Extrait du livre Opération Mémé
Opération Mémé de Fanny Joly et Magali Le Huche aux éditions Fanny Joly Numérik
Opération Mémé
Chapitre 1 Mon problème à moi Je m’appelle Fiona et j’ai un problème dans la vie : c’est ma grand-mère. Elle est gentille, ma mémé, mais... mais... Comment dire ? Elle est tellement gentille, justement, que parfois ça en devient un peu gênant. Avant la mort de mon pépé, elle habitait à 13 kilomètres de chez nous. Mais elle trouvait ça trop loin, alors elle a pris un appartement dans l’immeuble au bout de notre avenue. Depuis Mémé s’occupe de moi chaque jour, vu que mes parents ont trop de travail. Et presque chaque matin, elle passe à la maison « vérifier si on est heureux ».
Mémé dit comme ça. Elle dit tout le temps qu’elle veut que je sois « trrrrrès-z-heureuse dans la vie ». Et pas seulement maintenant, plus tard aussi... Surtout plus tard, en fait. Exemple de phrases de ma mémé : « Pour être heureuse dans la vie, ma petite Fiona, il faut absolument que tu parles plusieurs langues couramment... » Ou : « Il faut que tu te laves les dents après chaque repas... et aussi avant ! » En général, je réponds : « Oui, Mémé. » Parce que si je commence à discuter, on n’en finit plus. Mercredi dernier, pourtant, les choses ont tourné autrement. Je venais de me lever, tranquille, vers dix heures du matin, quand Mémé a débarqué : – J’ai pensé à quelque chose ! Pour être heureuse dans la vie, ma petite Fiona, il faut absolument que tu saches cuisiner, je viens t’apprendre à faire la quiche aux endives, un régal ! Avant que Mémé me dise que, pour être heureuse dans la vie, il faut absolument que j’arrête de marcher pieds nus sur le carrelage, j’ai enfilé mes pantoufles et j’ai soupiré : – T’es gentille, Mémé, mais... mais... j’aime pas trop les endives...
Mémé m’a regardée avec des yeux ronds : – Comment ça ? Pour être heureuse dans la vie, il faut absolument aimer les endives, ma petite Fiona ! J’ai bredouillé : – Oui Mémé, mais... mais... là tout de suite, c’est l’heure de ma série à la télé ! Mémé m’a regardée avec des yeux de plus en plus ronds : – Et alors ? Tu l’enregistres ! Tu la regarderas plus tard : vous avez un magnétoscope, ce n’est pas pour les pingouins ! – Oui Mémé, mais... mais... ai-je encore marmonné. Plus tard j’ai rendez-vous avec Arthur pour faire du roller. Mémé s’est gratté le menton. C’était mauvais signe. – Mmmhhh ! Qui est Arthur, déjà ? – Un copain de ma classe ! – Tu auras le temps de le voir demain ! a tranché ma grand-mère en faisant un geste comme pour chasser une mouche.
Et tout de suite, elle a enchaîné en disant que j’étais sa petite Fionounette d’amour, que je n’allais pas la laisser tomber comme une vieille chaussette. Elle m’a fait plein de bisous d’Esquimaux. Ça consiste à se frotter les bouts de nez, c’est une de ses spécialités. Alors, j’ai murmuré : – OK, Mémé ! Fiona en a assez. Sa mémé sait toujours ce qu’il faut faire pour être heureux dans la vie. Et elle vient tout le temps le lui rappeler. Chapitre 2 Le problème d’Arthur Le lendemain, quand je suis arrivée dans la cour de récré, Arthur m’attendait avec sa tête des mauvais jours : – Qu’est-ce que t’as fabriqué hier, Fiona ? Je t’ai attendue super longtemps ! T’as eu trop tort de ne pas venir, on s’est é-cla-tés. Esther a apporté des esquimaux et... Au mot « esquimaux », j’ai hurlé : – Ah ! tu me parles pas d’Esquimaux, OK ? Arthur a fait un bond en arrière : – Qu’est-ce qui te prend, t’es dingue ?
Je lui ai expliqué que le mot « esquimau » me faisait penser à ma grand-mère et que, si je n’étais pas venue la veille, c’était à cause d’elle. Au fur et à mesure que je parlais, mon copain devenait plus attentif... À la fin, il m’a entraînée à l’écart, derrière le marronnier : – T’es cap de garder un secret ? – Bien sûr ! ai-je affirmé. Arthur a insisté : – Sûr-de-sûr-de-chaussure-juré-craché ? – Mais ouiiii j’te dis ! Vas-y ! – Hé bien voilà, a murmuré mon copain, j’ai du mal à l’avouer mais j’ai un peu le même problème que toi, sauf que moi, c’est avec mon grand-père ! – Sans blague ? – Sans aucune blague, je t’assure ! Là-dessus, Arthur s’est mis à me raconter son grand-père presque en entier. Ça a pris toutes les récrés de la journée, même celles d’avant et d’après la cantine. En résumé : Pacha (c’est le nom de son grand-père) est un ancien capitaine de navire, un monsieur incroyable, formidable, inoubliable...
Le hic, c’est que Pacha est habitué à tout-tout-tout commander et, comme il n’a qu’un seul petit-fils, Pacha veut qu’Arthur soit un super-petit-fils. Pacha apprend à Arthur à bricoler, mais Arthur, lui, ce qu’il aime c’est le roller, les jeux d’ordinateur et un tout petit peu les livres, pas trop le bricolage... En plus, Arthur doit tout le temps aider Pacha à grattouiller le voilier qu’il répare au fond de son jardin pour partir faire le tour du monde... un jour. Pour le « récompenser » quand il a bien grattouillé, Pacha emmène Arthur pêcher sur la jetée sous prétexte qu’un homme qui sait pêcher s’en sort toujours dans la vie (on dirait presque une phrase de Mémé). Et si, par malheur, Arthur attrape un poisson au bout de son hameçon, il doit le vider lui-même avec ses mains pour enlever les tripes, le sang et tout... Pouark ! Moi, j’aimerais mieux mourir plutôt que de faire ça. Arthur aussi, il me l’a dit, sauf que lui, il l’a DÉJÀ fait, et plusieurs fois !