Extrait du livre Attention, Marion !
Attention, Marion ! Fanny Joly et Catel
CHAPITRE 1 Tranquille... Le soleil brille sur Issy-les-Moulineaux. Les grilles du collège sont fermées, bouclées, cadenassées pour deux grands mois. Youpi ! Mazaud-dit-Sado, notre redoutable-redouté principal doit être loin à l’heure qu’il est… où peut-il partir en vacances ? Je le verrais assez bien visiter le bagne de Cayenne. Ou les prisons d’Alcatraz… Et Fulmio, le plus cruel des profs de maths ? Pourquoi pas en train de faire des pâtés sur une banquise au Groënland, pendant que sa maman, assise sur un pliant, le surveillerait tout en tricotant (avec des moufles) un de ces horribles pulls couleur caca d’oie qu’il arbore tout au long de l’année ? Moi, en tout cas, je suis bien tranquille, allongée en
travers de la pelouse du N°25 rue des Acacias (autrement dit chez moi). Bon, bien sûr, j’ai quelques soucis : mes braves parents n’ont rien prévu pour « nos » vacances du mois d’août. Mais nous ne sommes que début juillet… Ils ont encore le temps d’organiser un fabuleux voyage à Hawaï ou Honolulu. On peut rêver… En attendant, la vie est belle. En réalité… la vie serait tout à fait belle si je n’avais pas un frère et s’il n’était pas en vacances à Issy-les-Moulineaux, au N°25 rue des Acacias très exactement. Ces derniers temps, j’ai l’impression que Charles essaie de battre le record du type le plus infect de l’ouest parisien et à mon avis, il est bien placé… Rien que ce matin, par exemple, il m’a successivement : - réveillée à 8h17 au son de son maudit saxophone (le troisième jour des vacances, il faut le faire ) ! - insultée à 9h09 sous prétexte que j’ai osé mettre un peu de musique alors que Monsieur venait de décider de travailler (le troisième jour des vacances, il faut le faire ) ! - liquidé les Cherry Chocos* sous le nez au petit déjeuner, une fois de plus (c’est un de ses gags récurrents, ce genre de comique de répétition ne me fait pas du tout rire) ! - branché l’arrosage automatique juste après que je me sois installée sur l’herbe en vue de bronzer… - aboyé : « T’es de la Police ? » à 10h57 quand je lui ai demandé où il partait et s’il rentrerait déjeuner… « N’y pense plus Marion ! me souffle une petite voix dans ma tête. Ton maillot est sec maintenant. Ton portable n’a pas été arrosé, les branches du chataîgnier l’ont protégé. Les oiseaux gazouillent. Les UV caressent ton épiderme. Ne gâche pas ces précieux instants. Oublie Charles comme il t’oublie... » Excellente idée. Je vais essayer. Ce n’est pas facile. Quand je repense au coup qu’il m’a fait hier encore… Touit touit touit touit ! Tiens, mon téléphone sonne. Répondons, ce sera toujours mieux que de ruminer. - Marion ? - Camille ! T’es où ? - Tu devineras jamais : chez moi ! - Comment ça chez toi… Ici, à Issy ? - Ouais ! - C’était pas hier que tu partais au Mexique ? - Ben normalement si… Mais finalement non ! Viens chez moi, je vais te raconter… - Non, viens toi ! Charles n’est pas là, je suis tranquille dans le jardin, j’ai pas trop envie de bouger… Silence au bout du fil. Bécasse que je suis : l’absence de mon frère n’est pas une bonne nouvelle pour tout le monde, et surtout pas pour ma meilleure amie. De même que j’ai du mal à oublier Charles, je n’arrive pas à me souvenir que Camille s’obstine à le trouver « super sympa »… - Viens j’te dis, insiste ma copine, j’ai commandé des
sushis pour le déjeuner… - Ben tu les apportes ! - J’peux pas. Le livreur n’est pas encore passé, je l’attens, allez, remue tes fesses ! Avec Camille, j’ai rarement le dernier mot. Est-ce elle qui possède trop d’autorité ou moi pas assez ? Peu importe, j’aime bien aller chez elle de toute façon. Ca me change. J’ai l’impression de voyager, dans une autre ville, une autre vie, une vie où la moquette épaisse remplace le parquet (qui grince), où les placards débordent de nouveautés fraîchement achetées (chez moi, on passe notre temps à serrer le budget), où on écoute les derniers CD (le père de Camille est producteur de musique), où on regarde les derniers DVD sur un écran plasma king size (à la maison, l’antique télé est planquée dans un coin et plus souvent éteinte qu’allumée, surtout en présence des parents)… Un quart d’heure plus tard, je m’engouffre dans l’ascenseur de Camille… juste derrière le livreur de Sushis Express. Ma copine nous ouvre, en peignoir. Elle échange la boîte de sushis contre une signature puis referme la porte sur le livreur pressé. L’entrée de l’appartement est encombrée de valises et de sacs de voyage. - C’est génial ce système de livraisons de sushis : mon père a pris un abonnement… observe ma copine en m’entraînant vers le salon. ( Camille vit avec son père, ses parents ont divorcé quand elle était encore bébé. François Moquin travaille comme un fou, d’où forte consommation de nourritures toutes prêtes… à être livrées. Des spécialités dont, chez moi, on ignore jusqu’à l’existence ! ) - Alors, tu pars quand ? lance-je. Je suis tellement habituée à voir ma meilleure amie s’envoler pour les quatre coins du monde dès le premier jour des vacances, que je n’hésite pas un instant : pour moi, c’est clair, elle va partir, c’est une question d’heures. - Je ne pars plus, Marion. Je RESTE ! Je cache mal ma joie : - Tout le mois de juillet ? - Ouais ! soupire ma copine, cachant mal sa contrariété. Quand je pense au programme qu’on avait : Cancùn, la pyramide de Chichen Itza, les vestiges Maya, la vallée d’Oaxaca, je suis dégoûtée ! Papa va essayer de mettre sur pied un autre voyage pour le mois d’août mais c’est pas gagné… Dans la foulée, j’ai droit au récit détaillé de la scène de ménage (si on peut dire) qui a secoué les lieux la veille. En vérifiant ses papiers au moment de partir, François Moquin s’est avisé que la photo de son ex-femme, (la maman de Camille en l’occurrence) manquait dans son portefeuille. Stupeur et questionnements. Miranda, la « fiancée » de François depuis trois mois (il en change souvent), une mexicaine au sang aussi chaud que son accent, a fini par
avouer : cette photo, c’est elle qui l’avait subtilisée… puis détruite. Et elle a enchaîné : le moment ne serait-il pas venu pour François de tourner la page sur les « vieilles histoires » et de l’épouser, elle, Miranda ! « Vieilles histoires » ? Aïe caramba ! Le papa n’encaisse pas ! La discussion vire à l’orage. Coup de tonnerre suivi de coup de balai. La page tourne, mais pas dans le sens que Miranda escomptait : elle se retrouve sur le palier avec ses valises. En arrière toutes. Taxi décommandé. Voyage annulé. Et voilà comment ma copine reste en rade sur son canapé de cuir blanc. Je ne lui demande pas si elle est déçue. Elle l’est. Même si elle ne me le dis pas, je le vois. Notre amitié date de la maternelle : j’ai eu le temps d’apprendre à lire sur son visage comme dans un livre... Plutôt que de compatir, je choisis de me réjouir. Une tape dans le dos. Un grand sourire. - C’est cool que tu restes, Camille ! Je suis super-méga-top-contente ! Faut pas croire qu’on s’ennuie ici, en juillet, tu sais ! Moi je connais… Y a plein de trucs à faire... Entre deux bouchées de sushis, j’entonne le couplet promotionnel que mes parents me débitent chaque fois que je me plains de m’ennuyer en juillet : « Issy-les-Moulineaux-sa-piscine-ses-zones-boisées-ses-installations-sportives-ses-espaces-culturels-etc… » Ma copine semble mordre à l’hameçon, en particulier quand je lance l’idée de balades en vélo. J’appuie sur la pédale, détaillant à loisir les bienfaits de la bicyclette sur la silhouette (ça tombe à pic, j’ai justement vu hier un reportage sur le sujet)… - Juste avant l’été, rien de tel pour se muscler les mollets et se raffermir les cuisses ! assène-je. - C’est peut-être pas une mauvaise idée ! approuve Camille. Surtout que Papa m’a offert un vélo à Noël, je ne m’en suis jamais servi ! - On va rattraper ça ! Qu’est-ce que tu dirais d’un grand tour, demain, jusqu’au bois de Meudon, avec pique-nique à la clé ? - Je dirais OK ! Mais pourquoi demain, pourquoi pas cet aprème ? - Parce que euh… Moi mon vélo c’est le vieux de mon frère, si tu vois ce que je veux dire… - Et alors ? s’étonne Camille. - Et alors il ressemble plus à une poubelle qu’à un VTT de compète… Il faut que je le remette en état… - Ben tu demandes à Charles de t’aider ! suggère ma copine, naïve. - C’est ça ! Pis je lui demande 50 euros, un paquet de
chewing-gums et de faire le ménage à fond dans ma chambre aussi ! C’est pas parce que le Père Noël t’a apporté un vélo qu’il faut y croire, ma belle ! De retour à la maison, je me livre à un diagnostic serré du vélo en question. La situation est moins grave que je ne le craignais. Après un sérieux lavage, suivi d’un soigneux graissage, je réussis à baisser la selle (mon frère mesure 1m87 et moi 1m51, dois-je le rappeler ?) sans autre aide que celle d’une clé à molette. Marion mécano. Je m’impressionne moi-même. Un bon coup de gonflette aux deux pneus et l’engin sera prêt à rouler. La pompe est à sa place. Décidément, les dieux du cyclo-tourisme sont avec moi, on dirait. Hélas, le raccord manque au bout de la pompe. C’était trop beau. Etabli, étagères, placards, l’indispensable accessoire reste introuvable. Une pompe à vélo sans raccord, autant dire une vinaigrette sans huile, un yaourt sans sucre, une radio sans pile ! QUI a bien pu séparer la pompe de son raccord ? Sûrement pas Maman, elle ne fait jamais de vélo. Encore moins Papa : « chaque chose à sa place » est un de ses slogans. Alors… Charles bien sûr ! L’abruti a dû se servir de la pompe pour gonfler un de ses multiples ballons de basket et abandonner le raccord après usage. C’est bien son style. Je fonce en direction de sa chambre. - Chaaaarles ? Silence. Il n’est pas là. Tant mieux, l’essentiel est que le raccord y soit. J’attaque une fouille en règle. Tiens, un paquet de cigarettes. Bravo Charly-l’embrouille, le même qui jure aux parents, main sur le cœur, qu’il ne fume pas ! Et cette bouteille, sous le lit, c’est quoi ? L’étiquette a été arrachée. Je débouche. Je hume. Pouah ! Ca me rappelle l’oncle Joseph Plumier ! C’est du whisky ma parole ! Seraient-ce les vapeurs d’alcool ou ai-je entendu la porte claquer ? Vite, refermons la bouteille. Zut ! Elle m’échappe des mains. Bling. Patatras. Cassée. La cata ! Bouts de verre partout. Whisky glougloutant sur la descente de lit. Des pas dans l’escalier. Au secours ! Fais quelque chose, Marion ! OK mais quoi ? - QU’EST CE QUE TU FABRIQUES DANS MA CHAMBRE, MOUCHERONNE ?
CHAPITRE 2 Raccord Mon frère surgit. Je suis scotchée, tétanisée. - Je… Je cherche le… raccord de la pompe à vélo… bafouille-je d’une voix blême. Charles est déjà à quatre pattes, le tesson de bouteille à la main. - C’est quoi ce travail ? Tu te paies ma tête ? Il me regarde comme s’il allait s’en servir pour m’assommer. « Allons Marion, ne te laisse pas abattre : la meilleure défense c’est l’attaque ! » m’ordonne la petite voix de ma tête. - Mollo, hein, c’est plutôt toi qui te paies la mienne ! Tu bois du whisky maintenant ? Il ne manquait plus que ça ! - De quoi tu te mêles !?! Non mais de quoi tu te mêles !?! Je le crois pas !!! - Moi non plus je le crois pas !!! Tu peux m’expliquer pourquoi t’as des clopes dans ta chambre, aussi ? Bravo Monsieur le Spécialiste de la Lutte Anti-Tabac ! T’aurais pas fumé le raccord de la pompe à vélo par hasard ? Méfie-toi, c’est mauvais pour les bronches ! - Dégage ! Je m’en fous pas mal de ta pompe à vélo ! Dégaaaage ! Il rugit. Je hurle. Il m’empoigne pour me jeter sur le palier. Je résiste de toutes mes petites forces. En vain. Je suis comme une poupée entre les pattes de King Kong. C’est alors que Maman déboule au tournant de l’escalier. On ne l’a pas entendue rentrer (et pour cause)… Mon frère se dépêche de bloquer la porte de sa chambre ; - Qu’est-ce qui se passe, Charles et Marion ? - Il arrête pas de me… - C’est elle ! Elle a… - Stop ! Je ne veux plus vous entendre ! J’en ai bavé toute la journée avec Machard (le supérieur hiérarchique de notre chère mère, un genre de Fulmio version patron de labo pharmaceutique) alors basta ! J’ai la tête comme une citrouille. Chacun dans sa chambre ! J’avale deux
aspirine et je me couche en attendant le retour de votre père. Vous vous expliquerez avec lui. Deux heures plus tard, melon, jambon de parme, table mise sous les arbres, avec nappe et bougies par Papa d’excellente humeur (ça fait une moyenne) et moi-même (un peu de fayotage ne peut jamais nuire) : l’atmosphère est nettement radoucie… Maman semble « décitrouillée » : elle a le sourire. Quant à Charles, il joue profil bas. Pour une fois… - Alors Bernard, c’était à quel sujet, cette dispute entre les enfants ? lance Maman d’un ton badin, tout en tournant la salade. - Quelle dispute ? s’étonne notre père. - Ils ne t’ont pas raconté ? - C’était rien d’intéressant… minimise mon frère. Je ne suis pas de cet avis. - Je cherche le raccord de la pompe à vélo partout, j’en ai besoin pour… Maman porte sa main à son front. - Le raccord de la pompe à vélo ! Ca fait au moins quinze jours que Patricia me l’a rendu ! Avec toutes les histoires de Machard, ça m’est complètement sorti de la tête... Papa se crispe : - On peut savoir de quoi vous parlez ? - J’ai prêté la pompe à ma collègue Patricia pour regonfler le tricycle de son petit dernier. Or deux jours après m’avoir rendu ladite pompe, elle a retrouvé le raccord au fond de son sac, raccord qu’elle m’a donc rendu… et que j’ai oublié dans le tiroir de mon bureau ! Passionnant n’est-ce pas ? Papa n’a pas l’air captivé. Charles, en revanche, boit les paroles maternelles. - T’as entendu, Marion ? En guise de réponse, je me tourne vers Maman. - Il faut absolument que je le récupère, ce raccord, j’ai... - Tu as en-te-ndu ? me coupe Charles, accusateur. J’exige des excuses ! Des excuses !?! Et puis quoi encore !?! 50 euros, un paquet de chewing-gums et le ménage à fond dans sa chambre ? Il peut toujours courir !!! Je serre les poings et je marmonne : - Pas question ! - Des excuses ! Immédiatement ! Papa lève les yeux au ciel. - J’aimerais dîner en paix si possible ! - Sans problème, à condition que ma soeur s’excuse ! déclare Charles. - Mais de quoi ? demande Maman. Mon frère me fixe. Je le tiens par la barbichette. S’il va trop loin, j’y vais aussi. - Elle le sait parfaitement... Je ne moufte pas.
- Le raccord de la pompe à vélo ! finit-il par lâcher. Elle m’a accusé de l’avoir volé et perdu ! - Pauvre biquet ! Crime de lèse-majesté ! ricane-je. Vu le nombre d’objets que tu as piqués dans cette maison, c’était pas total improbable, excuse-moi ! Tu veux qu’on parle de la clé USB ? Du CD de Too-Boo ? De ma lampe de poche ? Du sac à dos vert ? - Non ! tranche Papa d’un ton sec. Je préférerais qu’on parle de choses un peu moins triviales ! Silence. Charles plie sa serviette avec soin. - Excusez-moi, je peux sortir de table ? Je suis très fatigué, je voudrais aller me coucher… Fatigué ? Quel culot ! La stupeur m’empêche d’éclater de rire. Maman regarde sa montre. - A neuf heures et demie ? Il ne fait même pas nuit ! - J’ai TRÈS sommeil ! affirme mon frère en se forçant à bailler (je le connais par coeur, je sais quand il baille pour de faux ou pour de vrai.) - Hé bien va, bonne nuit ! lâche Papa, pas mécontent de finir son « dîner en paix »… Pourquoi me retiens-je de demander à Charles si son whisky ne va pas trop lui manquer ? Je suis trop bonne, voilà la vérité ! Le lendemain, quand j’ouvre un oeil, la maison est d’un calme parfait. Coup d’œil au réveil : 9h10. A cette heure-ci, les parents sont partis. Je n’ai rien entendu. Mon vague projet d’aller avec Maman à son bureau afin de récupérer le raccord de la pompe à vélo est à l’eau. Tant pis. J’irai en métro. A peine ai-je ouvert mes rideaux que Charles entre en trombe dans ma chambre. - Mon taille crayon ! Tu m’as chouré mon taille-crayon ! - Hé ! Ho ! Ca va pas la tête ? Il ouvre les portes de mon armoire, jette mes affaires par terre, tire les tiroirs de la commode, les retourne... - Ma gomme… Mon effaceur… Tu m’as sûrement volé un truc... - Arrête ce cirque tout de suite ! braille-je. Mon frère ne m’écoute pas. Il vient de