Extrait du livre Makka Kishu
Dans le crépuscule qui s'annonce, au milieu de la cour inégalement pavée d'un imposant château, règne une étrange agitation. Assisté d'un valet, un homme passe une cuirasse d'un rouge éclarant sur sa buffleterie fauve. Un autre domestique arrache à ses hautes bottes des éperons qui ne cessent de cliqueter tant l'homme est imparient de partir. Son palefrenier, un jeune garçon aux yeux en amande et aux cheveux tenus par un catogan, selle et caparaçonne une fringante monture de guerre. Avec des gestes vifs qui font s'envoler les passereaux, l'homme s'empare d'une cravache tressée, décroche un grand fouet et arrime à ses fontes de longues cordes de chanvre. - Dépêche-roi, lance-t-il au palefrenier qui achève d'harnacher l'alezan à la robe cuivrée.
Le cavalier se hisse en selle. Craintivement, le jeune serviteur se risque à lui murmurer quelques conseils de prudence. Agacé, l'homme les balaie d'un revers de main. - Je sais tout cela, dit-il mécontent. Je sais tout cela ... Mais moi, je vais étonner le monde ... Je rassemblerai les troupeaux les plus grands, je possèderai les chevaux les plus beaux ... Sans même lever la tête pour un dernier adieu vers les minces silhouettes qui se profilent derrière les fenêtres, le cavalier rabat la visière de son casque à cimier de dragon. Terrifiant comme un samouraï qui part au combat, l'homme fouaillant les flancs de son cheval, traverse le pont-levis dans un grondement de tonnerre et s'élance à la conquête du monde.
Dans le petit jour qui se lève, dressé sur ses étriers, plissant les yeux, portant son regard le plus loin qu'il peut, le cavalier repère, sortant de la brume matinale, un troupeau de chevaux à la robe blanche. Tel un rapace fondant sur sa proie, il se précipite, rassemble les bêtes et, à grand renfort de cris gutturaux, les pousse devant lui.
Au détour d'un vallon, des trapézistes, des jongleurs et des clowns maquillés, se préparent à la parade. Ils achèvent de monter leurs tréteaux de bois et de tendre leurs décors de toiles peintes. Agitant les bras, ils l'invitent à profiter de la représentation, à s'extasier devant leurs prouesses. - Holà cavalier! Arrête-toi un instant, descends de ta monture et admire le spectacle ... Mais le cavalier ne les voit pas. Il a décelé au loin le piétinement d'un troupeau de chevaux noirs. Il se lance à leur poursuite, bousculant devant lui les chevaux blancs.