Extrait du livre Goliath
Goliath de Jean-Sébastien Blanck et Manuel Purdia Alzabane éditions
C'était la nuit, sur le perron d’un triste manoir délabré. Un vieux chat, rêvant à des rêves de chats, dormait profondément, tel un vieux roi solitaire en son palais. Le triste sire, gras et ankylosé, revoyait son empire d’autrefois. Il rêvait de ses mille combats victorieux et de ses mille chasses. Habile autant qu’agile, combien de proies avait-il capturées ? Combien d’ennemis avait-il soumis ? Jadis, le bois du parc comptait tant de martyrs et tant de suppliciés qu’Attila eût pu être son nom. Mais les humains avaient nommé ce gardien de l’Enfer, Goliath. Aujourd’hui, il n’était plus qu’un vieux chat dont on ne savait rien, si ce n’est que c’était un vieux chat. Il passait son temps à rêver car ainsi, disait-on, retrouvait-il sa splendeur. Et en cette froide nuit d’automne, les derniers sujets de sa cour, les oiseaux, les arbres et les vents, s’étaient comme lui endormis. Tout le bois s’était tu.
Cependant, même vieux, le tyran entendait rester maître en son royaume. Et cette nuit-là, son instinct le réveilla en sursaut : – Holà ! Vieux roi ! Debout ! Un danger te guette..., lui dit l’Instinct. Mais oui ! Un ennemi envahissait le bois ! Encore pétri de sommeil, le roi se raidit et scruta l’horizon mais il ne vit rien, sinon l’obscurité, totale et épaisse. Le roi convoqua la Lune. Jadis, cette bonne conseillère lui éclairait ses terres de conquêtes. Mais, depuis longtemps déjà, elle s’en était allée vers d’autres cieux... Tout à coup, transperçant le silence et la nuit, le portail grinça : l’envahisseur venait de franchir la grille du parc. Il s’approchait maintenant à grands pas ! Le roi-chat descendit du perron et scruta avec inquiétude la nuit si noire. Il ne distinguait rien, ni les arbres, ni les étoiles. L’ennemi, lui, se rapprochait toujours, d’une cadence rapide et régulière. Goliath se dressa sur ses pattes, et lorsqu’il voulut miauler, il n’émit qu’un cri faible et rauque. Sa voix l’avait abandonné ! Il fallut un pénible effort pour qu’enfin il fît entendre, au cœur de la nuit d’encre : – Qui s’approche ? Qui donc vient troubler mon repos ?
Sans réponse, le roi-chat fit appel à ses officiers messagers, les vents, et il leur miaula : – Holà ! les vents, les brises et les rafales ! Allez voir quel est cet intrus ? Capturez son odeur et amenez-la que je l’interroge ! Jadis, une escouade de ces braves esclaves eût fait prisonnière l’odeur ennemie. Mais cette nuit-là, seule une brise impertinente, jeune et légère, souleva quelques feuilles, puis effleura négligemment le roi. – Ô Majesté, souffla-t-elle. N’aie crainte et laisse-nous donc en paix. Après tant de batailles, ne crois-tu pas que nous avons assez travaillé pour ta grandeur ? Ce soir, les vents sont fatigués. Ils ne souffleront pas pour toi. Et la brise insolente se glissa entre ses jambes... Autrefois, le roi eut tôt fait de punir l’effrontée. Mais les vents, disait-on, s’étaient choisis un autre roi... Les pas, eux, se rapprochaient, plus forts, plus sourds, plus inquiétants.