Quand l'amour court

Quand l'amour court

9-12 ans - 18 pages, 2571 mots | 20 minutes de lecture | © Les 400 coups, 2012, pour la 1ère édition - tous droits réservés


Quand l'amour court

9-12 ans - 20 minutes

Quand l'amour court

C'est l'histoire de Paola. C'est aussi l'histoire de ses parents qui se séparent après s'être longuement disputés. C'est l'histoire d'un amour court et intense. C'est l'histoire de ciseaux. Et c'est l'histoire de trois roses... C'est aussi un conte, pour petits et grands, sur l'amour qui passe et l'acceptation de cette rencontre passagère. C'est surtout la séparation vue par un enfant, et le baume sur la tristesse qui l'accompagne. Un texte doux et sensible.

"Quand l'amour court" vous est proposé à la lecture version illustrée, ou à écouter en version audio racontée par des conteurs et conteuses. En bonus, grâce à notre module de lecture, nous vous proposons pour cette histoire comme pour l’ensemble des contes et histoires une aide à la lecture ainsi que des outils pour une version adaptée aux enfants dyslexiques.
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Raconté par Mina

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Extrait du livre Quand l'amour court

Quand l'amour court de Thierry Lenain et Barroux aux éditions Les 400 Coups


Quand l'amour court
Je m’appelle Paola. Autrefois, je croyais que les histoires d’amour duraient toute la vie. Aujourd’hui, je sais qu’il y a des histoires d’amour longues et des histoires d’amour courtes. Je préfère les longues. Seulement on ne choisit pas, et encore moins l’histoire d’amour de ses parents. Les miens se sont séparés. Ils se sont aimés beaucoup, mais pas longtemps. C’était une histoire d’amour courte, et je suis née dedans. Il n’y a pas besoin qu’une histoire d’amour soit longue pour naître dedans. Je suis née dans une histoire d’amour courte. Ça n’empêchera pas ma vie d’être longue. Mais je me demande quand même : c’est quoi, l’amour court ? C’est peut-être un amour qui court plus vite que les gens, et qui les laisse un jour par terre, à ne plus savoir rien faire d’autre que se disputer. Et après les gens oublient qu’ils se sont aimés.
C’était vers la fin de l’histoire d’amour de mes parents. Maman et papa se disputaient. Ils se disputaient fort. Ils se disputaient très fort. J’avais peur. Ils criaient. Je faisais du découpage. J’avais les ciseaux dans la main, et je découpais des femmes et des hommes dans un catalogue. Je mettais les femmes d’un côté et les hommes de l’autre. Les hommes loin des femmes, les femmes loin des hommes, de chaque côté de la table, au bout, au bord. Maman criait. Papa hurlait. Je découpais. J’avais peur, de plus en plus peur dans mon cœur et dans mon corps. Papa a poussé maman. Il l’a poussée dans le couloir, vers la porte. Il a ouvert la porte. Il a essayé de pousser maman dehors. Maman s’accrochait. Papa voulait l’arracher de lui, l’arracher de la maison. J’ai crié : - Arrête, papa ! Arrête ! Il essayait de refermer la porte sur maman. - J’ai les ciseaux, fais attention, j’ai les ciseaux ! J’avais les ciseaux dans la main. J’ai encore crié : - Fais attention, papa, j’ai les ciseaux ! Il a lâché maman. Il m’a regardée. Il est redevenu subitement très calme. Il a dit: - Pose-les par terre. Pose les ciseaux par terre, d’accord ? J’ai posé les ciseaux par terre. Ils étaient immenses dans ma main qui tremblait. Ils étaient devenus gigantesques. Ils me brûlaient les doigts et je les ai posés par terre. Il faudrait dessiner des lignes sur les histoires d’amour, et écrire en dessous : EN CAS DE DANGER, Découpez en suivant les pointillés Il vaut mieux découper une histoire en deux que la déchirer en mille petits morceaux. Mille petits morceaux qu’à force, on ne reconnaît même plus.
Parfois je fais un rêve. Ça se passe dans la forêt. C’est le printemps. Les branches et les feuilles filtrent le soleil, ça ressemble à un rideau de lumière. Les oiseaux chantent. La forêt est traversée par un sentier. Mon père et ma mère se promènent sur ce sentier. Ils poussent un landau avec un bébé dedans. Une petite fille marche à côté d’eux. C’est moi. Mes parents ne me voient pas, ils ne s’occupent que du bébé. De temps en temps, ils s’arrêtent pour remonter sa couverture, lui faire des guilis, le prendre dans leurs bras, l’embrasser. Le bébé gazouille. Mes parents rient, et lui rit aussi quand ils lui chatouillent le ventre. Je marche à côté d’eux et je les regarde. Je me dis : « Comme ils ont l’air heureux tous les trois. » Au début, bien sûr, je ne sens ni les baisers ni les chatouilles, puisque je suis la petite fille et pas le bébé. Je regarde, c’est tout. Mais après ça change. Je commence à sentir les baisers et les chatouilles que mes parents font au bébé. D’abord un seul baiser, une seule chatouille, et puis bientôt deux, et puis trois, et puis tous. Ce n’est pas moi qu’ils touchent, c’est le bébé, mais je sens tout de même la chaleur de leurs lèvres et le frôlement de leurs doigts.
Plus je ressens ce que ressent le bébé, plus l’image de la petite fille s’efface de la forêt et de mon rêve. La petite fille finit par disparaître complètement. Il ne reste plus que le bébé. Je suis passée à l’intérieur de lui. Je suis le bébé. Je vois avec ses yeux ; je vois les grosses bouches de maman et papa qui s’approchent pour m’embrasser. Alors dans mon rêve, je ne pense plus. Je vois seulement des images, des couleurs, des lumières, des sourires. Je m’abandonne aux baisers et aux caresses de mes parents. Je m’endors contre eux, avec un goût de lait tiède et sucré dans la bouche. Quand je me réveille, mes draps sont mouillés.