Extrait du livre Le prince congelé
Le prince congelé de Fanny Joly et Mérel aux éditions Fanny Joly Numérik
Le prince congelé
1. Au château de Hauteligne Il y a plusieurs siècles, vivait un jeune homme plein d’avenir. Il s’appelait Louis-Gaëtan de Hauteligne et il était prince, rien de moins. Louis-Gaëtan avait noble allure, à part une terrible loucherie qui faisait rouler ses yeux vers son nez comme deux billes égarées.
Quand il faisait le tour de ses propriétés, tout le monde avait peur de lui. Pourtant, le prince avait le cœur tendre comme du beurre, doux comme du miel de fleurs. Un soir, au bal chez le marquis de Grandchic, Louis-Gaëtan eut un grand choc : il croisa la plus divine des jeunes filles qu’on puisse imaginer. Théobaldine de Cœur de Granite avait un teint de porcelaine, des cheveux dorés, une taille d’une finesse extrême : on aurait dit une poupée. Louis-Gaëtan s’avança vers elle, et il bafouilla en faisant un énorme effort pour surmonter sa timidité : – Dan... dan... danserez-vous ce menuet, mademoiselle ? Théobaldine ne put retenir une grimace en se retournant vers Louis-Gaëtan : – Hélas, monsieur, j’ai terriblement mal aux chevilles... Louis-Gaëtan était déçu : – Ah... Oh... Quel dommage... Une prochaine fois, peut-être ? – C’est cela... ou plutôt jamais ! pouffa-t-elle sous ses dentelles.
Louis-Gaëtan, désolé, quitta le bal peu après. Il ne vit pas Théobaldine danser toute la nuit avec d’autres que lui. À partir de ce soir-là, l’image de Théobaldine hanta Louis-Gaëtan. Il la voyait partout, le jour, la nuit, sur la lune, sous son lit... Théobaldine, de son côté, ne rit pas longtemps. À cette époque, en effet, les filles obéissaient à leurs parents. Pour tout. Pas seulement pour se laver les dents (D’ailleurs, qui aurait songé à se laver les dents ?). Or, Louis-Gaëtan était cousu d’or. Jamais les parents de Théobaldine n’avaient vu d’aussi riche prétendant tourner autour de leur fille. Elle eut beau gémir, hurler, trépigner, ils demeurèrent impitoyables : – Tu l’épouseras. Et point de chichis !
Le mariage eut donc lieu, en grands chichis. On grignota douze chevreuils, trois sangliers et mille trois cent cinquante-neuf faisans. Louis-Gaëtan était rayonnant. Il trônait au milieu de ses invités. Il aurait voulu que cette journée dure toute la vie. Sous sa couronne de diamants, Théobaldine pensait le contraire. Elle aurait préféré que cette journée s’arrête net. 2. Le coup du dahu Théobaldine était douce comme un oursin et gentille comme une flaque de gadoue. Le soir même du mariage, elle s’enferma à triple tour dans les appartements que Louis-Gaëtan avait fait décorer pour elle. Le jeune époux eut beau gémir et trépigner à la porte, elle ne le laissa pas entrer.
Au petit matin, il s’effondra sur un banc, sans même enlever ses bottes. Les jours suivants, Théobaldine laissait entrer ses valets, son perruquier, ses professeurs de poésie, de grec, de clavecin... Mais son mari, jamais ! Louis-Gaëtan patienta des semaines, des mois, et bien plus que ça. Pour passer le temps, il chassait des escargots, des papillons, des hannetons... Théobaldine était contente, car le château, alors, lui appartenait. Elle pouvait s’y promener en toute tranquillité. Un jour où Louis-Gaëtan avait attrapé un lapin, elle lui dit : – C’est bien. Mais c’est petit... Le prince en fut tout ému. C’était la première fois que sa femme lui adressait un mot aussi gentil. Elle poursuivit : – Pourquoi ne partez-vous pas chasser quelque chose de plus gros... Disons une biche, par exemple. Quand Louis-Gaëtan rapporta une biche,