Extrait du livre Le Livre d'Héléna
Le livre d'Héléna d'Agnès Laroche et Aurore Pinho e Silva aux éditions Kilowatt
Le livre d'Héléna
Chapitre 1 Ma promesse Ma meilleure amie s’appelle Héléna. Elle est aussi silencieuse que je suis bavarde, aussi blonde que je suis brune, aussi calme que je suis remuante. Nous sommes inséparables depuis le CE2. Comme des sœurs, mais en mieux !
Sauf que depuis quelques jours, rien ne va plus entre nous… Tout a commencé lundi avec un projet lecture organisé par la maîtresse. En faisant tinter les petits grelots qu’elle noue dans ses cheveux, elle nous a annoncé : — Chacun d’entre vous prêtera l’un de ses livres préférés à un camarade, qui le lira, et viendra le présenter devant les autres. Ça vous dit ? Les « Pfff », les « Bof » et les « Oh non » ont fusé. Héléna m’a regardée, et je lui ai adressé un clin d’œil. Nous, ça nous plaisait. On ne lit pas, on dévore. Tout ce qui nous tombe sous la main. Romans, BD, Mangas… Tout. La maîtresse a fait semblant de croire que la classe entière adoptait son idée, et elle s’est exclamée : — C’est parfait, je vais noter les binômes au tableau. Alors, qui se dévoue en premier ? Elle a noté nos noms, Héléna/Suzy, et nous a souri. Après l’école, devant l’arrêt de bus, j’ai proposé à Héléna : − Je peux te prêter L’incroyable histoire d’Emily Barnett, je viens juste de le terminer, j’ai adoré. Tu connais ? Elle a secoué la tête en se rongeant l’intérieur des joues, pensive comme toujours. En montant dans le 7, elle s’est tournée vers moi. — Des livres préférés, j’en ai plein… Passe à la maison, tu choisiras. Une fois chez elle, on s’est coupé deux tranches de brioche qu’on a apportées dans sa chambre, impeccablement rangée. — Bon, tes livres préférés, ce sont lesquels ? Elle a réfléchi deux minutes, puis elle a
sorti de sa bibliothèque une dizaine de romans. J’ai parcouru chacun des titres avant de pousser un profond soupir. − Désolée, je les ai tous lus ! Elle a fait la grimace en entortillant une longue mèche blonde autour de ses doigts. — Aïe… Bon, attends, j’en ai peut-être oublié un ou deux. On s’est plantées devant son étagère et, la tête penchée, la bouche pleine, on est parties à la recherche de la perle rare. J’ai rompu le silence en premier. — Celui-là, je ne le connais pas. En plus le titre, Le Livre d’Héléna, c’est marrant non ? Et je l’ai sorti de l’étagère. C’était un vieux bouquin qui datait au moins des premières dents de lait de ma grand-mère. La couverture me plaisait, un loup, gueule grande ouverte, face au lecteur.
Héléna, d’habitude si pâle est devenue rouge comme un poivron. — C’est que… Enfin… — Tu ne l’aimes pas ? — Au contraire, je l’adore, et justement… j’y tiens beaucoup, il est fragile, d’habitude je ne le prête pas. — Même à moi ? Ai-je murmuré. — Si… mais… Tu es sûre que tu n’en veux pas un autre ? J’ai jeté un nouveau coup d’œil aux livres devant moi, et j’ai conclu : — Ben oui. — OK alors, a-t-elle consenti. J’ai rangé le livre avec précaution dans mon sac à dos et elle a ajouté, suppliante : — Tu me promets que tu y feras attention, hein ? J’ai levé les yeux au ciel, j’ai promis, tapé ma main dans la sienne et je suis rentrée à la maison, pressée de m’attabler devant un deuxième goûter.
Chapitre 2 Un livre précieux Le soir même, une fois en pyjama, j’ai sorti Le Livre d’Héléna de mon sac. Douillettement installée, j’allais tourner la première page quand Tom, mon grand frère, est entré dans ma chambre. Il s’est laissé tomber sur mon lit en soufflant : — Deux heures de volley non-stop, ça vous tue un homme ! — Si l’homme pouvait agoniser plus loin, ça m’arrangerait. Je suis en train de lire, ça ne se voit pas ? Ai-je ronchonné. Avant même que j’aie le temps de m’écarter, il s’est jeté sur moi. Du bras gauche il m’a immobilisée, et de la main droite il a attrapé le livre. En mode alarme stridente, j’ai hurlé : — Rends-le moi tout de suite, il est fragile. — Tu m’étonnes, c’est une véritable antiquité, ce truc ! Le Livre d’Héléna… La couverture est débile, non ? J’ai crié encore plus fort : — Rends-le moi, je te dis ! Il s’est levé en dépliant son mètre quatre-vingt.