Extrait du livre Le lion de pierre
Sur le Toit du Monde, au cœur du Pays des Neiges, vivait autrefois une famille de paysans. Ils habitaient une petite maison aux murs blanchis à la chaux, protégée par un stupa où flottaient des drapeaux de prières que les lungta, les chevaux de vents, portaient aux dieux.
La maison appartenait à Dorje, le frère aîné, qui était veuf et avait un fils de dix ans. Il hébergeait chez lui Tenzin, son cadet, avec sa jeune femme Dolma et leurs trois bambins. Pendant que les deux frères s'échinaient à cultiver quelques lopins de terre rocailleuse, la maîtresse de maison barattait le beurre, préparait la tsampa et s'occupait des enfants.
Dorje était d'une nature ombrageuse. Son caractère avait empiré depuis la mort de sa femme. Comme pour oublier, il s'était mis à boire plus que de raison du tchang. Peut-être supportait-il mal le bonheur du jeune couple lié par un amour aussi doux et solide qu'un lacet de soie... Un soir, d'une voix pareille au grondement du tonnerre, il laissa éclater sa colère : « La récolte a été mauvaise cette année ; il y a trop de bouches à nourrir sous mon toit ! Tenzin mon frère, crois-tu que nous passerons l'hiver ? Il serait temps que tu te conduises en homme véritable ! Dès demain, tu descendras dans la vallée chercher du travail. Tu ne reviendras que quand tu auras gagné de quoi nourrir les tiens ! »
La nuit fut trop courte pour le jeune couple qui resta tendrement enlacé jusqu'au petit matin sans pouvoir trouver le sommeil. Tenzin trouvait injuste la décision de Dorje. La moisson n'avait pas été si mauvaise et il avait fait sa part de travail. Mais il ne pouvait pas désobéir au grand frère qui les hébergeait.