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Aux yeux des autres

Aux yeux des autres

9-12 ans - 24 pages, 4601 mots | 35 minutes de lecture | © Utopique, 2023, pour la 1ère édition - tous droits réservés


Aux yeux des autres

9-12 ans - 35 minutes

Aux yeux des autres

Manon et Théo sont des cousins du même âge. Elle habite dans une maison minuscule qu’elle compare à celle d’une poupée, lui dans une grande bâtisse aux airs de château fort. Elle joue au bord d’une mer imaginaire, il a une piscine. Un jour de fin d’été où les deux enfants sont réunis pour la première fois chez Manon, Théo découvre non sans quelques surprises l’univers de sa cousine, et ils passent la journée à jouer à des jeux à la frontière entre réel et imaginaire. Le soir venu, ils sont sur le point de s’endormir sous une tente, quand Théo fait une déclaration qui chamboule Manon : « C’est pas si mal d’être pauvre, finalement... »

Est-ce bien à elle que son cousin fait allusion ? Cette vision lui semble extrême. Elle ne parvient pas à faire de liens entre le mot « pauvre » et ce qu’elle vit au quotidien. S’ensuit une série d’interrogations autour de la condition sociale de Manon. Après avoir débattu un long moment sans parvenir à vraiment se mettre d’accord, les enfants ont recours au dictionnaire. Mais la réponse qu’ils y trouvent ne les satisfait pas ! Ils décident alors d’écrire leur propre définition.

"Aux yeux des autres" vous est proposé à la lecture version illustrée, ou à écouter en version audio racontée par des conteurs et conteuses. En bonus, grâce à notre module de lecture, nous vous proposons pour cette histoire comme pour l’ensemble des contes et histoires une aide à la lecture ainsi que des outils pour une version adaptée aux enfants dyslexiques.
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Extrait du livre Aux yeux des autres

Aux yeux des autres, de Maëca Marquigny et Lucie Albon aux éditions Utopique.


Aux yeux des autres
C'était une des dernières nuits de l’été. Théo et moi avions joué toute la journée. Il était tard, l’heure de dormir était passée depuis longtemps, mais on avait l’excuse des vacances. On était allongés sous la tente et Maman était à l’intérieur de la maison, bien trop loin pour nous demander d’arrêter de chuchoter. On se racontait des histoires qui font peur et chaque bruit suspect me faisait sursauter. Heureusement, comme Théo me tenait la main, j’étais quand même un peu rassurée. On avait fini nos histoires de fantômes et on commençait à fermer les yeux, quand il m’a dit un truc que j’ai pas compris.
– C’est pas si mal d’être pauvre finalement. C’était bizarre qu’il dise ça, d’un coup, comme si ça avait un rapport avec moi. Moi, c’est Manon. Mes cheveux sont très longs, ondulés et épais comme ceux d’Esmeralda, et mes yeux sont marron cochon. C’est Théo qui les appelle comme ça. Moi, je rajoute toujours « marron cochon sale » parce que les cochons pas sales sont roses, et que les yeux roses n’existent que dans l’imagination. Théo, ça le fait rire. Lui, il a les yeux vert vipère tout court. C’est plus joli, mais beaucoup moins drôle, vu qu’il n’y a rien à ajouter après. En vrai, j’aurais bien échangé mes cochons sales contre les deux morceaux de ciel bleu qui éclairent le visage de Papa. Seulement voilà, il paraît que l’on ne choisit pas. La maîtresse m’a expliqué : une fois que la graine de Papa est arrivée dans le ventre de Maman pour me donner la vie, il n’y avait plus rien à faire. Elle m’a raconté une histoire de génie des tiques qui m’aurait inventée de la tête aux pieds. J’avoue que j’ai dû me retenir de rigoler tellement son explication ne tenait pas debout. Les génies vivent dans les lampes et les tiques sur les chiens ! Quand j’ai raconté ça à Maman, elle a éclaté de rire. Elle aussi devait penser que la maîtresse avait perdu la tête. Mais non, apparemment, c’est moi qui avais mal compris. D’après Maman, les génies et les tiques n’ont rien à voir avec mes yeux marron. La maîtresse a parlé de « génétique », en un seul mot. Un truc très scientifique qui décide de notre apparence. Bon, pourquoi pas, mais leurs explications, à l’une comme à l’autre, n’étaient vraiment pas claires.
Alors, tant qu’on ne me prouvera pas le contraire, si j’ai les yeux marron cochon sale, c’est parce que Maman s’est trompée de couleur lorsqu’elle les a imaginés. Bon ! revenons à Théo, mon cousin presque jumeau. On a le même âge tous les deux. Il paraît que quand on était dans le ventre de nos mères, elles se cognaient le nombril pour se dire bonjour tellement on prenait de la place. Enfin, je dis qu’on a le même âge, mais en vrai, il est plus grand de deux mois et demi et d’une tête. On aurait dû naître presque en même temps. Je suis sûre qu’il a triché en sortant plus tôt du ventre de Tatie pour pouvoir être l’aîné. Ça ne m’étonne pas du tout, encore maintenant, il est mauvais perdant ! On s’entend super bien tous les deux… la plupart du temps.
Si j’étais allée chez Théo comme d’habitude, cette histoire aurait été moins compliquée. Sauf que là, on était chez moi, pour la première fois. La journée avait pourtant bien commencé. Théo est arrivé dans la matinée, et je lui ai fait visiter notre chez-nous. Avec Maman, on habite dans une toute petite maison entourée de vignes. Elle est si petite qu’on l’appelle le cabanon. Je l’adore, c’est une vraie maison de poupée. Il y a une toute petite cuisine, une toute petite salle de bains avec un grand miroir, et une toute petite chambre. Je m’y sens bien, à l’abri, je sais qu’ici, rien de mal
ne pourra jamais m’arriver. Au début, Théo n’a pas eu l’air très convaincu en voyant la chambre que je partage avec Maman. – Tu dors avec ta mère ? Mais il est où, ton lit ? Alors, je lui ai montré. J’ai tiré mon matelas de sous le lit de Maman avant de demander à Théo de s’allonger. Puis j’ai fermé les volets et j’ai éteint la lumière. Les étoiles collées au plafond se sont mises à briller. – Oh, on dirait du camping à la belle étoile ! s’est exclamé Théo. – Exactement ! j’ai dit, ravie qu’il comprenne. Tu verrais ! L’hiver, c’est encore mieux, j’ai le droit à une bouillotte bien chaude, et avec le gros édredon en plumes que Mémé m’a donné, j’ai l’impression de dormir dans un nuage. La visite n’était pas terminée. J’ai tiré Théo par la main pour l’entraîner dehors. J’avais gardé le meilleur pour la fin. Autour de la maison, il y a plein d’arbres, un petit potager, et surtout, juste à côté, une mer de vignes. Si on regarde bien dans le sable laissé par les vagues d’il y a très, très longtemps, on trouve des coquillages et des fossiles. Petite, j’étais persuadée qu’ils étaient vieux comme les photos sur lesquelles Papa a les cheveux longs. Depuis que je sais qu’ils ont des centaines de millions d’années, je les regarde avec beaucoup de respect. Dire qu’ils ont peut-être été en contact avec toutes les générations de ma famille, jusqu’au premier Cro-Magnon !
J’avais promis à Théo que je lui montrerais la mer du bas de ma maison. Alors, on a enfilé nos maillots, puis on a préparé un sac avec de l’eau, des serviettes et de la crème contre les coups de soleil... ou les brûlures de soleil, comme je dis, moi. C’est plus logique. Pour faire des coups, il faut frapper et le soleil, il n’a ni poing ni pied. Quand on est arrivés au bord des vignes, Théo a fait une drôle de tête en regardant partout autour de lui : – Ben, elle est où, la mer ? J’ai levé les yeux au ciel. Je l’aime beaucoup, Théo, mais parfois, il manque vraiment d’imagination ! Je n’ai pas répondu. À la place, j’ai installé nos deux serviettes, et je l’ai invité à s’asseoir. – Ferme les yeux ! Ses yeux verts ont disparu sous ses paupières, et j’ai collé un gros coquillage sur son oreille droite. – Tu entends ? Il a hoché la tête, a rouvert les yeux, m’a enlevé le coquillage des mains puis l’a examiné de tous les côtés pour essayer de percer son secret. – Mouais, quand même, c’est pas vraiment la mer, il n’y a pas d’eau. Ce qu’il pouvait être exaspérant ! – Il y en avait avant, il y a très longtemps. J’ai cherché quelques minutes autour de moi et je lui ai tendu des coquillages et une pierre fossilisée en guise de preuve. Il n’a plus rien trouvé à redire. Je l’ai laissé glisser mon coquillage diffuseur de mer dans la poche de son maillot, l’air de rien, et on a construit un château de sable.