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Magnus, les peuples invisibles

Magnus, les peuples invisibles

9-12 ans - 116 pages, 38722 mots | 4 heures 39 minutes de lecture | © Dadoclem, 2020, pour la 1ère édition - tous droits réservés


Magnus, les peuples invisibles

9-12 ans - 4 heures 39 minutes

Magnus, les peuples invisibles

Le ciel est tombé sur la tête de Magnus ! Son père vend l'auberge d'Elveseter et l'arrache à sa contrée, à sa mère, à tous ses amis invisibles, elfes, trolls...

Mais Elveseter va le suivre à Oslo pour le meilleur et pour le pire. Magnus et sa nouvelle alliée Edda seront les héros malgré eux d'une bataille titanesque mêlant les dieux, les humains et les peuples invisibles. Et de leur destin dépendra le nôtre.


Lisez aussi :

Le premier tome : Magnus, une histoire à tuer le temps

Le deuxième tome : Magnus, le dernier chaman.

"Magnus, les peuples invisibles" vous est proposé à la lecture version illustrée, ou à écouter en version audio racontée par des conteurs et conteuses. En bonus, grâce à notre module de lecture, nous vous proposons pour cette histoire comme pour l’ensemble des contes et histoires une aide à la lecture ainsi que des outils pour une version adaptée aux enfants dyslexiques.
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Extrait du livre Magnus, les peuples invisibles

Magnus, les peuples invisibles de Laurent Peyronnet aux éditions Dadoclem


Après avoir quitté l’auberge de son père et marché quelque temps sur les pentes douces autour d’Elveseter, Magnus arriva devant une petite maison de pierre blottie au pied des grands sapins. Il la connaissait bien : c’était celle qu’on nommait au village la « maison du vieux fou ». Il poussa la porte, qui grinça doucement, et entra. Personne ne viendrait l’accueillir ici ; il le savait, ce n’était que le vestibule. Il se dirigea droit vers le mur du fond, et fit coulisser la grande carte du monde qui s’y trouvait. Un passage s’ouvrit, et il entra dans la bibliothèque. Il venait là chaque jour depuis le début des vacances. D’ordinaire, c’était toujours vers les livres qu’il se dirigeait, mais ce soir-là, il fut intrigué par un objet posé dans un coin sombre de la pièce. C’était un tambour. Ovale, très grand, presque aussi grand que lui. Il ne l’avait jamais remarqué. Mais ce soir, il avait l’impression que ce tambour l’attirait vers lui. Sur le cadre était tendue une peau de jeune renne blanc, et sur cette peau étaient dessinés les motifs que seul un chaman pouvait lire. Alors que son attention était plongée dans ces motifs peints à la sève de bouleau, Magnus entendit une voix qui passait du tambour à lui. D’abord, ce fut un chant indistinct, comme une mélopée. Puis le chant s’articula et devint poème. La voix disait : « Au commencement il n’y avait rien, rien que le vent, la terre et l’eau. Puis, vinrent les êtres, et parmi eux, les hommes. Avec les hommes vint la parole, et avec la parole, le souffle, qui était comme le vent. Du souffle et de la parole jaillit le chant. De l’union de la terre et du chant naquit le tambour. » La voix se tut, et du silence s’éleva le battement du tambour, vibrant, sur un rythme régulier, lent et profond, comme les pulsations d’un
cœur. Accompagnée par le tambour, la voix reprit : « Il y eut un hiver. Les hommes se réunirent autour du feu. Tandis que le tambour jouait, l’un d’entre eux se leva. Son âme guidait ses pas. En ce temps-là, il n’y avait qu’un monde, et l’homme ne se distinguait pas de lui. C’était alors l’habitude de suivre son âme sans lui demander où elle vous emmenait. La neige tombait doucement. Plus l’homme s’éloignait, moins il percevait le son du tambour. Seuls les battements de son cœur marquaient encore le temps. La nuit était sans lune, l’obscurité enveloppait toute chose. La neige crissait sous ses pas. Il traversa un lac gelé et soudain, son corps tomba dans un trou. Au contact de l’eau glacée, son cœur bondit dans sa poitrine. Tandis que ses membres se débattaient, il cria. Mais aucun son ne sortit de sa bouche. Ses yeux s’emplirent du néant. Il tourna un regard plein de terreur vers le ciel et supplia. Alors apparut le Stallo. » Les mots s’évanouirent, et Magnus reprit son souffle. La peau du tambour vibrait encore, doucement, puis de plus en plus fort. Cette vibration pénétra Magnus. Il ferma les yeux et fut aspiré hors de lui-même, comme par un maelstrom. Lorsqu’il rouvrit les yeux, il se trouvait au milieu de la taïga, sur les rives d’un lac gelé, quelque part au-delà du cercle polaire arctique, en un temps très lointain. Devant lui se tenait le Stallo. Il ressemblait à un très grand squelette, deux fois haut comme un homme, en partie animal, en partie végétal, en partie humain. Ses bras étaient semblables aux longues branches d’un arbre mort. De tout son corps pendaient des feuilles de métal qui produisaient un gémissement plaintif sous les rafales du vent. Sa tête, un énorme crâne de renne, regardait le paysage autour de lui. Le Stallo leva ses longs bras, serra les poings, les laissa en suspens un instant dans le vide, puis les écrasa sur le lac. La neige et la glace jaillirent comme un geyser. Magnus eut juste le temps de rouler sur le côté. Lorsqu’il releva la tête, il vit le lac ouvert, comme une plaie,
l’eau s’échappant de tous côtés et le Stallo qui s’en allait. Le bon sens aurait voulu qu’il reste caché. Au lieu de cela, il se lança à la poursuite du monstre. Celui-ci se déplaçait en de longues et maladroites enjambées, comme un gigantesque pantin. Magnus courut et lorsqu’il parvint à sa hauteur, il sauta et s’agrippa à l’une des feuilles de métal qui pendaient des bras du géant. Le Stallo avançait, indifférent à la présence du parasite venu s’accrocher à sa carcasse. Il écrasait tout ce qui lui barrait la route, déracinant des pans de forêt par brassées. Plus il arrachait d’arbres, plus sa force augmentait. Chaque fois qu’il détruisait quelque chose, il grandissait. Magnus fut soulevé dans les airs, secoué en tous sens. À présent, le Stallo était devenu si grand qu’il dépassait les plus hauts sapins. Au bout d’un temps qui parut très long à Magnus, la créature s’arrêta et se retourna : elle avait tout détruit sur son passage. Partout où le regard portait, ce n’était que désolation. Le Stallo fit demi-tour et observa, devant lui, la taïga encore intacte, qui s’étendait jusqu’à l’horizon. Dans un rugissement de rage, il s’élança. Magnus fatiguait. Il s’accrochait, mais les muscles de ses bras et de ses mains se tétanisaient sous l’effort. Le Stallo déracina un nouveau pan de forêt. Lorsqu’il lança le bras auquel Magnus était agrippé pour jeter au loin le fagot qu’il avait arraché à la terre, c’en fut trop pour les forces du garçon. Ses doigts lâchèrent la prise qu’ils tenaient, et il fut projeté dans le ciel. Son cœur s’arrêta de battre. Il tournoya à travers l’espace. Puis, soudain, les battements du tambour cessèrent, et il tomba dans la bibliothèque. « Que s’est-il passé ? balbutia-t-il, tremblant comme une feuille. – Tu as plongé dans le chant du chaman, lui répondit le troll Rognetide. L’épreuve de la vision est parfois difficile à supporter. – La vision ? Mais c’était un cauchemar, cette vision ! Qu’est-ce que ça signifie ? demanda Magnus, encore tout étourdi. – Je n’en sais rien », répondit son minuscule ami qui se tenait assis sur la tranche moelleuse d’un livre à l’épaisse couverture de cuir, posé sur le bureau.
Rognetide laissa à Magnus le temps de se remettre. Lorsque le garçon fut tout à fait revenu à lui-même, il se leva et regarda la pièce dans laquelle il se trouvait, avec sa magnifique bibliothèque. Même si les voyages dans lesquels l’aspiraient les livres étaient parfois éprouvants, voire inquiétants, cette pièce était devenue un repère indispensable à sa vie : il se sentait ici chez lui. « Qu’est-ce qu’on fait maintenant ? demanda Rognetide. Tu veux rentrer, ou on reste encore un peu ? – J’aimerais rester encore, faire un tour dans la forêt, répondit Magnus. Ce voyage m’a vraiment fait peur ! L’air frais me fera du bien. – J’en suis certain, répondit Rognetide dans un sourire. D’ailleurs, il va y avoir une veillée dans la clairière aux huldres. Il y aura plein d’invisibles, ça te dit ? – Super ! » s’exclama Magnus. Rognetide sauta sur l’épaule de son ami, et ils quittèrent la maison du vieux fou. Dehors, le ciel était très clair, et la nuit douce. Magnus avait découvert le peuple invisible grâce à Rognetide. Il y avait rencontré sa mère quelques jours seulement avant le début des vacances. Il avait profité de l’été pour tisser des liens indéfectibles avec celle qu’il avait si longtemps cru morte, ainsi qu’avec les huldrefolks qui peuplaient la forêt. Mais il avait dû cacher tout cela à son père, le peuple invisible refusant absolument tout contact avec les humains. Ce secret lui pesait : il aurait tellement préféré pouvoir réunir tout le monde. Mais c’était impossible. Il était donc contraint de mener une double vie. Les tâches à l’auberge étaient innombrables. Magnus essayait d’apporter son aide partout où il le pouvait. Le travail était harassant, et le soir venu, il était épuisé. Pour pouvoir profiter de sa mère et des invisibles, il avait fallu avoir recours à la magie. Ainsi, Rognetide lui passait tous les soirs sur les yeux un charme de désensommeil qui le rendait frais et dispos comme si les heures de travail à l’auberge n’avaient pas existé. C’était alors une autre vie
qui commençait, dans la cabane du vieux fou et dans la forêt, pleine d’aventures et de mystères. Le plus souvent, les deux compères ne regagnaient Elveseter qu’à l’aube, éreintés. Rognetide passait alors sur les yeux de Magnus un nouveau charme de désensommeillement, et c’était comme s’il venait de se réveiller d’une bonne et longue nuit réparatrice. Cette organisation avait fonctionné à merveille durant tout l’été, mais Magnus craignait qu’avec la rentrée scolaire et le retour de ses copains, les choses se compliquent. Il voulait profiter au maximum du temps qui lui restait. La clairière aux huldres était le lieu de rendez-vous des huldrefolks, une sorte de place du village féerique. Elle se situait non loin de la route que les humains avaient construite pour traverser la forêt et monter vers les sommets du Jotunheimen. On aurait pu, bien sûr, trouver un lieu plus éloigné, mais celui-ci avait l’avantage d’être plat et à l’abri du vent du nord. Tout bien pesé, on s’était dit qu’avec quelques enchantements, il serait facile de tenir les importuns à distance. Les humains s’étaient donc habitués à un étrange phénomène consistant en un épais nuage de moustiques qui revenait chaque printemps, rendant très difficile l’accès à un certain endroit de la forêt jusqu’à la fin de l’été. Ce nuage de moustiques était par ailleurs doublé d’un mur de végétation touffue, rempli de ronces et d’orties. Pour parfaire cette protection, les esprits de la pluie et du brouillard avait mission, dès qu’ils percevaient des promeneurs un peu plus hardis que les autres, de déclencher une bonne averse et de faire monter la brume au point qu’on n’y voyait plus à un mètre devant soi. La clairière elle-même était un grand espace d’herbe tendre à ciel ouvert à l’intérieur d’un cercle délimité par une palissade de grands et vieux bouleaux. Au-delà de ce cercle, c’était la forêt, avec ses méandres, son silence et ses ombres. Cette nuit-là, il y avait beaucoup de monde au rendez-vous. Nisses et tomtes avaient quitté les fermes pour rejoindre le petit peuple. Plusieurs tuftefolks papotaient entre eux au sujet des prochains tours qu’ils pourraient jouer aux
humains. Deux d’entre eux apprenaient à marcher à un vesle-tomte qui venait d’opérer sa transformation : d’un grand troll plutôt ventru, il était passé à une taille d’à peine vingt centimètres, ce qui n’allait pas sans la nécessité de certaines adaptations. Quelques enfants nisses jouaient avec leur reflet dans l’eau d’une petite mare. C’était un florilège de grimaces. Leurs éclats de rire s’égrenaient en trilles dans l’immense ciel étoilé. Un peu plus loin et d’une toute autre allure, un groupe de grands trolls s’était rassemblé. Il y avait là le bergtrollet et le fjelltrollet venus des hauts sommets et encore tout ébouriffés par les tempêtes qui rugissaient à ces altitudes. Un dovregubben avait fait le voyage depuis le plateau de Hardanger pour assister à la veillée. Le jutul des glaciers était lui aussi présent, venu en voisin. Quelques fées voletaient dans leurs belles robes de brume, laissant leurs traînes flotter au gré d’une douce brise. Les huldres chantaient à voix basse une vieille mélodie des alpages. Au centre de l’assemblée crépitait un grand feu qu’on avait pris soin d’enchanter afin qu’il ne déborde pas de la clairière. « La veillée va bientôt commencer, annonça Rognetide avec enthousiasme. Nous sommes arrivés juste à temps. Regarde, voici le bergtrollet qui s’avance. » Magnus se cala contre une souche. Le bergtrollet parcourut l’assemblée du regard. C’était un grand personnage de pierre, de terre et de mousse. Une couronne d’oiseaux voletait autour de son épaisse chevelure touffue qui abritait plusieurs nids. Leur pépiement accompagnait son récit comme une petite musique. Il dit : « Chers amis, j’aimerais, ce soir, vous raconter une histoire qui s’est déroulée il y a fort longtemps. – Combien de temps ? s’exclama un tomte dans l’assistance. – Hum, je dirai au moins cinq cents ans, répondit le troll avec bonhomie. – Et pourquoi si longtemps ? demanda un enfant nisse.
– Pour notre plus grand plaisir, répondit le bergtrollet en souriant. Il connaissait son public, et savait qu’il lui fallait parfois un peu de temps pour concentrer son attention sur le récit du conteur. C’était tout un art que de savoir se faire entendre de la joyeuse foule de la forêt. – Et c’était où ? enchérit un autre nisse, un peu plus âgé. – Vous le saurez si vous écoutez, dit calmement le conteur. Puis il ajouta : D’autres remarques, ou je commence ? » Une salve d’applaudissements répondit à sa question. Magnus ouvrit grand ses oreilles. « En ce temps-là, commença le bergtrollet de sa grosse voix, régnait, chez les humains, un roi qui avait une fille. Cette demoiselle était si belle que même les fées en étaient jalouses. Elle avait, vous l’imaginez, une foule de prétendants. Tous les jeunes seigneurs du pays rêvaient de l’épouser et rivalisaient de prouesses dans l’espoir de la séduire, mais aucun ne semblait lui convenir. – Dommage qu’aucun rise des montagnes ne se soit présenté, il aurait fait la différence ! » l’interrompit une grosse voix ressemblant tout à fait à celle d’un rise. Le conteur ignora l’importun et poursuivit : « Loin de ce royaume, un jeune homme nommé Ivar avait quitté la misérable ferme de ses parents pour chercher fortune. Après avoir longtemps cheminé de par le vaste monde, il arriva au château et se fit engager comme palefrenier dans les écuries du roi. Tandis que la princesse se promenait dans les jardins de son père, Ivar la vit passer et en tomba éperdument amoureux. Depuis ce jour, il ne put ôter la princesse de ses pensées. Son cœur se consumait pour la demoiselle, mais il savait qu’il ne serait jamais assez riche pour espérer lui être présenté. » Le bergtrollet avait maintenant conquis son auditoire, et tous écoutaient avec attention. Il reprit : « Un soir, au fond d’une taverne, il s’épancha de son tourment à l’oreille d’un voyageur : – Si tu savais, étranger, soupirait-il, combien la princesse est belle ! Je donnerais tout ce que j’ai pour qu’on me laisse le droit de lui faire ma cour. Mais je suis tellement pauvre que jamais
les portes du palais ne s’ouvriront pour moi. Alors, que faire ? – Il faudrait un miracle pour que tu épouses la princesse. – C’est exactement ça ! Tu as parfaitement compris ma situation ! s’exclama Ivar, au désespoir. – Ou bien il faudrait, suggéra le voyageur, que tu deviennes si riche que plus rien ne puisse se mettre entre toi et la princesse. – Ce qui serait un autre miracle, soupira Ivar. – Hum, poursuivit le voyageur. Et si je te disais que je connais, moi, un endroit où se trouve un trésor qui te rendrait demain aussi riche qu’aujourd’hui tu es pauvre ?» Ivar ouvrit de grands yeux et fixa, muet, le voyageur. Celui-ci continua en s’approchant tout près de l’oreille du jeune amoureux : « Dans les montagnes de Jotunheimen, dit-il, vit un troll... – Si seulement il n’y en avait qu’un ! » interrompit en riant une huldre. Toute l’assemblée éclata de rire, et le bergtrollet reprit son récit, un sourire au coin des lèvres. « Ce troll est si terrible que nul n’ose s’aventurer dans les forêts qu’il hante. Il est une menace pour les habitants. On chuchote qu’il possède plus d’or que tous les seigneurs du royaume réunis. Si tu le trouvais, suggéra le voyageur, tout cet or t’appartiendrait. Enfin, pas tout, car il faudrait que tu m’en donnes un peu... si je t’indique le chemin. Ta renommée serait faite, et ton prestige assuré aux yeux de la princesse. – Tu auras tout ce que tu voudras ! s’écria Ivar, dis-moi où est caché le trésor ! » Le bergtrollet ponctua son récit d’un silence durant lequel il parcourut des yeux l’assemblée. Tous étaient captivés et attendaient avidement la suite. Magnus avait fermé les yeux pour mieux se représenter la scène. Il brûlait de suivre cette aventure au plus près, si bien que lui vint à ce moment-là l’idée de tenter une expérience. Son ami Andersen lui avait appris, lors de son voyage à Copenhague, à entrer dans le corps de quelqu’un et à vivre sa vie comme si c’était la sienne propre. Il suffisait pour cela de plonger son regard au plus profond
des yeux de la personne choisie. Si on arrivait à attirer l’attention de celle-ci, la magie opérait : on passait de son corps au sien. Magnus imagina un visage à Ivar. En pensée, il en dessina les contours, les cheveux, le front, le nez, la bouche, et enfin, les yeux. Au bout de quelques secondes, Ivar sentit qu’on l’observait. Magnus capta son regard et plongea dans son corps. Il se retrouva, d’un coup, au milieu de la taverne, accoudé à la vieille table. Le voyageur indiqua à Ivar comment se rendre à travers la forêt jusqu’à l’antre du troll, et celui-ci quitta la ville armé d’une lourde épée, sur un cheval qu’il avait emprunté aux écuries du roi. Après avoir cheminé longtemps dans la forêt, il arriva au pied d’une haute falaise où il dut abandonner sa monture. Il parcourut le reste du chemin en se hissant à la force des bras. Magnus se regardait avancer dans le corps de l’autre, tandis que le héros de l’histoire grimpait vers la caverne du troll. L’escalade de la falaise fut une épreuve. Il parvint enfin devant l’antre du monstre. Ayant, à l’odeur, deviné la présence d’un humain, le maître des lieux sortit aussitôt. Ivar le défia. D’abord, le troll n’en crut pas ses yeux : cet avorton avait bien de l’arrogance pour l’insulter du haut de sa minuscule démesure, puis il fut pris d’un énorme rire qui secoua toute la montagne. Mais Ivar ne se laissa pas décontenancer et se précipita, épée levée, sur son adversaire, qui eut juste le temps d’esquiver le coup. Le troll se jeta à son tour sur Ivar, mais le jeune homme lui glissait entre les doigts. Magnus, essoufflé, sautait d’une jambe sur l’autre, au rythme des esquives du personnage dans le corps duquel il se trouvait. Au début, il avait pris la situation comme une sorte de jeu mais à présent, il remarquait un sentiment très sombre en train de naître chez son hôte, quelque chose d’intensément méchant, qui le dérangeait profondément. Magnus avait l’impression qu’Ivar éprouvait de la délectation à l’idée d’assassiner le troll. La course-poursuite dura un petit moment durant lequel le troll, tout en essayant d’attraper le gamin, réfléchissait : qu’allait-il bien pouvoir faire de ce vermisseau surexcité qui s’était mis dans la tête de le tuer ? Sautillant