Extrait du livre Mamilou
Mamilou De Marie Zimmer Morgane David Editions Kilowatt
Chapitre 1 Tu seras bien là-bas La mère de mon père, c'est grand-mère Louise. Dans la famille, on l'appelle Mamilou. J'aime bien, c'est tout doux. Elle a quatre-vingts ans. Ça fait pile poil soixante-dix ans de plus que moi. Je n'ai pas l'impression qu'elle est aussi âgée. Faut dire que
pour rester jeune, Mamilou fait un truc extraordinaire à chaque anniversaire. Elle souffle sur ses bougies en balançant au temps qui passe : « Tu n'auras pas ma peau, vilain crapaud ! » Puis, elle rit avec un bruit de petits grelots qui s'entrechoquent. Mamilou vit à quelques kilomètres de chez nous, dans un quartier pittoresque, avec des maisons anciennes et des ruelles qui se faufilent un peu partout. Chez elle, c'est la caverne d'Ali Baba. C'est plein de trésors. J'ai le droit de toucher à presque tout, sauf aux beaux encriers en porcelaine, qu'elle collectionne dans sa vitrine. Quand j'avais cinq ans, j'en ai fait tomber un. Résultat : tout ébréché sur le côté ! J'entends encore la grosse voix de papa me gronder fort en ramassant les petits morceaux. « Ne crie pas comme ça après cette enfant ! », s'était exclamée ma grand-mère. « Ce n'est pas grave. De toute façon, mes encriers, je ne les emporterai pas avec moi. » Elle est rigolote Mamilou. Elle dit souvent ça quand elle parle des choses : « De toute façon, je ne les emporterai pas avec moi ! » Je crois qu'elle a prévu de partir un jour, les mains dans les poches, en laissant tout derrière elle. Aujourd'hui, en rentrant de l'école, je surprends mon père en train de dire à ma grand-mère : - Tu verras, maman, tu seras bien là-bas. Je ne sais pas de quoi il parle, mais en tout cas, ça n'a pas l'air de lui plaire à Mamilou. Elle répond d'un ton sec : - Pas question que j'y mette les pieds dans ta maison ! Plutôt mourir ! Mais qu'est-ce qui se passe pour qu'elle réponde un truc aussi horrible ? Je n'ai pas envie qu'elle meure moi ! Papa insiste lourdement.
- Je t'assure, maman, tu seras bien là-bas, tout le monde ne m'en a dit que du bien. Et puis, tu te feras des copains et des copines, tu seras moins seule. Sans compter qu'ils organisent un tas d'activités intéressantes. Tu ne risques pas de t'ennuyer. Mamilou tourne les talons, sans un mot. Elle sort de la maison en claquant la porte. Et mon père se retrouve seul au milieu du salon, comme une quiche.
Chapitre 2 Pas d'accord Depuis sa conversation avec papa, Mamilou a un peu perdu son sourire. Je me demande bien pourquoi. - Ça va, Mamilou ? - Mais oui, ma chérie, ça va. Mamilou arrive drôlement bien à cacher les choses qui la tracassent. Je ne sais pas comment elle fait. Moi, dès que j'ai un truc qui m'embête, qui m'énerve ou qui me fait mal, aussitôt la terre entière est au courant. J'attends de me retrouver seule avec mon grand frère pour en savoir plus. - Anatole ? Tu le sais toi ce que papa a dit à Mamilou et qui la rend si triste ? - Oui ! Mais je ne dois pas te le dire. Et voilà, c'est à chaque fois pareil. Sous prétexte qu'il a quinze ans, mes parents considèrent mon frère comme un grand. Ils lui confient des trucs qu'il n'a pas le droit de répéter. - Si tu me le dis, je mettrai la table à ta place pendant deux jours. - Six ! - Six jours ? Ben tu as intérêt à me donner tous les détails à ce prix-là.
- Papa a trouvé une place pour Mamilou, dans une maison de retraite. Il pense qu'elle n'est plus capable de rester seule chez elle. Qu'à son âge, ça peut être dangereux. Si elle tombe, si elle oublie de fermer le gaz. Il a même dit à maman qu'il trouvait qu'elle perdait un peu la tête. Je m'attendais à tout, sauf à ça. Mais c'est papa qui perd la tête ! Ce n'est pas possible que Mamilou s'en aille de chez elle, pour vivre dans un endroit qu'elle ne connaît pas, où elle sera comme un pot de fleur pas assez arrosé. Je m'en fiche s'il le prend mal, je décide d'en parler à mon père : - Papa, je ne suis pas d'accord pour que Mamilou aille dans une maison de retraite ! Mon père s'étouffe à moitié en avalant sa madeleine :
- Tu... quoi ? Tu n'es pas d'accord ? C'est la meilleure celle-là ! Du coup, il me sort les reproches habituels : que je ne dois pas écouter aux portes, qu'à dix ans, je n'ai pas à me mêler des affaires des grands, que ça ne me regarde pas... et patati et patata ! Ben si justement ! Ça me regarde ! C'est MA grand-mère ! Chapitre 3 La planque - Faut que je trouve une planque pour ma grand-mère ! - Une quoi ? - Une planque ! - Comment ça, une planque ?