Extrait du livre L'étoffe d'un roi
Des quatre coins du royaume, on vient honorer la naissance du prince Basile. Chacun présente son cadeau devant le nouveau-né. Un orfèvre a ciselé un carrosse miniature, une vieille paysanne a brodé des vêtements, un noble seigneur a rapporté des billes d’émeraude, un sabotier a sculpté des petits sabots… Soudain, le silence se fait. La terrible sorcière Véléna vient d’entrer. Elle porte un paquet sous son bras et va s’agenouiller devant l’enfant. Elle déploie alors une magnifique pièce de tissue d’une couleur et d’une texture extraordinaires. Tous sont émerveillés. Mais le roi déclare prudemment : - Nous allons ranger cette précieuse étoffe. Basile en disposera quand il sera plus grand.
Quelques années passent. Véléna rend souvent visite au prince. Un beau jour, elle le trouve seul sur les remparts, le regard perdu au loin. Elle s’approche doucement : - Tu sembles bien songeur Basile. - Ô, comme j’aimerais avoir la puissance de ces océans, la grandeur de ce ciel et la force de ces montagnes pour le bonheur de mes sujets. Je leur serai dévoué comme cette mésange qui fera tout pour nourrir ses petits. - Quelles nobles pensées, ton père peut être fier de toi ! Véléna se penche vers Basile et lui susurre à l’oreille : - Sache que ton avenir est lié à celui de l’étoffe que je t’ai offerte. Porte-la et tu deviendras un grand roi. - J’en ferai mon manteau de sacre, répond naïvement l’enfant.
À la mort de son père, Basile devient roi. Sa mère refuse que l’on coupe le manteau du sacre dans l’étoffe offerte par Véléna. - Si ton père a enfermé ce tissu, c’est qu’il craignait qu’il ne renferme quelque maléfice. - Véléna s’est toujours montrée gentille avec moi, s’emporte Basile. Et je ne crois pas à toutes vos histoires de sorcellerie ! Cette étoffe sera mon manteau ! Et il en fut ainsi. Jamais roi n’a été aussi beau. La cérémonie du couronnement se déroule dans l’ordre et le faste, selon la coutume. Tout à coup, alors que Basile reçoit sa couronne, son manteau se met à s’allonger, renversant les bancs et les candélabres. Devant la foule terrifiée, le roi grandit et grossit. Sa couronne perce les voûtes. Les murs de la cathédrale cèdent. Plus grand que les montagnes, il grandit encore. Le sol disparaît sous les plis du tissu. Les habitants du royaume doivent s’accrocher aux pans de l’étoffe pour ne pas périr.