Extrait du livre Olga et le cri de la forêt
Olga et le cri de la forêt de Laure Monloubou aux éditions Amaterra
Olga et le cri de la forêt
Chapitre 1 Olga avait huit ans, et elle avait déménagé six fois. Manger six fois du gâteau au chocolat dans une vie de huit ans c’est peu, se laver six fois les dents en huit ans c’est très très peu, mais changer six fois de maison c’est beaucoup pour une jeune vie comme celle d’Olga. Ces déménagements fréquents l’obligeaient à n’avoir que le strict nécessaire : la chambre d’Olga tenait dans une petite valise. Ainsi, quand Bernard, son papa, se levait un matin et décrétait, en plein petit déjeuner : « Mes
chéries ! Nous repartons à l’aventure ! », Olga n’avait qu’à ranger ses carnets, sa trousse, ses quatre livres d’images, sa boîte de crayons de couleur, son lapin bleu, ses cinq cartes à jouer, sa poupée Mirette, son dé, et elle était prête ! Bernard démontait la bibliothèque du salon, Fédora, la maman d’Olga, ingurgitait sa tasse de thé, la rangeait dans un carton avec la théière encore pleine d’un mélange russe qui dégageait une odeur délicieuse d’orange et de Noël, elle embrassait son mari, vidait le frigo dans la glacière, disposait les habits dans une boîte, pliait les chaises de camping, refaisait son chignon, son mari lui envoyait un baiser en chargeant tout ça dans le véhicule, on attachait le canapé sur le toit, on entassait les matelas à l’arrière, la litière de Monsieur par-dessus, et vogue la galère, enfin, en voiture Simone, c’est parti mon kiki, roule ma poule ! C’est ainsi qu’ils se retrouvaient tous les trois installés sur la banquette avant de leur vieille 403 break année 1957, héritée d’une grand-tante très moderne pour l’époque. Ils roulaient vers de nouveaux horizons, laissant derrière eux leur dernière vie...
Chapitre 2 Cette histoire commence ainsi, par un matin de départ : Olga avait à peine terminé sa tartine pain-beurre-confiture, Fédora avait à peine fini d’infuser son thé, que Bernard, qui avait déjà bu son café, avait déclaré : « Il est temps de partir ! » En le voyant sortir les cartons, Olga avait compris. Le vieux break fut rapidement prêt à exploser. Monsieur avait les moustaches en bataille, il ne disait rien mais tout cela l’exaspérait un poil. Olga avait rempli sa petite valise, sa chambre, enfin son ex-chambre, était presque vide, ne restait là qu’un montant de lit et un placard blanc assorti. Pour la septième fois toute la famille se retrouvait sur la banquette avant de la voiture, pour la septième fois elle prenait la route, et, comme à chaque fois, Olga se demandait avec une certaine excitation : vers où ? Ils avaient déjà connu le confort d’un cottage à l’anglaise, l’exiguïté d’une chambre de bonne parisienne, le modernisme d’une maison d’architecte (avec piscine), la simplicité d’un bungalow dans les Landes, la
grandeur d’un château trop froid, la douceur d’un chalet sous la neige, et, enfin, la praticité d’un trois-pièces avec cuisine équipée au douzième étage d’un immeuble construit en 1972. Où allaient-ils débarquer cette fois-ci ? En fait ce n’était pas si important pour Olga, ce qu’elle aimait, elle, c’était se trouver là, sur la banquette entre maman et papa, regardant les paysages, les villes, les hameaux, les gens sur les bords des routes qui défilaient en restant sur place. Elle aimait voir le soir tomber, elle aimait scruter les étoiles qui s’installaient derrière le grand pare-brise, elle les voyait briller, et songeait qu’il s’en fallait de peu que la voiture décolle et que papa dégote une jolie maison sur la lune. Olga s’endormait ainsi, la joue sur le bras de maman qui racontait sûrement des histoires à papa. « Nous y voilà ! » lança Bernard. Olga peinait à se réveiller, un petit rayon de soleil lui grattait la paupière, et essayait, gentiment, de lui ouvrir les yeux. « Cette maison est extraordinaire ! Bien mieux que sur la photo ! » s’exclama Bernard. Bernard qui, il faut bien l’avouer, avait une facilité déconcertante à l’émerveillement et l’enchantement malgré son âge déjà bien avancé (il frôlait les trente-huit ans). « Bernard, elle est incroyable ! » s’extasia Fédora, qui avait, elle aussi, un penchant pour
le fabuleux. « Ah, Fédora ! Je savais qu’elle te plairait ! » dit Bernard en embrassant sa femme, avant de se tourner vers Olga. Olga était sortie de la voiture et contemplait la maison : elle n’en avait jamais vu de pareille, si ce n’est dans quelques livres de contes ou histoires extraordinaires. Celle-ci était des plus étonnantes et des plus singulières : toute biscornue, vieillie par le temps, la pluie et les saisons. Elle avait des fenêtres partout ! Des grandes, des petites, des rondes, des allongées, des aplaties, des ovales, des cintrées, des triangulaires, des ouvertes et des fermées ! Il y avait trois étages, un balcon au deuxième, et une tour. Qui n’a jamais rêvé d’habiter une maison avec une tour ? Une tour au toit de tuiles, tout pointu, qui finissait par un pic surmonté d’une girouette, elle-même rehaussée d’un drapeau où se dessinaient quelques motifs qu’Olga ne pouvait pas discerner depuis le sol. « Allons-y, mes bichettes ! » chanta Bernard en brandissant un trousseau de clefs.
Chapitre 3 Bernard tourna l’immense clef dans l’immense serrure d’une porte d’entrée de taille normale. Il poussa le battant et fit une révérence à Fédora pour l’inviter à entrer, mais Monsieur, qui mettait un point d’honneur à visiter chaque nouveau lieu en premier, se faufila entre ses jambes. Fédora n’en prit pas ombrage, elle savait Monsieur très susceptible sur ce point (et d’autres que je ne peux pas énumérer ici). Un doux soleil caressait les murs, rebondissait sur le parquet, et faisait danser des milliers de petits grains de poussière dans l’air. Fédora ouvrit les fenêtres pour les laisser sortir, qu’ils aillent vivre leur vie dans le bois d’à côté. Le parquet grinçait à chaque pas. Bernard toquait sur les murs pour en vérifier l’épaisseur et la solidité : « Ah ! C’est une bonne vieille baraque ! Je le sens, mes amours, nous allons être aux petits oignons ici ! » Olga regardait son papa frapper les cloisons : elle ne s’inquiétait jamais de la solidité des maisons, pour le peu de temps qu’elle avait à y rester, cela n’avait pas d’importance. Au rez-de-chaussée se trouvaient le salon, avec une cheminée, la cuisine et un bureau ; un bel escalier de bois conduisait au premier, où il y avait deux chambres, puis l’escalier continuait jusqu’au deuxième, où il y avait
deux autres pièces, et enfin finissait son ascension au troisième, où il y avait une seule pièce et un autre escalier, très étroit, en colimaçon, qui menait à la tour. Bernard était déjà là-haut, les bras ouverts il tournait sur lui-même, heureux comme un petit enfant : « Mais regardez-moi cette pièce formidable ! Elle sera notre repaire, notre bibliothèque et notre observatoire, nous sommes tout à côté des étoiles ici ! Fédora, ma fleur, es-tu heureuse ? – Oh, Bernard ! – Olga, ma jonquille ? » Bernard prit sa fille dans ses bras, Olga lisait dans ses yeux la joie, et elle lui répondit avec un grand sourire. Partout où ils allaient, Olga pouvait choisir sa chambre ! Ici, elle s’était vite déterminée pour celle du troisième qui, je l’avoue, aurait été mon choix aussi ; dernier étage, tranquille, assez grande mais pas trop, avec, en plus, trois fenêtres : une carrée et deux rondes, qui donnaient sur le bois, et d’où sans doute Olga verrait très vite quelques biches gambader. C’était la meilleure pièce de la maison (si l’on ne comptait pas la tour, bien sûr – qui n’a jamais rêvé d’une tour ? vraiment, c’est
incroyable !). Fédora et Bernard avaient déjà sorti les affaires de la voiture et se préparaient un café dans la cuisine. Monsieur avait trouvé sa place, près de la cheminée du salon ; Monsieur était très prévoyant : il réservait ainsi son emplacement pour les soirées d’hiver (nous étions au mois de juin). On n’oublia pas le canapé, idéalement placé en face de la cheminée, tout proche d’une vieille armoire qui se trouvait déjà là et d’un piano droit qui n’avait pas joué depuis longtemps. Dans la chambre d’Olga, il y avait : – un fabuleux lit à baldaquin, où l’on plaça son matelas ; – un vieux bureau, avec quantité de petits tiroirs, où elle apprendrait ses leçons avec maman ou papa ; – une petite bibliothèque, parfaite pour les livres d’Olga. Olga adorait les livres, elle n’en possédait que quatre mais les chérissait comme un trésor. Ils étaient remplis de dessins étranges, de gravures, d’images incroyables où des bêtes sauvent des princesses et où des grenouilles parlent aux escargots.