Extrait du livre S.O.S. forêt en détresse
S.O.S. Forêt en détresse de Marie Colot et Gormand A. aux éditions Kilowatt
S.O.S. Forêt en détresse
- Eva, tu dors encore ? -Vadim, t’es réveillé ? Mon frère et moi, on parle souvent au même moment. Normal, on est jumeaux. Le début de son prénom rime avec la fin du mien, ses joues comptent autant de taches de rousseur que les miennes. Mamounette dit qu’on se ressemble comme deux pommes de pin. Et elle s’y connaît : sa maison est entourée de sapins.
Chez elle, c’est un peu chez nous, et on en connaît chaque recoin. Depuis toujours, Vadim et moi, on passe une partie de l’été chez notre mamie. Dans son petit coin de paradis, tout est calme. Sauf nous ! Dès le premier jour, à 7 heures du mat’, on bondit de nos lits superposés, plus impatients qu’un jour de fête. On descend à la cuisine où nous attend notre pique-nique pour la journée. On le fourre dans notre baluchon avec nos jumelles, nos canifs et notre loupe.
- Le premier là-bas a droit à tous les biscuits de Mamounette, me lance Vadim. - 1, 2, 3... Partez ! On dévale à toute allure le jardin, on saute par-dessus le ruisseau et on plonge dans la forêt. Cette course, c’est notre rituel à chaque début de vacances. - Gagné ! Je touche le tronc de notre cèdre la première. - N’empêche, je serai en haut avant toi, Eva. Vadim grimpe à l’échelle de corde qui mène à notre cabane haut perchée.
On l’a découverte grâce à Ignace, le garde forestier, un ami de Mamounette. Quand il a un peu de temps, il nous emmène en balade dans la forêt et nous montre les plus chouettes endroits. Cette cabane, c’est notre quartier général. Un QG suspendu à cinq mètres du sol où on se sent comme deux aventuriers au bout du monde. Il n’y a que des arbres à des kilomètres à la ronde si on oublie la maison de Mamounette et, au loin, le hameau des Éperviers.
À l’intérieur de notre cabane, ça sent la mousse, la poussière et les fleurs séchées. Rien n’a changé depuis l’été dernier. À part... le paysage ! D’énormes trous ont transformé la forêt en gruyère. - Eva, c’est quoi ce bazar ? - Qu’est-ce qui s’est passé, Vadim ? - Allons voir de plus près ! On descend l’échelle de corde à toute vitesse puis on court sur le chemin.
Plus on s’enfonce dans le cœur de la forêt, plus son état est pitoyable. Des dizaines d’arbres, non, des centaines, ont été abattus ! Il ne reste qu’une large clairière où des troncs sont couchés par terre en un mikado géant. Des mètres carrés entiers de nature ont disparu. On se pince. Pas de chance, on ne rêve pas. Des larmes nous montent aux yeux. Notre forêt du bout du monde, on la connaît depuis toujours et on l’aime d’amour. Avec son parfum piquant et humide. Ses chants d’oiseaux et leurs battements d’ailes. Ses trésors qu’on ramasse sur les sentiers pour nos herbiers. On parcourt les alentours plus proches d’un champ de bataille rempli de cadavres que d’une forêt sauvage peuplée d’écureuils. - Y a eu un ouragan ou quoi ?
- Mais non, Vadim ! Je lui montre les empreintes que j’ai repérées dans la terre. - Un bûcheron ? - Plusieurs. Regarde, les semelles sont différentes. On suit ces empreintes de pas. Elles nous mènent jusqu’à un bulldozer et un camion, planqués derrière des arbres encore debout. - Eva, tu penses qu’Ignace est au courant ? - Allons le prévenir. Alors que nous rebroussons chemin, j’aperçois un nid abîmé sur le sol. À côté, des œufs écrasés proches de l’omelette. - Pffff, y a pas que les arbres qui meurent...
- Regarde, celui-ci est entier ! Avec précaution, Vadim ramasse l’œuf blanc moucheté de points roux. Il est aussi gros que la paume de nos mains et encore chaud. - Tu crois qu’il est mort ? Vadim l’entoure d’un mouchoir et le glisse dans sa poche. - Eh, là-bas ! On sursaute. Trois hommes en habits de travail, bottines et casque de sécurité nous entourent. Regards pas accueillants du tout. Grosses voix, gros bras. Pas le temps de leur offrir des sourires innocents qu’ils avancent vers nous.