Extrait du livre Le Géant de la grande forêt
L’homme était parti tôt ce matin-là faire le tour de la grande forêt. Parfois, il ramenait des bêtes blessées, sa femme les soignait. Ils étaient les gardiens de la grande forêt, en assuraient la protection. Comme la forêt, les deux gardiens avaient vieilli. Ils lui étaient cependant toujours aussi fidèles qu’ils l’étaient l’un à l’autre. Rien n’aurait pu les séparer !
Ce matin-là, la femme, assise dans le grand fauteuil près de la cheminée, tricotait. Deux grosses larmes se mirent à couler sur ses joues et volèrent en éclat sur son ouvrage : « J’aurais tant voulu un enfant, se dit-elle, même un tout petit ! » Leur désir de pouponner était tellement fort ! Mais le destin en avait décidé autrement. D’un revers de la main, elle s’essuya le visage. Elle avait entendu le bruit des pas de son mari sur le chemin. Il aurait été si triste de la voir pleurer. Le temps passait et le pull grandissait comme ses regrets. Quand elle l’acheva enfin, il faisait quatre fois la taille d’un homme. La vieille femme le lava, le plia et le cacha sous son lit. Le lendemain, alors que son mari était parti, elle entendit un drôle de bruit dans la chambre. Quelle surprise ! Au milieu du grand pull de laine, un minuscule bébé ! Complètement recroquevillé sur lui-même, le petit être semblait terrorisé. Elle le prit aussitôt, il n’était pas plus grand que la paume de sa main, rose et tout fripé. Elle prépara avec soin un bain d’eau tiède dans un bol. Elle y ajouta un mélange d’herbes de la forêt dont elle seule avait le secret, y plongea le bébé qui s’y déploya comme s’ouvre une fleur au soleil. Après l’avoir séché, elle le vêtit d’un mouchoir. Il ouvrit sur elle de grands yeux plein de curiosité mêlée de tendresse. Quel merveilleux enfant, murmura-t-elle ! Elle l’appela Sylvain.
Comme tous les bébés du monde, Sylvain se mit à pleurer. Pensant qu’il avait faim, sa mère lui prépara du lait. À peine avait-il terminé de boire qu’il se remit à crier de plus belle. Elle eut beau le bercer, le cajoler, il ne voulait que manger. À son retour, son mari n’en crût pas ses yeux. De sa vie, il n’avait vu d’être si extraordinaire ! Après un moment de stupeur, il se mit avec sa femme aux fourneaux. Ils cuisinèrent jusqu’au soir : bouillie salée, bouillie sucrée, bouillie poivrée. Le bébé avalait tout sans broncher ! Après un repas de plusieurs heures, Sylvain s’endormit enfin. Au petit matin, les gardiens ne retrouvèrent pas le bébé qu’ils avaient couché dans le petit lit mais un petit garçon. En l’espace d’une nuit, Sylvain avait atteint la taille d’un enfant de deux ans. Peu importait, pour ses parents, Sylvain était l’être le plus merveilleux du monde !
Souvent, Sylvain s’asseyait près de sa mère sur le banc de pierre plate : « N’oublie jamais, lui disait-elle, tu es le fils de la grande forêt ! » Les gardiens lui apprenaient à vivre au rythme de la nature. Sylvain connaissait tout des arbres et des bêtes. Et il continuait de grandir. À huit ans, il avait la taille d’un jeune homme mais gardait son visage et son cœur d’enfant. C’est à peu près vers cet âge qu’il rencontra Gudule, une petite fille espiègle et intrépide qui n’avait peur de rien. Elle venait souvent dans la forêt en cachette pour le rejoindre. Ils jouaient à en perdre haleine, grimpant aux arbres et courant les sentiers. On les retrouvait le soir, immanquablement endormis, emmêlés l’un près de l’autre dans le grand pull de laine.