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Les oreillers magiques

Les oreillers magiques

9-12 ans - 28 pages, 6007 mots | 45 minutes de lecture | © Éditions du Jasmin, 2015, pour la 1ère édition - tous droits réservés


Les oreillers magiques

9-12 ans - 45 minutes

Les oreillers magiques

Malgré les lois qui fixent qu'on doit aimer le roi, le tyran Croque-peuple ne se sent pas aimé de ses sujets. Alors il invente des oreillers à cauchemars qui rendent leurs journées meilleures que leurs nuits. Mais c'est sans compter sur Antoine, le maître d'école, et ses élèves, qui tentent de déjouer le complot.

"Les oreillers magiques" vous est proposé à la lecture version illustrée, ou à écouter en version audio racontée par des conteurs et conteuses. En bonus, grâce à notre module de lecture, nous vous proposons pour cette histoire comme pour l’ensemble des contes et histoires une aide à la lecture ainsi que des outils pour une version adaptée aux enfants dyslexiques.
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Extrait du livre Les oreillers magiques

Eugène Trivizas Les Oreillers magiques Traduction Michèle Justrabo Ilustrations Behry Rotsen Collection Roman Jeunesse Editions du Jasmin


L'auteur Né à Athènes en 1946, Eugène Trivizas est professeur de criminologie comparée à l'université de Reading en Angleterre. Il est aussi l'auteur, mondialement connu, de plus d'une centaine de livres pour la jeunesse. Dans ses textes, servis par une imagination exubérante et une grande fantaisie verbale, il recrée un monde àsa façon pour mieux interroger le nôtre. Par le biais de l'humour, il aborde des problèmes importants de la société d'aujourd'hui. La traductrice Michèle Justrabo, professeur de lettres classiques en région parisienne, aime àfaire découvrir la saveur de la littérature grecque, d'Homère àTrivizas. 1 LA PLUME NOIRE ET LE TéLESCOPE D'OR Où Croque-peuple 1er s'amuse avec sa plume noire et son télescope d'or. ll était une fois un lointain pays appelé Villeciel où régnait Croque-peuple 1er, un chef détesté. Celui-ci possédait douze couronnes dont il changeait chaque mois. Il avait aussi un télescope d'or et une plume de corbeau. Je vous dirai d'abord ce qu'il faisait de la plume de corbeau puis comment il usait de son télescope. Avec sa plume il rédigeait des lois. Non pas celles dont on a l'habitude, mais d'affreuses et terribles lois. Pour vous donner un exemple, il voulait que ses sujets travaillent sans relâche dans les mines pour en extraire des pierres précieuses destinées à orner
ses douze couronnes de roi. C'est pourquoi il avait promulgué une loi abolissant Carnaval, les vacances scolaires, les fêtes d'anniversaires et les dimanches. En conséquence, les dimanches changèrent de nom : on les appela - avant-lundi - et rien ne les différenciait plus d'un lundi classique. Il établit encore une autre loi : on devait fermer tous les Luna Park, tous les jardins d'enfants pour bâtir en lieu et place des prisons de pierre. Car Croque-peuple en avait besoin pour y enfermer tous ceux qui osaient, en dépit de cette loi, souffler leurs bougies d'anniversaire, se déguiser en Pierrot ou en ballerine àCarnaval, ou encore sécher l'école un avant-lundi. Et comme les prisons avaient besoin de cadenas et de barbelés, il avait édicté une autre loi : il fallait brûler les jardins et les parcs pour construire en lieu et place des usines àfabriquer des cadenas et des barbelés. Et s'il n'y avait eu que ces lois-là! Mais ce n'était pas le cas... Croque-peuple en sortit tant et tant que les malheureux Villeciellois, quoiqu'ils fissent, enfreignaient toujours une loi. Le hoquet, par exemple, était formellement défendu ; et qui éternuait ou se grattait le nez ou
faisait le poirier sur son balcon s'exposait àpayer une grosse amende. Maintenant que je vous ai dit ce qu'il faisait de sa plume noire, l'heure est venue de vous expliquer comment il usait de son télescope. Cet instrument en main, il se rendait sur la plus haute tour du palais, dotée de douze fenêtres, et observait l'étendue de son royaume alentour, plate comme une assiette. Dès qu'il voyait quelque chose qui lui plaisait, une patate frite drôlement appétissante dans la poêle d'une mère de famille par exemple, ou une daurade frétillante dans les filets d'un pêcheur, ses gardes, avertis par talkie-walkie, se précipitaient sur leurs motos pour dérober ce mets et le lui offrir, enveloppé dans un sac de papier doré. Il n'y a donc pas às'étonner si les Villeciellois détestaient àce point Croque-peuple. Parfois même on lui tirait la langue ou l'on faisait des grimaces derrière son dos. Parfois encore, par inadvertance soi-disant, on jetait des peaux de banane devant sa porte pour le voir glisser et tomber lorsqu'il sortait du palais pour aller inspecter les mines. 2 LE CONSEIL SECRET Où Croque-peuple 1er réunit son Conseil secret afin de comprendre pourquoi ses sujets ne l'aiment pas. Un jour, Croque-peuple convoqua dans la salle du trône trois courtisans en qui il avait toute confiance : son aide de camp, Lech Poire, le chef de la garde, Boulet Rouge et l'archimage du palais, Saur Tilège. - Pouvez-vous m'expliquer, leur demanda-t-il, pourquoi mes sujets me détestent tant ? J'ai édicté plus de cinquante lois qui fixent qu'on doit m'aimer àen mourir, mais je n'en vois pas le résultat. -- Mais que dites-vous, Majesté ? Vous plaisantez ? Bien sûr qu'ils vous aiment, lui soutint Lech Poire, spécialiste en flatterie, qui avait étudié la flatterie
appliquée àl'Université de La Lècherite. Ils vous adorent ! -- Alors pourquoi jettent-ils des peaux de banane devant ma porte ? insista Croque-peuple. Pourquoi m'arrive-t-il de me casser la figure dès que je sors du palais ? Pourquoi ? -- Peut-être... peut-être pensent-ils que vous aimez le patinage ? - tenta d'expliquer Lech Poire. Croque-peuple le regarda de travers. Saur Tilège eut un sourire sombre et sournois. - Vils mensonges ! Même s'il le fallait, Majesté, ils ne vous aimeraient pas, dit-il en jouant, de ses longues mains osseuses, avec un komboloÔ, un gri-gri en perles bleues. Et je vais vous expliquer pourquoi. -- Parle ! -- S'ils ne vous aiment pas, c'est que le soir, ils rêvent... - Croque-peuple fronça les sourcils. - Quel est le rapport ? demanda-t-il. -- Il n'y en a que trop, Majesté, expliqua Saur Tilège. Ils voient en rêve les gâteaux d'anniversaire, les feux d'artifice, Luna Park, les comparent avec les barbelés et les cadenas qu'ils voient au réveil ; rien d'étonnant qu'ils en aient après vous ! -
La poitrine garnie de médailles, grassouillet, le visage rouge vermillon, des poches sous les yeux, Boulet Rouge fut du même avis : - C'est un vrai poison, les rêves. Et tant de petits songes, qui ne paient pas de mine, s'embrasent un jour, s'embrasent comme le feu, deviennent une bourrasque, deviennent un ouragan et renversent le monde ! - Croque-peuple, changeant de couleur, jeta un regard derrière lui et déglutit avec peine. - Que proposez-vous ? interrogea-t-il en suçotant, inquiet, l'extrémité de son sceptre. -- ‘tez-leur les rêves, alors seulement vous serez en paix, lui conseilla Boulet Rouge de sa voix de tonnerre. Je vous suggère d'édicter une loi qui interdira formellement les rêves. Et je me chargerai de la mettre en application. J'organiserai des patrouilles anti-rêves qui briseront les portes, pénètreront dans les maisons et s'occuperont de ceux qui enfreignent la loi ! -- Je propose, moi, de placer près des lits des compteurs de rêves et de les taxer, conseilla Lech Poire, qui avait la réputation d'être un bon économiste. Ainsi, ils n'auront pas intérêt àrêver ; ça leur ôtera cette mauvaise habitude. - Croque-peuple réfléchit àces deux propositions, les soupesant l'une et l'autre. - Et toi, Saur, qu'en dis-tu ? demanda-t-il au troisième courtisan. -- Je dis que les mesures proposées par mes remarquables collègues sont sages mais inapplicables. Le problème avec les rêves, c'est qu'ils sont difficilement contrôlables. Ils se cachent sous les fronts, sous les rides, profondément, très profondément dans les têtes. -- Je proposerais bien de casser les têtes, mais je m'en garde bien car qui ensuite paierait les taxes ? Qui irait piocher dans les mines de diamants ? Qui fabriquerait les barbelés ? - dit Lech Poire, témoignant par làune nouvelle fois de sa perspicacité. Croque-peuple blêmit davantage encore. - C'est-à-dire qu'il n'y a rien àfaire ? demanda-t-il. -- Comment rien àfaire ! ¿ mauvaise volonté, tout est possible, affirma Saur. Accordez-moi un peu de temps et je vous promets une trouvaille infernale qui nous débarrassera une fois pour toutes des rêves de vos sujets. -- Une semaine te suffit-elle ? -- Non. Toute mauvaise action vient àpoint àqui sait attendre. Une invention magique n'est pas un sujet simple. Cela demande du temps, de la réflexion et de l'inspiration.
-- Combien de temps te faut-il ? -- Sept semaines et sept jours. -- Disons six ? - marchanda Croque-peuple. Saur secoua la tête négativement. - Non. Sept, sans rabais. Dans sept semaines et sept jours, je vous présenterai mon invention ! - Et sur ces mots, il s'inclina et se dirigea vers la porte... Il traversa six galeries et six salons, monta le long d'un escalier empli de toiles d'araignées et s'engouffra dans son laboratoire secret. 3 L'INVENTION DE SAUR Où Saur Tilège présente àCroque-peuple son invention, qui est d'abord reçue avec défiance, puis soulève un grand enthousiasme. Pendant sept semaines et sept jours, Saur Tilège travailla dans son laboratoire secret, la porte fermée àtriple tour, le trou de la serrure bouché avec un cachet de cire. Une fois ou deux, Croque-peuple monta en douce pour épier ce qu'il faisait, mais il ne vit que l'obscurité et s'en alla, désappointé. Lorsqu'enfin, un matin, Saur se présenta dans la salle du trône, où l'attendaient Croque-peuple et ses autres courtisans. Revêtu d'une robe de chambre noire ornée de broderies vertes, il tenait dans ses mains un oreiller !
- Tenez, Majesté ! susurra-t-il avec perfidie, d'une voix àglacer le sang. Voici mon invention. Permettezmoi de vous présenter l'oreiller àcauchemars ! - Croque-peuple s'en saisit avec défiance pour l'observer avec soin. Il le regarda par-dessus, par-dessous, sur les côtés. Il le pressa du doigt et l'expression de la perplexité gagna son visage. - Ceci est un banal coussin, articula-t-il enfin. Tu te moques de moi, Saur ? -- Jamais je n'oserais me moquer d'un chef comme vous, Majesté ! Vous êtes dans l'erreur, cependant. Les apparences sont trompeuses. Ce n'est pas un banal coussin. Il en a tout l'air. Mais en réalité, rien de tel ! Les coussins ordinaires sont faits de plumes. -- Et celui-ci, que contient-il ? -- Pas des plumes en tout cas ! -- C'est-à-dire ? -- Voulez-vous que je vous le dise ? -- Oui, allons. Parle ! Ne nous fais pas bisquer ! - Dans les yeux de Saur Tilège brillèrent deux petites étincelles vertes. Croque-peuple, Boulet Rouge et Lech Poire étaient suspendus àses lèvres. L'archimage les laissa attendre encore un peu, savourant leur anxiété, avant de répondre : - Là-dedans, il y a les crins de la queue d'un farfadet, énonça-t-il. Il y a des algues de la mer de l'Affliction, de la poudre de remords et une toile d'araignée du phare éteint. Il y a des draps de fantômes déchirés, des mouchoirs mouillés de larmes, des sanglots de mourants. Il y a l'ombre d'un espion, la mue d'une venimeuse vipère et le souffle d'un mouchard. Il y a des orties et de la rouille de chaînes ! La cendre d'une maison de poupée brûlée, un dard de guêpe, une lanière de fouet et l'étoffe ensanglantée d'un torero. Quant àla taie d'oreiller, elle est finement cousue des crins d'un cheval endiablé. - Le chef et ses courtisans étaient restés bouche bée. - Qui repose sur cet oreiller, poursuivit Saur Tilège, ne voit que cauchemars. D'horribles, d'atroces, d'abominables cauchemars ! Vous comprenez, Majesté ? Si l'on oblige les Villeciellois àdormir sur pareils coussins, la vie quotidienne leur paraîtra un paradis en comparaison des cauchemars qui les tourmenteront le soir ! Ainsi, de cette manière, avec cette méthode, ils cesseront de vous importuner ! - Croque-peuple ne put contenir son enthousiasme. - Admirable ! s'écria-t-il. Lance sur le champ la production massive d'oreillers àcauchemars ! Un pour chaque tête de Villeciel. Je vais leur montrer, moi ! Ils vont apprendre ce qu'il en coûte de ne pas