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Marion contre tante Charlotte

Marion contre tante Charlotte

9-12 ans - 31 pages, 9977 mots | 1 heure 13 minutes de lecture | © Fanny Joly Numérik, 1999, pour la 1ère édition - tous droits réservés


Marion contre tante Charlotte

9-12 ans - 1 heure 13 minutes

Marion contre tante Charlotte

Marion et Charles sont fous de joie : leurs parents partent 4 jours au Canada. Ils prévoient d’organiser une méga-fête. Mais un coup de fil ruine leurs plans : Tante Charlotte débarque ! Au programme : bonnes manières et repas équilibrés… Au secours ! Le frère et la sœur tiendront-ils le choc ?

"Marion contre tante Charlotte" vous est proposé à la lecture version illustrée, ou à écouter en version audio racontée par des conteurs et conteuses. En bonus, grâce à notre module de lecture, nous vous proposons pour cette histoire comme pour l’ensemble des contes et histoires une aide à la lecture ainsi que des outils pour une version adaptée aux enfants dyslexiques.
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Extrait du livre Marion contre tante Charlotte

Marion contre tante Charlotte


CHAPITRE 1 Enfin seuls ! Au cimetière d’Issy-les-Moulineaux, rien n’a changé depuis l’an dernier. Le même vent fait pencher les mêmes chrysanthèmes sur les mêmes tombes. Les mêmes familles arpentent les mêmes allées, du même pas pressé. Après les quelques minutes rituelles de recueillement autour du caveau FAMILLE GIRARDON, papa et maman marchent vers la sortie. Armée du parapluie Barbie que Mamika m’a offert quand j’avais huit ans, je les suis en évitant les flaques. Charles, mon frère, à qui j’ai pourtant proposé de venir abriter son mètre quatre-vingt-sept à côté de mon mètre cinquante, traîne derrière. La pluie dégouline de sa casquette comme d’une vieille gouttière.
– Un vrai temps de Toussaint ! Allez, dépêche-toi, Charles ! lance maman, qui piaffe près de la grille. Les portières de la voiture claquent. Avant de démarrer, papa nous regarde longuement, bizarrement : – Les enfants… Il faut qu’on vous dise quelque chose… Quoi ? Ils ont une maladie grave ? Ils ne savent pas comment nous l’annoncer ? – La semaine prochaine, il est possible que votre mère et moi partions en voyage. S’ils cherchent à contrer l’effet déprimant du cimetière, c’est réussi. Charles et moi échangeons un regard stupéfait. – Longtemps ? lâche mon frère en essayant de rester calme. – Quatre jours autour du 11 novembre. Ma boîte organise un séminaire au Canada. – Et, pour une fois, les conjoints sont invités, ajoute maman. Alors j’aimerais beaucoup y aller… – Mais, nous, on resterait à la maison ? Maman se tourne vers moi, étonnée : – Évidemment ! Où voulez-vous aller ? – Mais… seuls ? glisse Charles, comme si de rien n’était. Là, maman se tourne vers papa : – On va voir, on y réfléchit… Hein, Bernard ? Mon frère me pince comme s’il n’arrivait pas à y croire : jamais les parents ne nous ont laissés seuls plus d’une journée. – Félix, il reste seul chez lui quand ses parents partent à l’étranger, et ils partent tout le temps ! s’empresse-t-il d’annoncer. Et moi, dans la foulée : – Camille, c’est pareil ! (Camille est ma meilleure amie. Ses parents sont divorcés et son père, avec qui elle vit, n’arrête pas de voyager à cause de son boulot et de ses fiancées.) J’aurais dû me taire. Avec papa, quand on cite les autres en exemple, ça déclenche toujours une réaction opposée à celle que l’on espérait. – Oui, bon, les parents de vos amis font ce qu’ils veulent, tranche-t-il en tournant sèchement le volant. Eux, c’est eux. Nous, c’est nous.
À peine rentré à la maison, Charles surgit dans ma chambre, tel un chimpanzé qui aurait bu un magnum de champagne : – Quatre jours sans les parents ! C’est trop beau ! Le pied, le bonheur, le nirvana ! La méga-teuf que je vais organiser ! Je vais faire venir les Savage Pulseurs, le groupe rock du bahut. On va casser la baraque ! – Moi aussi, je vais pouvoir inviter mes copains ! Depuis le temps que j’attends ça ! L’euphorie de mon frère retombe aussitôt : – Hé ho, mollo… Je ne vais pas jouer à la nounou, non plus. – Dis donc, je suis aussi chez moi ! Si tu le prends comme ça, je dis tout aux parents, et vite fait ! C’est déjà pas gagné pour qu’ils nous laissent seuls. Alors, si je leur parle des Savage Pulseurs, ce sera « niet » pour de bon ! Avec mon frère, il faut toujours menacer pour se faire entendre. Mais bon. Il me tape dans la main. C’est l’essentiel. – D’accord. Invite tes petits biquets. Tes petites biquettes, surtout. Tes copines commencent à être mignonnes, non ? me dit-il, soudain radouci. Je glisse sur son machisme primaire. Inutile de s’égarer en discussions stériles. Peu à peu, l’incroyable perspective se précise. Les diverses tentatives de maman pour recruter cousins, amis, marraines ou parrains susceptibles de venir nous « garder » en leur absence tombent à plat les unes après les autres. Ces braves gens ont tous d’autres projets pour le week-end du 11 novembre. Tant mieux pour eux. Pour nous aussi. Dans les jours qui suivent, mine de rien, maman passe son temps à me montrer comment changer le sac de l’aspirateur ou faire marcher le four. Des signes qui ne trompent pas. Papa, un soir, prend Charles par le bras pour lui demander, d’homme à homme et les yeux dans les yeux : – Tu es sûr que tu sauras fermer la maison ? Verrous, volets, serrure de l’entrée, porte de la cuisine ? Sans forcer sur le loquet qui est sur le point de casser ? Et maman d’enchaîner en me regardant avec méfiance : – Attention ! Jamais d’eau de Javel dans les toilettes, surtout ! Sinon, c’est la mort de la fosse septique ! Comme si j’allais me ruer sur l’eau de Javel pour récurer sauvagement les W.-C. dès qu’ils auront le dos tourné ! S’ils savaient ! Pour l’instant, dès qu’ils tournent le dos, ce qu’on prépare sauvagement, c’est la méga-teuf-du-siècle !
Huit jours ne sont pas de trop pour un projet aussi grandiose. Entre le buffet, le budget, les disques, l’éclairage, la sono, la liste des invités, il y a de quoi s’occuper. Ça tombe bien, Charles et moi, on s’en occupe d’arrache-pied. Main dans la main, pour une fois. On a même prévu le plan d’évacuation des meubles du salon ! Et demandé l’aide de Camille, qui, de son crayon surdoué, nous a dessiné une invitation géniale : un couple de kangourous rockers avec lunettes noires et coiffure banane, dansant sous ces mots : Samedi 9 novembre De 21 heures à… pas d’heure Méga-teuf chez Charles et Marion Apportez à boire, mais tenez votre langue (because parents pas au courant) J’ai argué de la galanterie pour tenter de mettre mon nom en premier, mais Charles a brandi le droit d’aînesse et l’ordre alphabétique pour me passer devant sans vergogne… Photocopies, distribution discrète des enveloppes en récré pour ne vexer personne, tout marchait comme sur des roulettes quand, mardi soir, en posant la soupière sur la table, maman a soudain précisé : – Bien sûr, pendant notre absence, pas question d’organiser de boum ! Se douteraient-ils de quelque chose ? Auraient-ils vu traîner une liste, un dessin, un indice ? Un rire nerveux, irrépressible, catastrophique, commence à m’agiter. – Non…, affirme mon frère en me lançant un œil noir comme s’il était sûr que la fuite venait de moi. Papa me dévisage soupçonneux : – Qu’est-ce que tu as à rire, Marion ? Et maman, prête à se vexer : – On ne dit plus une « boum », c’est ça ? – Effectivement, « boum », ça fait vraiment obsolète, s’empresse de déclarer Charles tandis que j’essaie de me calmer derrière ma serviette. – Et obsolète, ça ne fait pas obsolète ? s’écrie maman, vexée pour de bon. On en est là, quand le téléphone sonne. Issue de secours. Je me précipite, finissant d’étouffer mon rire dans ma serviette. – Allô…
Une voix de femme lointaine, âgée mais ferme, me cloue sur place : – C’est toi, ma petite Marion ? – Oui… – Alors, c’est bientôt ton anniversaire… Ça marche, le collège ? Je suis pistée. Elle sait tout de moi, et je ne sais même pas qui elle est. – Tu me reconnais ? Je te donne un indice : j’appelle du département 59 ! plaisante-t-elle. Pourquoi pas son adresse en Chine ? Ça irait plus vite ! Si elle croit que je passe mes soirées à apprendre la liste des départements… – C’est TAN-TE-CHAR-LOTTE ! finit par marteler la voix d’un ton de triomphe. Tante Charlotte ? Quicéça ? Côté maman ou côté papa ? Mon ordinateur s’embrouille sur le logiciel « famille ». Je bafouille : – Ah… Tante Charlotte… Aussitôt, comme en écho, la voix de papa tonne à travers le couloir : – TANTE CHARLOTTE ! Et il m’arrache le combiné. En reprenant place à table, j’essaie de me rafraîchir la mémoire : – C’est qui, au fait, Tante Charlotte ? Maman me dévisage, le sourcil plein de reproches : – Enfin, voyons ! La troisième sœur de Papy Girardon ! – La belle-sœur de la cousine du beau-frère de la cousine issue de germain de…, ricane Charles. Mais, quelques minutes plus tard, mon frère a moins envie de rire, car papa annonce, solennel : – Une mauvaise nouvelle et une bonne. La mauvaise, c’est un décès. Une amie d’enfance de Tante Charlotte vient de mourir d’un arrêt du cœur. La bonne nouvelle, c’est que Tante Charlotte vient à Paris pour l’enterrement et qu’elle accepte de rester quelques jours ici. Ahurie, désignant le plancher, je parviens à bredouiller : – Ici… mais… ici… ici ? – Ici, oui, à Issy-les-Moulineaux ! Dans cette maison ! Avec ton frère et toi ! Nous qui cherchions quelqu’un pour vous tenir compagnie pendant notre absence, on ne pouvait pas rêver mieux ! Et maman de conclure, dans un sourire émerveillé : – Oh que oui ! Avec Tante Charlotte, au moins, on peut être sûrs que tout se passera bien ! Et dire que j’ai épluché mon carnet d’adresses sans même penser à elle ! Ce coup de fil est un vrai cadeau du Ciel !
Un peu plus tard, le chimpanzé a fait place à un ours enragé. Tandis que mon frère tape contre les murs de sa chambre, je mobilise tous mes neurones pour tenter de retrouver un souvenir de Tante Charlotte. – Tante Charlotte… C’est pas celle qui a des bas gris et une tête de souris ? – Elles ont toutes des bas gris et des têtes de souris ! trépigne Charles. – Celle qui nous envoie toujours des truffes en chocolat à Noël ? – Qu’elle s’étouffe avec ! Moi, je ne reste pas là… Le lendemain soir, maman n’a sans doute pas mesuré l’état de notre moral quand elle s’aventure à défiler, très star, à travers le salon dans sa tenue de soirée « spécial Canada » : robe longue, foulard, bijoux… – Qu’est-ce que vous en dites, les enfants ? C’est mieux avec ou sans les gants ? Tandis que je m’efforce de réfléchir, Charles lui jette à peine un regard avant de lâcher, l’air bougon : – Avec les gants, c’est bof, et sans les gants, c’est… bof ! Les mains sur les hanches, la star manque de suffoquer avant de se tourner vers papa : – Merci ! Tu entends ça, Bernard ? Ça fait plaisir. Avant que papa ne réagisse, Charles attrape maman par le cou et l’embrasse presque gentiment : – Je plaisantais, m’man. Tu es la plus belle, avec ou sans gants ! mais, franchement, le coup de votre vieille tante, là, c’est trop dur ! Elle va nous prendre la tête, je le sens. D’ailleurs, moi, avec tout le boulot que j’ai, j’aimerais mieux m’installer chez Félix pendant que… Le lâcheur ! Cette fois, c’est moi qui suffoque. Mais je n’ai pas le temps de protester que papa marche déjà vers son fils, menaçant : – Ça ne va pas ? Tu dérailles ? Retire immédiatement ce que tu viens de dire ! Non seulement tu es désagréable avec ta mère, mais en plus tu insultes Tante Charlotte ! Une femme exceptionnelle, d’un cœur, d’une intelligence, d’une générosité hors du commun ! Une Résistante ! Qui a sauvé je ne sais combien de gens pendant la guerre ! Qui a commencé institutrice et fini directrice d’école ! Elle vient ici, chez nous, et tu ne te rends même pas compte de la chance que tu as. Alors, écoutez-moi bien, tous les deux. Vous allez être aux petits soins avec Tante Charlotte, et s’il y a la moindre anicroche pendant son séjour, il vous en cuira, je vous le garantis.
Prise de peur, je proteste lamentablement : – Mais j’ai rien dit, moi ! – C’est bien ce qu’on te reproche ! Pas un pour rattraper l’autre ! commente maman en retirant nerveusement ses gants.
CHAPITRE 2 Coucou Les pneus crissent sur le gravier. – Charles ! Ils arrivent de la gare ! Les voilà ! Mon frère me rejoint près de la fenêtre du salon. Ça me rappelle quand on était petits et qu’une nouvelle baby-sitter venait nous surveiller. En fait de baby-sitter, une minuscule silhouette tassée mais tonique, surmontée d’un chapeau bleu genre pot de chambre renversé et flanquée d’une valise à roulettes, grimpe les marches du perron… – Au secours ! Je vais me planquer ! s’écrie Charles en filant dans l’escalier. Je reconnais vaguement ce visage, ces yeux bleus de vieux bébé, cette bouche noyée dans les rides, ce sourire qui s’étire comme un ressort… – Bonjour… Tante euh… Charlotte… Elle prend ma main entre ses doigts fripés : – Bonjour, Marion ! et le grand frère, il n’est pas là ? – Il doit travailler, hasarde maman. – S’il travaille, il ne faut pas le déranger ! déclare Tante Charlotte. Le dîner ressemble à un roman historique. Aux hors-d’œuvre, on échange les nouvelles récentes. Au plat de résistance, on en est à 1960. Au fromage, à la guerre de 40. Au dessert, on attaque celle de 14-18… – Et Cro-Magnon, tu crois qu’elle le connaît ? me glisse mon frère à l’oreille. En me voyant réprimer un fou rire, papa prend un air si menaçant que je préfère me lever : – Je peux sortir de table ? J’y vais de bonne heure demain. Tante Charlotte me couve d’un regard plein de bienveillance : – Ah ! Le sommeil ! La clé de la réussite ! – C’est sûr ! marmonne mon frère d’un ton moqueur en m’emboîtant le pas. D’ailleurs, moi, demain matin, je reste au lit ! Le chapelet de recommandations que les parents sont venus me réciter ce jeudi soir dans ma chambre a été interminable. J’ai dû m’assoupir avant la fin.
Vendredi matin, en tout cas, quand je me lève, ils sont bel et bien partis, leur chambre est vide, et je ne me rappelle quasiment plus rien. La tête dans le brouillard, j’entre dans la cuisine. Vêtue d’une robe de chambre à longs poils gris comme des poils de chien, tante Charlotte m’adresse un sourire jusqu’aux oreilles : – Tu as bien dormi, ma grande ? Pour une fois qu’on m’appelle « ma grande », je ne suis pas sûre que cela me fasse plaisir. – Euh… Qu’est-ce que vous faites ? – Tu peux me tutoyer, tu sais ! dit-elle d’un ton enjoué en saisissant une chose verte dans la montagne de choses vertes entassées sur la table. Tu vois, je nettoie des épinards que j’ai rapportés exprès pour vous de mon jardin. De vrais bons épinards de la campagne, pleins de fer et de vitamines. Je dois avoir l’air abruti, car elle ajoute, comme si elle parlait à un bébé : – Les épinards… Tu connais ? Ne me dis pas que tu n’en manges qu’en boîte… Je me garde bien de lui dire que je n’en mange ni en boîte, ni surgelés, ni jamais de la vie, vu que c’est l’un des aliments que je déteste le plus au monde. Je me contente de hocher la tête avec une moue molle et je scrute l’intérieur du frigo à la recherche d’un yaourt. Tante Charlotte me suit des yeux : – C’est ça, ton petit déjeuner ? Un yaourt ? Tu sais qu’il faut manger du pain le matin, ma grande. Les sucres lents alimentent le cerveau, tu as dû étudier ça en biologie ? Qu’est-ce que tu as comme cours aujourd’hui ? Je rêve ! Primo, de quoi se mêle-t-elle ? Secondo, est-ce que je suis censée connaître mon emploi du temps par cœur ? Ça ne fait que deux mois et demi qu’on est rentrés ! Du calme ! Mais la voilà debout, ses lunettes sur le nez et le nez sur le panneau d’affichage du couloir : – Que je suis bête ! Vos emplois du temps sont affichés ! C’est une très bonne idée, ça ! Une idée désastreuse, oui ! Qui va lui permettre de nous suivre à la trace, comme un général suit son armée sur une carte d’état-major. J’aurais dû me lever avant l’aube pour arracher ces maudits emplois du temps recopiés par maman ! Trop tard. – Mon Dieu, sursaute Tante Charlotte, ton frère a cours à 8 heures 30 ! Il est temps qu’il se réveille, lui aussi. Moi qui ai passé ma vie à sanctionner les élèves retardataires, il ne