Extrait du livre Les frisettes de Mademoiselle Henriette
Les frisettes de mademoiselle Henriette de Fanny Joly et Stéphanie Alastra aux éditions Fanny Joly Numérik
Les frisettes de mademoiselle Henriette
Chapitre 1 Vrais faux jumeaux Alice et Martin Zigo sont nés à huit minutes d’écart. Elle en premier. Lui en second. En général, Martin n’aime pas trop laisser les filles passer devant lui. Surtout quand il s’agit de sa sœur. Le jour de leur naissance, peut-être a-t-il voulu lui faire une… faveur ? Alice et Martin sont jumeaux. Pourtant, quand on les voit ensemble, impossible de s’en douter. On rencontre rarement des jumeaux aussi peu ressemblants. Alice est blonde, les yeux bleus, grande, fine, longue... « Comme une asperge ! » ricane souvent Martin. À quoi sa sœur répond inlassablement : - Ça tombe bien, j’adore les asperges ! Certes. Mais elle ADOOORE surtout se coiffer. Et coiffer les autres. Si vous la rencontrez un jour (et si vous la laissez faire), gare aux couettes en folie et aux nœuds-nœuds autour de la tête ! En attendant, Alice souffre d’un sérieux problème. Cette jolie blonde qui rêve de boucles en cascade, de nattes énormes, de chignons lourds comme des melons doit se contenter, dans la réalité, de maigres cheveux aussi fragiles que des fils d’araignées, raides comme des baguettes de tambour, qui s’emmêlent au premier coup de vent et se cassent au moindre coup de peigne… Pauvre Alice ! Si elle pouvait commander une chevelure neuve au Père Noël, elle partirait s’en chercher une, à pied, jusqu’au pôle Nord, sans hésiter… Et Martin, lui, à quoi ressemble-t-il ? Il est brun, les yeux noirs, petit, trapu, plutôt rondouillard… « Comme un ballon de football ! » ricane souvent Alice. À quoi Martin répond inlassablement : - Ça tombe bien, j’adore le foot ! Certes. Mais pas seulement. Martin ADOOORE aussi tout ce qui tourne autour des balles, des boules, des ballons. À part ça, Martin est gourmand comme un canard, taquin comme un singe, frisé comme un mouton. Lui qui se fiche de ses cheveux comme de ses premières chaussettes en possède une masse
incroyable, épais, solides, brillants, ondulants et qui poussent de trois centimètres par mois, c’est-à-dire trois fois plus vite que la moyenne. La vie est mal faite. C’est ce que pense Alice en admirant les cheveux de son frère. Équipée de sa (grosse) valise d’accessoires de coiffure, elle lui tourne souvent autour, suppliante : - S’il te plaît, Chouchou, je peux te coiffer ? Chouchou ou pas, la réponse de Martin est toujours identique : - NON ! Il y a tout de même un point sur lequel les jumeaux Zigo se ressemblent beaucoup : L’IMAGINATION. Leurs deux cerveaux sont toujours en ébullition pour chercher (et trouver) des idées saugrenues, inventer des coups fourrés ou mettre au point des plans tordus… Mais venons-en à notre histoire. Elle commence un matin du mois de mai… Chapitre 2 Pourquoi, Toujours pourquoi ? En ce joli matin printanier, après le petit déjeuner, Mme Zigo (Betty de son prénom) dit à son fils : - Martin, je t’ai pris rendez-vous à 10 heures chez Suzy Coif le salon de coiffure à l’angle de l’impasse des Marguerites. Tu penseras à demander à la coiffeuse de te couper les cheveux bien court, dégagés derrière les oreilles, qu’on soit tranquilles jusqu’à la rentrée de septembre. À ces mots, Martin fait une grimace horrifiée. Comme si sa mère lui ordonnait de couper le fil du chargeur de sa console de jeux : - Mais pourquoi... POURQUOI il faut ENCORE que j’aille chez le coiffeur ? - Pppfff, plains-toi pas ! soupire Alice. J’aimerais tellement aller chez Suzy Coif, moi !
- On ne dit pas : « Plains-toi pas », on dit : « Ne te plains pas » ! corrige Betty. - Si, je me plains ! insiste Alice. Déjà que mes cheveux sont moches, si en plus je ne peux pas me plaindre, zut, c’est trop z’injuste ! - On ne dit pas: « Trop z’injuste » mais : « Trop p’injuste ! » - Pourquoi tu répètes tout ce que je dis, maman ? - Je ne répète pas, je rec-ti-fie quand tu parles de travers, ma chérie ! - Oui bon, intervient Martin, ça ne m’explique pas POURQUOI il faut que j’aille chez cette Suzy, là ? En plus, c’est pour les filles ce salon, je l’ai vu, on dirait Le Club des Barbie Chevelues Rose Bonbon... Alice plaque ses mains sur ses joues : - Non mais n’im-po-rte quoiiii ! Des coups de klaxon retentissent dehors. Déjà au volant de sa voiture garée au pied de l’immeuble, Norbert, le père d’Alice et de Martin est impatient de partir travailler. Les parents Zigo sont com-plè-te-ment débor-dés. Ils tiennent Zen Attitude, rue de l’Abattoir, un magasin spécialisé dans la relaxation, la détente et le bien-être. Leurs clients sont de plus en plus nombreux… et de plus en plus stressés. Ce qui sur-stresse M. et Mme Zigo, forcément… Betty pousse un grand soupir :
- Quoi quoi quoi ? Pourquoi toujours POURQUOI ? Martin, il faut que tu ailles chez le coiffeur parce que tes cheveux sont beaucoup trop longs, qu’ils te tombent dans les yeux et dans le cou. Pourquoi chez Suzy Coif ? Parce qu’il y a quinze jours, le coiffeur du boulevard Boulet s’est contenté de raccourcir les pointes de tes cheveux d’un demi-centimètre à peine. Résultat : tout est à recommencer, ça te suffit comme explication ? - Non ! Ça ne me suffit pas parce que, moi, ce matin… j’avais décidé de réviser mes contrôles ! En plus, pendant que je serai chez Suzy-gniagnia, Alice, elle, va s’amuser tranquille à la maison et TOUCHER À MES AFFAIRES, ce que je déteste par-dessus tout. - Hé, bondit Alice, j’ai une SUPER-idée ! Pourquoi ce ne serait pas MOI qui couperais les cheveux de Martin ? Comme ça, on ferait des économies, vu que je suis OK pour le faire gratis et il gagnerait du temps pour ses révisions. - Ça ne va pas, la tête ? couine Martin. Pour avoir l’air d’un clown, JAMAIS ! - Pfff, l’air d’un clown, tu l’as déjà ! rétorque la jumelle. Quand je serai COIFFEUSE DE STARS, tu regretteras tes paroles, espèce de… Le klaxon de Norbert retentit à nouveau, plus fort, plus longtemps… - Ça suffit ! s’impatiente Mme Zigo. Alice, tu ne COUPERAS PAS les cheveux de ton frère. Couper les cheveux est un métier. Ce sera peut-être le tien, un jour, on verra, mais pour l’instant… chaque chose en son temps ! En revanche, si tu as envie d’accompagner Martin et de regarder comment la coiffeuse travaille, vas-y, pourquoi pas ? - Hé ho, j’ suis pas un bébé ! J’ai pas besoin qu’Alice me GARDE ! proteste Martin. - Trop bonne idée, maman chérie ! s’exclame Alice. Je ne te garderai pas. Je te REgarderai, Martinchou ! - Tu ne m’appelles PAS Martinchou, OK ? - Je t’admirerai ! Tellement tu es beau ! Hon bon bon ! Regardez le beau gosse ! s’esclaffe Alice en faisant des bonds autour de son frère comme un kangourou. - Tu sais ce qu’il te dit, le BEAU GOSSE ? - CALMEZ-VOUS ! trépigne Mme Zigo. Vous m’épuisez alors que la journée vient à peine de commencer ! Dans quel état vais-je être ce soir ? Je préfère ne pas y penser… Prenez votre petit déjeuner, douchez-vous, habillez-vous comme il faut et soyez à l’heure chez Suzy Coif, sinon… sinon… ça va chauffer ! Mme Zigo ne croyait pas si bien dire…
Chapitre 3 Il y a quelqu’un ? Alice et Martin partent (presque) à l’heure en direction de chez Suzy Coif, après avoir: • englouti une douzaine de tartines au chocolat, agrémentées de céréales au chocolat, arrosées de lait au chocolat, le tout complété par de délicieuses crèmes… à la vanille, pour changer ; • oublié de se doucher ; • remis leurs vêtements de la veille, un peu plus tire-bouchonnés que la veille, vu qu’ils ont passé la nuit en vrac par terre ; • longuement essayé de faire sauter Bouffi, leur hamster en surpoids, du lavabo vers le panier à linge sale. Puis du panier à linge sale vers le lavabo. Sans succès, ni dans un sens, ni dans l’autre. Le salon Suzy Coif n’est pas grand, mais il est joyeux, coloré et attirant. En tout cas, pour Alice. La façade est peinte de rayures rose et mauve, la vitrine, décorée de photos de coiffures à la mode. Alice la connaît par cœur. Chaque jour, en rentrant de l’école, elle fait un détour pour passer devant. Elle adore s’imaginer coiffée avec des franges, des dégradés, des brushings, des mèches de couleur… Ce n’est pas le cas de Martin. Devant la porte du salon, il se gratte longuement le menton : - Ça fait peur ! QUI a envie de se retrouver avec des têtes pareilles ? - MOI ! - Tu rigoles ? - J’ai l’air de rigoler ? - Tu me fais presque aussi peur que les filles des photos ! Alice pousse son frère en avant : - Allez, arrête de faire l’intéressant, entre ! À l’intérieur, on entend de la musique, la télé, les lumières, l’ordinateur posé sur le comptoir sont allumés mais… IL N’Y A PERSONNE. PAS PLUS DE SUZY QUE DE CLIENTS ! - Youpi, on repart ! s’exclame Martin. - Attends ! proteste Alice qui n’a aucune envie de quitter si vite cet endroit magique : la
coiffeuse a dû sortir acheter des journaux ou prendre un café... Tu n’es pas à deux minutes près, quand même ? Martin sort de son sac à dos un étrange paquet vert fluo : - Heureusement que j’ai emporté des munitions ! - C’est quoi ? - Le jeu de tailball que Bob a reçu pour son anniversaire. Ça fait quinze jours que je le tanne pour qu’il me le prête et ENFIN ça y est ! - Mmmhh… Ce ne serait pas ça, par hasard, le TRAVAIL que tu voulais faire de toute urgence, le gros mensonge que tu as raconté à maman pour ne pas aller chez le coiffeur ? - Je t’en pose, des questions, moi ? Regarde ça, plutôt ! Une raquette à picots dans une main, l’autre raquette dans l’autre main, Martin lance une balle vert fluo dotée d’une longue queue de fils scintillants, de gauche… à droite…de droite... à gauche… - Tic ! fait la raquette. - Un ! fait Martin. - Ponc ! fait l’autre raquette. - Deux ! fait Martin. - Tic ! - Trois ! - Ponc ! - Quatre ! - Hé, tu vas jongler longtemps comme ça ? - Je ne jongle pas, je tailball ! Le record de Bob, c’est 3 798 ! Au 177e donc, Alice tape dans ses mains : - Bravo, tu es un champion mais maintenant STOP, arrête, tu me casses la tête ! - J’ai tout loupé à cause de toi ! peste Martin en ramassant sa balle par terre. Il remballe son jeu et se dirige vers la porte. - Ciao, je m’en vais ! Alice se plante devant lui, les bras en croix : - Si tu pars, je dirai à maman que tu n’as même pas attendu Suzy cinq minutes. - Tu auras raison, ça fait QUINZE minutes qu’on est là ! - Faux ! Le regard menaçant d’Alice fait tenir Martin immobile une minute et demie, puis il se lève à nouveau : - Je rentre m’entraîner tranquille, à l’abri des briseuses de records ! - Et tu diras quoi pour expliquer que tes cheveux sont toujours aussi longs et craspecs. - Craspec toi-même ! - TU SAIS qu’on peut drôlement bien rigoler avec tout ce qu’il y a ici, dans ce salon de coiffure, TU AS PENSÉ À ÇA ? - Ah ouais ? Et comment tu le sais, toi ? Piégée ! Alice est obligée d’avouer qu’elle connaît bien le salon, qu’elle y est déjà entrée,
assez souvent, et qu’à force elle est devenue un peu amie avec Suzy... Un jour, la coiffeuse lui a même offert un délicieux chocolat et une autre fois, elle lui a proposé de rincer les cheveux d’une cliente ! Martin regarde sa sœur avec des yeux arrondis de surprise : - Et alors ? - C’était génial ! - T’es vraiment un OVNI, comme fille ! - C’est quoi un OVNI ? - Tu ne sais même pas ce que c’est qu’un OVNI ? Tu es PIRE que ce que je pensais, ma parole ! OVNI, ça signifie : objet volant non identifié. - Je suis peut-être un OVNI, mais en attendant, regarde un peu ça ! La jumelle ouvre une armoire, deux placards, trois tiroirs, renfermant tous, une quantité d’objets multicolores : flacons, pinces, noeuds, épingles, barrettes, sprays, tortillons, brosses, peignes, ciseaux, tubes, pots, mousses, gels, ciseaux, séchoirs... - J’avoue ! murmure Martin, impressionné. - J’ai une IDÉE : on joue, Martin ? Je serais la coiffeuse et toi, mon client ! - Tu ne vas pas recommencer avec ça, non ? On n’a qu’à faire plutôt un bigoudifléchettes ! Ou un concours de lancer de flacons ? Et pourquoi pas une course de casques sèche-cheveux à roulettes ? - Bof... C’est moins drôle que mon idée. Si tu dis OUI, je te donne mon porte-clés ouistiti qui fait laser et pouet-pouet. Une lueur s’allume... dans les yeux sombres de Martin. - Mmmmhhh... Ton porte-clés, c’est pas assez… Deux lueurs s’allument dans les yeux bleus d’Alice. « Pas assez » ne veut pas dire NON… Ça veut dire qu’on peut négocier : - Et si j’ajoute les bonbons qui me restent de la fête de l’école ? - T’as quoi comme bonbons ? - 3 sucettes au Coca, 2 schtroumpfs bleus, 7 langues pétillantes, un sachet de Glurps à la mangue... - C’est tout ? - Hé ho, c’est pas mal déjà. J’ai aussi quelques tortellini crépitants. Un paquet de chewinggums à la cerise... - Tu comptais les garder planqués dans ta petite réserve secrète, Mademoiselle Radine ? Bon. Disons que... je serais prêt à dire oui... à une condition : c’est d’abord MOI qui suis le coiffeur. On changera après ! Alice n’est pas enthousiaste : - Tu me fais juste un shampooing, alors, hein ? Martin fait mine de cracher par terre : - Juré craché, si je mens, je mange ma brosse à dents ! Tope là. Alice enfile une des blouses qui sont alignées sur les cintres du vestiaire et se dirige vers l’Espace shampooing, au fond du salon.
- Je ne mets pas de blouse, moi ? demande Martin. - Ben non, les blouses c’est pour les clients, toi tu es le professionnel, idiot ! - Veuillez rester polie avec Maître MartinPro, mademoiselle, je vous prie ! rétorque Martin en tournant le robinet d’eau. - Ouille…C’est trop chaud… Aïe, c’est glacé ! piaille la jumelle. Veuillez tester la chaleur de l’eau sur votre main, et non pas sur ma tête, jeune homme, je vous prie ! À cet instant, DING DONG ! La porte s’ouvre. Chapitre 4 Coccinelle géante La tête sous la douchette, Alice est persuadée que c’est Suzy qui arrive. Elle se demande comment va réagir la coiffeuse en les trouvant, son frère et elle, en train de s’amuser avec l’eau du bac à shampooing. Mais ce n’est pas Suzy qui arrive. C’est une dame qu’Alice ne connaît pas. Elle est ronde, courte sur ses jambes. Elle fait penser à une coccinelle géante. La dame est vêtue d’un manteau rouge tomate, coiffée d’un chapeau à pois noirs et rouges, elle porte des lunettes rondes, aux verres épais comme des loupes. Elle tient à la main un panier en plastique bleu ciel d’où dépasse le museau d’un minuscule chien blanc tout ébouriffé.