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Un ami en danger

Un ami en danger

13-15 ans - 107 pages, 32033 mots | 3 heures 51 minutes de lecture | © Éditions du Jasmin, 2018, pour la 1ère édition - tous droits réservés


Un ami en danger

13-15 ans - 3 heures 51 minutes

Un ami en danger

À peine Alexis a-t-il mis le pied à Marseille qu’il déteste déjà la ville. Des bagarres au fond de la cour au trafic de drogue, du racket à la criminalité organisée, de la mauvaise organisation des transports en commun au minuscule appartement où il doit vivre avec sa mère et sa tante, tout l’éloigne du confort auquel il était habitué avant le divorce de ses parents.


Alors qu’Alexis découvre peu à peu la gentillesse et l’humour cachés derrière le sarcasme de ses camarades, tout bascule : l’un de ses amis, un jeune Moldave sans-papier, est arrêté par la police et va être expulsé. Mettant tout en œuvre pour éviter le pire, Alexis découvre alors une réalité qu’il ne soupçonnait pas, les difficultés et menaces qui pèsent sur ces immigrés en quête d’une vie meilleure.

"Un ami en danger" vous est proposé à la lecture version illustrée, ou à écouter en version audio racontée par des conteurs et conteuses. En bonus, grâce à notre module de lecture, nous vous proposons pour cette histoire comme pour l’ensemble des contes et histoires une aide à la lecture ainsi que des outils pour une version adaptée aux enfants dyslexiques.
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Extrait du livre Un ami en danger

Un ami en danger d'Isabelle Giafaglione et Sylvie Moreau aux éditions du Jasmin


Un ami en danger
1 Non, décidément, ça ne collait pas. Alexis, appuyé au mur, dans le bureau de la vie scolaire de son nouveau collège, était sous le feu des regards amusés ou hostiles. « Tchja vu l’nouveau ? Un blond ! — Aya ! Qu’il est beau, on dirait Brad Pitt ! — Hé, le nouveau, répète-moi ton nom, cria la surveillante. — Leroy, Alexis Leroy. — Oh ! C’est Louis XIV qu’est arrivé au collège Molière !
— Si vous n’avez rien à faire ici, dehors ! Toi, attends, j’appelle la CPE. » Il avait pourtant le matin même apporté un grand soin à sa tenue : jean Diesel, caleçon Ralph Lauren, Tshirt Moschino, Converse aux pieds et le nouveau sac Boss que son père lui avait offert au retour d’un de ses déplacements le dernier iPhone dans la poche, écouteurs aux oreilles. Au lycée français de Bangkok*, tout marchait comme ça. Tous ses copains avaient le même style, et les filles aimaient ça. À part quelques élèves complètement out, à qui on n’adressait presque jamais la parole. Des filles à jupe sous le genou et serre-têtes, des mecs qui semblaient s’habiller à l’armée du salut. Des nuls, qui ne sortaient jamais, qui ne parlaient pas musique. Ouais, mais le lycée français de Bangkok, c’était fini et bien fini… Il allait bien falloir s’y faire, sa mère le lui avait répété toute la journée d’hier. « Alexis, tu peux entrer ! — Bonjour, madame. » Une jeune femme, brune, grande, et assez forte l’attendait derrière son bureau. « Assieds-toi, Alexis. J’ai vu ta mère hier, qui m’a un peu expliqué votre situation. » La voix était chaude, mais le ton était ferme et incisif. Ça ne devait pas rigoler avec elle. « Comment te sens-tu ? poursuivit-elle. Tous ces changements… — Je… je ne sais pas encore… Ici, ce n’est pas pareil, je crois… » Sa mère et lui étaient partis précipitamment de Bangkok, où ils vivaient depuis trois ans une douce vie d’expatriés : grand appartement luxueux, cuisinière et femme de ménage. Parc sportif, piscine au rez-de chaussée. Il faisait ce qu’il fallait à l’école, il avait toujours réussi sans se forcer, les félicitations chaque trimestre. Le reste du temps, du sport à fond, la musique, et surtout sa passion : la photo. Oui, mais voilà. Un beau jour, tout s’était écroulé. Alexis n’avait pas tout compris. Des cris à la maison à n’en plus finir, sa mère en pleurs. Ses parents lui avaient expliqué qu’ils allaient se séparer, et sa mère, devant son insistance, lui avait raconté dans l’avion : son père avait rencontré une autre femme, une collègue de travail, une jeune Thaïlandaise avec laquelle il allait vivre. De la part de son père, rien. Aucune explication. Il fuyait son regard. La semaine du départ, il était encore parti en déplacement à Hong-Kong pour son travail. Sa mère et lui étaient donc venus habiter à Marseille en attendant mieux, chez la
tante d’Alexis qui pouvait les héberger dans samaison. Seulement, le collège de secteur, c’était le collège Molière, dans le quartier de la Rose. « Alexis, tu m’écoutes ? — Heu… oui, excusez-moi. — Voilà ton emploi du temps, tu es dans la 3e B. Je demanderai aux délégués de te guider. Et… un petit conseil : tu n’es plus au lycée français de Bangkok. Tu ne devrais pas venir avec des objets de valeur, ils risquent de disparaître rapidement. Cache ton iPhone aujourd’hui, et laisse-le chez toi à l’avenir. Et ta tenue… Tu en jugeras par toi-même, tu as l’air d’être un garçon intelligent. J’ai vu ton dossier, tes résultats sont excellents. Tu as raté un mois de cours, mais tu devrais pouvoir rattraper rapidement ton retard. Tu verras avec tes enseignants. Et maintenant, va rejoindre ta classe dans la cour. Ton professeur va venir vous chercher. » Dans la cour, il sentit ses jambes flageoler. Allons, il devait se ressaisir et ne pas oublier qu’il faisait déjà un mètre quatre-vingts et que ses épaules avaient pris durant l’année la largeur de celles de son père. Et son entraînement de rugby l’avait habitué aux coups. Il était l’un des meilleurs de son équipe. Dans tous les coins des cris, des hurlements, des rires, les filles d’un côté, les garçons de l’autre. Des élèves de toutes les couleurs, sauf la sienne… Du café au lait au chocolat 75 %. De grands costauds, survêt, baskets, capuche sur la tête, mains dans les poches. Démarche et gestes de rappeurs. Comme il avait vu sur TV5 pendant les émeutes d’il ne savait plus quel quartier à Paris. Pourtant, à Bangkok, il avait l’habitude des mélanges, des Européens, des Thaïlandais… Mais là-bas, c’était différent. Quelques filles, bras dessus, bras dessous, toutes en pantalons et vestes à la taille qui cachaient leurs formes, cheveux très noirs tirés en arrière, s’amusaient à passer et repasser devant lui en gloussant. Alexis avait l’habitude, il plaisait aux filles. Ses longs cheveux blonds qui lui tombaient sur les épaules et ses grands yeux bleus, ceux de sa mère, devaient les attirer. Il se redressa un peu, sourit. Mais il croisa les regards peu engageants de deux encapuchonnés, noirs et perçants. Il préféra capituler, fit semblant d’avoir un besoin urgent, et se dirigea vers les toilettes. À ce moment-là, la sonnerie retentit et toute la classe se dirigea de mauvaise grâce vers les escaliers, en marchant le plus lentement possible, suivie par la professeure. L’entrée en classe se fit dans une grande bousculade, rythmée par des rires et des cris. Enfi
chacun s’approcha de sa table et attendit debout. Les places étaient fixes. Alexis hésita, repérant celles qui étaient libres. « Le nouveau, intervint immédiatement Mme Gadet, tu vas t’asseoir à côté de Florin, là, à gauche. — Aïe, madame, il lui faudra le masque à gaz. — Il a l’air tout propre, les poux vont se régaler ! — Ça suffit ! Cessez vos remarques désobligeantes ! Une punition à tous ceux qui ouvrent la bouche sans autorisation ! » Aussitôt, trois garçons se mirent à ouvrir la bouche en silence, comme des poissons. Alexis s’installa à côté de son nouveau voisin. À Bangkok, il était à côté de… Il ne devait plus y penser. Florin se tenait assis, tête baissée. Son visage était surmonté d’une tignasse sombre taillée au sécateur, un pull informe et sans couleur lui tombait sur les épaules, ses ongles étaient bordés de noir. Ça promettait. Alexis essaya de se concentrer sur le cours. La prof de français, une petite femme assez énergique, leur annonça une nouvelle séquence : l’autobiographie. Ça tombait bien, Alexis aimait beaucoup le français, il était bon lecteur et aimait écrire. Ça le branchait plus que les maths. Mme Gadet distribua les textes, Jean-Jacques Rousseau, Les Confessions, puis commença à lire et à expliquer le vocabulaire. « Farid, où est ton cahier ? — J’l’ai oublié, m’dame. — C’est la troisième fois cette semaine, tu te moques de moi ? — Non, m’dame, mais ma petite sœur, elle me cache tous mes cahiers… — Cela suffit, sors une feuille, tu la colleras. — J’ai pas de feuille, m’dame. — Qui prête une feuille à Farid ? — Ça va pas, non ? Il nous prend pour qui ? — Allez, faites pas les radins… » S’ensuivit alors une longue dispute dont la prof vint à bout sans s’énerver. On voyait qu’elle avait l’habitude. On avait perdu une dizaine de minutes. Alexis n’en revenait pas. Il avait l’habitude de travailler dans le calme. Il n’avait jamais assisté à une scène de ce genre. Enfin, on se mit au travail. Son voisin n’ouvrit pas la bouche, ne le regarda pas une seule fois. Mais Alexis remarqua son écriture malhabile et son cahier couvert de ratures, chiffonné. Il écrivait de la main gauche, si lentement qu’il eut du mal à recopier tout le cours. Finalement, la prof les fit lire. Quand vint le tour de Florin, Alexis se rendit compte qu’il ne devait pas parler le français depuis bien longtemps. Il roulait fortement
les « r », disait « ou » au lieu de « u » en ânonnant. La prof le reprit à plusieurs reprises, il répéta docilement. Quand Alexis lut à son tour, impeccablement, elle le félicita. La première insulte fusa, celle de « payot ». Alexis n’avait jamais entendu ce mot, mais il comprit que ce n’était pas flatteur. En sortant de la salle, il se prit un fort coup de coude dans les côtes, venu de nulle part. La journée se poursuivit avec l’enchaînement des cours, maths, histoire-géo, musique, anglais. Selon la matière, le cours allait d’une simple cacophonie au plus rude combat. À la fin, les cahiers restaient vides. Le pire avait été le cours d’anglais. Alexis avait réussi à être admis dans le groupe des native speakers à Bangkok, ici on en était encore à dire son nom et son âge, quand le prof, un jeune homme dépassé par les événements, parvenait à obtenir le silence. Désolant. Pendant les pauses et le repas de midi, Alexis se retrouva seul, tel un pestiféré, comme son voisin Florin. Si on lui adressa la parole, ce fut sous le surnom de Louis XIV, qui avait déjà fait le tour du collège. Heureusement, sa carrure le protégeait… pour l’instant. Mais il avait bien vu que son sac intéressait certains élèves. Quant à son iPhone, il l’avait soigneusement caché comme on le lui avait conseillé. Quand il se précipita vers la sortie, à seize heures, il fut soulagé de voir que sa tante était venu le chercher en voiture.
2 Vingt-quatre enfants afghans, âgés de 10 à 15 ans et vivant sans parents dans les égouts de l’une des grandes gares de Rome, ont été découverts par la police. Les enfants dormaient sur des cartons dans les égouts et les sous-sols non utilisés de la gare d’Ostiense, l’une des deux grandes gares de la capitale italienne, a indiqué la police ferroviaire romaine qui les a trouvés au cours d’une vaste opération de contrôle des sans-abri dans les gares romaines. Le Monde, 04/04/2009 Il y avait toujours du vent dans le couloir du métro.
Il passait là, juste sous le port, et les gens se pressaient. La mendiante serra un peu plus le bébé contre elle. Il dormait bien dans sa couverture. Il avait bien tété tout à l’heure. Quand elle sortait son sein, les gens donnaient plus. Des pièces de cinquante centimes, de un euro, des fois même des billets de cinq. Alors elle le sortait souvent et le bébé mangeait beaucoup. C’étaient les petites vieilles qui donnaient le plus, elles aimaient bien le bébé, elles le regardaient, hochaient la tête, et sortaient le porte-monnaie. Au village, là-bas, quand son père avait su qu’elle était enceinte, il s’était mis en colère, il l’avait battue. Fort, très fort, des coups de pied partout, et aussi sur le ventre. Elle était tombée et s’était cogné la tête. Ensuite, le père s’était un peu calmé, il avait beaucoup bu, il était rentré plus saoul que d’habitude et s’était endormi en ronflant. Quelques jours après, il l’avait emmenée chez des hommes qui cherchaient des gens pour travailler à l’Ouest, en France, dans des hôtels. Elle avait dit qu’elle avait dix-huit ans, c’est ce qu’il fallait pour travailler là-bas. Elle avait menti, elle en avait quinze, mais elle faisait un peu plus. Les hommes l’avaient crue, ils n’avaient pas posé de questions. Ils avaient regardé son ventre, puis ils avaient donné quelques billets à son père. C’était tout. Elle n’était plus jamais rentrée chez elle, dans l’unique pièce qui leur servait d’habitation. Après, elle avait fait un long voyage, cachée dans la remorque d’un camion, derrière des caisses. Il y avait d’autres femmes avec des bébés, des vieux ou des « abîmés », un bras ou une jambe en moins. C’était drôle, des gens comme ça pour aller travailler. Mais ils avaient été gentils, ils s’étaient partagé le pain et l’eau. Il avait aussi fallu s’allonger au fond du camion et ne plus parler ni même respirer. À l’arrivée, la première chose qu’elle avait remarquée en sortant du camion, c’était le ciel, bleu, très bleu, il n’était jamais comme ça au pays. Quand ils étaient partis, il neigeait. Après, on les avait emmenés dans une grande salle. Il y avait d’autres femmes, des enfants, des vieux et des hommes abîmés. En groupes. Qui se faisaient à manger ou dormaient. Ça sentait plutôt mauvais. Il y avait un endroit pour faire ses besoins et un lavabo gris pour l’eau. Elle s’était installée dans un coin avec son groupe. Puis on leur avait expliqué le travail. Ce n’était pas un hôtel. C’était dans la rue. Il fallait tendre la main et demander de l’argent aux gens qui étaient tous riches, ici. Elle avait appris à dire « s’il vous plaît » et « merci ». Toute la journée, on le fai-
sait. Et c’était mieux avec le ventre, il fallait le montrer, ils lui avaient expliqué. Puis on donnait l’argent aux hommes, et eux, ils leur donnaient à manger. On n’avait pas faim. Un jour, son ventre avait été très douloureux. Les femmes l’avaient entourée et cachée avec des couvertures dans la pièce. Ça avait duré longtemps et ça avait fait plus mal que les coups du père. Mais à la fin, le joli bébé était arrivé. Ça lui avait fait tout chaud de le voir, tout petit, tout mignon. Elle l’emmenait toujours contre elle pour travailler. Depuis qu’il était là, elle gagnait plus. Et puis elle avait vu quelque chose de très beau, la mer avec des bateaux ! C’était la première fois. Elle les voyait quand elle venait dans le couloir. Pas tous les jours, car il fallait changer d’endroit, sinon la police les arrêtait. Elle avait très peur de la police. On leur avait dit qu’ils étaient très méchants, ici, avec les étrangers. Une fois, elle avait eu envie de voir la mer plus longtemps. Le bébé était tout froid, elle voulait le mettre au soleil. Elle était sortie du couloir, puis avait marché le long du port, jusqu’à une espèce de château. C’était joli, les bateaux faisaient une petite musique, le soleil les réchauffait. Mais l’homme l’avait rattrapée, c’était Radu, le plus dur. Il avait enfoncé ses doigts dans son bras, et lui avait dit tout doucement de revenir. Il n’avait pas crié, il y avait des gens partout autour. Quand ils étaient rentrés, il avait donné son bébé à une autre, il l’avait fait sortir. Il l’avait battue comme le père, et lui avait dit que si elle recommençait, il lui prendrait son bébé. Elle avait compris. Elle n’était plus jamais allée voir la mer.