Extrait du livre Lanterne rouge
Lanterne rouge de Marie Zimmer et Hélène Humbert aux éditions du Pourquoi Pas
Lanterne rouge
Lucie Des fesses devant mon nez. Qui se balancent, se dressent, s’affaissent. En une étrange danse.
Derrière cette multitude de fesses en partance, je m’accroche. Je suis à la peine. Je sue. Je souffle. Je souffre. Je dépasse mes limites. Je me mets dans le rouge. Lanterne rouge. Je vois peu à peu l’horizon de fesses qui s’éloigne. Qui prend ses distances. Et moi, pauvre cloche. Qui décroche. Mais jamais le gros lot. J’appuie désespérément sur les pédales. Je change de braquet. Je me fais violence. Je m’évade. Le paysage sous mes yeux s’étale. Pour ne pas faire comme lui, je roule en scrutant chaque défaut de la chaussée. On n’est pas à l’abri d’un nid de poule. J’ai un privilège immense : mon entière liberté dans l’espace. Je suis seule. La route m’appartient. Le peloton s’est fait la malle. Loin devant moi. J’ai mal. Mais je continue à pédaler. Assise sur ma selle ou debout. J’ai appris ça à l’entraînement. Tenir bon. Coûte que coûte. Aller jusqu’au bout.
Hugo Dans la famille, on est tous des mordus de vélo. On croque chaque course à pleines dents ! Aujourd’hui, c’est la troisième étape de La Boucle Féminine du Grand Est. On est des supporters de la première heure. On part toujours très tôt pour être sûrs d’avoir une bonne place. Mon père gare le camping–car dans la pente. — Comme ça, on sera aux premières loges quand elles attaqueront la montée ! lance–t–il satisfait. Ça va être du beau spectacle ! On retrouve Eddy et Céline, nos voisins. Ils ont déjà mis en route le barbecue. — Les saucisses grillent. La bière est au frais dans la glacière. On est fin prêts, dit Eddy en avalant une gorgée.
J’aime bien observer tous ces supporters qui s’agglutinent de chaque côté de la route. Certains sont là depuis la veille, confortablement installés. D’autres arrivent seulement et tentent de trouver le meilleur angle possible pour ne rien rater du passage des coureuses. Il y a aussi ceux, pris en sandwich entre deux camping–cars, qui tapent la belote et boivent un coup, le dos tourné à la route comme s’ils se désintéressaient totalement de la course. Une clameur s’élève parmi la foule. Les véhicules rigolos et colorés de la caravane publicitaire passent devant nous en lançant des bonbons, des gadgets, des tee-shirts, des porte–clés… provoquant cris et bousculades. — ATTRAPE Hugo ! hurle mon père. Eddy est aux anges, il a fait des pieds et des mains pour réussir à ramasser une casquette CHOCONOU qu’il brandit sous nos yeux, comme s’il avait ramassé un trésor. Y’a des banderoles partout. Une ambiance de fou ! Les yeux rivés sur la pente, j’attends. Je ne veux surtout pas la louper ! À la radio, la voix du speaker a annoncé qu’elle était dans l’échappée des trois coureuses de tête. Alors je la guette.