleurs et de toutes sortes d’attentions.
Dix mois lunaires s’écoulèrent ainsi, paisibles et remplis de joie. Un matin au réveil, sentant le terme de sa grossesse approcher, Maya déclara à Suddhodana : – Mon mari, notre enfant chéri sera bientôt là ! Je souhaite me rendre chez mon père et ma mère pour lui donner le jour. – Bien entendu, mon aimée, ainsi le veut la coutume, approuva le roi. Ses parents vivant non loin de là, c’est à pied que la reine entreprit de gagner leur demeure, pour flâner en chemin et profiter des beautés de la nature. Au cours d’une halte dans le bois sacré de Lumbini, son regard fut attiré par un arbre couvert de bourgeons nouvellement éclos. Maya s’approcha et tendit la main pour attraper une branche basse, afin d’en admirer les couleurs. La jeune femme eut alors la surprise de voir un nuage de pétales de fleurs pleuvoir doucement sur elle en même temps que son fils jaillissait dans le monde, sans prévenir ni qu’elle en ressente la moindre douleur ! Sitôt né, l’enfant se mit debout sur ses petites jambes. Il regarda tout autour de lui avec de grands yeux tranquilles, et commença à marcher. Aux endroits où ses pieds touchaient le sol, des lotus surgissaient de terre comme par magie. Il fit quelques pas en direction de chacun des quatre points cardinaux, prenant ainsi symboliquement possession de l’Univers. Puis il se retourna vers sa mère, qui demeurait ébahie devant ce miracle, et déclara : – Ma voie sera celle de l’Éveil. Tous les sages, prêtres brahmanes et autres devins se rendirent au palais pour offrir leurs hommages au prince et féliciter les heureux parents.