Extrait du livre Heureux qui comme Ulysse ou le premier voyage
«Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage,
Ou comme celui-là qui conquit la toison,
Et puis est retourné, plein d’usage et raison,
Vivre entre ses parents le reste de son âge!
Quand reverrai-je, hélas, de mon petit village
Fumer la cheminée, et en quelle saison
Reverrai-je le clos de ma pauvre maison,
Qui m’est une province, et beaucoup davantage ?
Plus me plaît le séjour qu’ont bâti mes aïeux,
Que des palais romains le front audacieux,
Plus que le marbre dur me plaît l’ardoise fine,
Plus mon Loir gaulois, que le Tibre latin,
Plus mon petit Liré, que le mont Palatin,
Et plus que l’air marin la douceur angevine.»
Joachim du Bellay (1522-1560) Les Regrets
Avant-propos
Toi, cher lecteur, toi à qui je dédie ce livre, prépare-toi à partir dans un voyage fantastique... Il commence il y a plus de trois mille ans, sur les bords de la Méditerranée... Dans la Grèce continentale et dans les îles Cyclades, s’achèvent les « siècles obscurs ». C’est une sorte de Moyen-Âge antique, une époque très lointaine dont nous ne savons que peu de chose. À force de guerres mais aussi de catastrophes, les brillantes civilisations de Crète et de Mycène se sont effondrées. Depuis, les îles paraissent s’isoler les unes des autres. Les communautés se replient sur elles-mêmes et la population décro1t. L’écriture sombre dans l’oubli. On ne construit plus de grands palais. C’est pourtant de ces cendres que naîtront, plus tard, Athènes et les cités états.
En ces temps précurseurs pour la Grèce, d’autres peuples brillent déjà de tous leurs feux, tout autour de la mer Méditerranée: les Égyptiens bâtissent les pyramides, les Hébreux élèvent un temple légendaire et les Phéniciens naviguent et commercent dans l’ensemble du monde connu. Car, déjà, la Méditerranée est ce carrefour reliant l’Europe, l’Afrique et l’Orient. Grâce à elle, on échange, on se découvre.... Mais la Méditerranée reste aussi cette barrière, cet horizon fait d’inconnu au-delà duquel naissent toutes les légendes, toutes les croyances et toutes les peurs. Elle reste cette immensité peuplée de dieux enfantant d’incroyables créatures. Elle demeure un infini où se confondent si merveilleusement l’imaginaire et le réel. C’est ce monde que racontaient déjà Homère, Jason et les Argonautes et, plus tard, Sindbad le marin.
La Méditerranée le restera tout au long des trois mille ans qui suivirent, et c’est vers ce monde que nous partons maintenant...
Amis et compagnons, moi, le vieil Ulysse de l'île de Célinthe, je vais maintenant vous faire le récit de l’aventure que je vécus il y a fort longtemps, car ainsi que vous me voyez, sachez que j’ai voyagé plus loin qu’aucun autre ne l’a jamais fait. Entendez-moi et ainsi je vous apprendrai qu’il existe au loin, par-delà la mer et l’horizon, d’autres mondes et d’autres peuples. Je vous conterai ces royaumes que j’ai découverts, assurément bien plus grands et bien plus puissants que notre cité. Je vous dirai ces maints pays que j’ai explorés, ceux qui les habitent, et aussi, quels rois et quels dieux les gouvernent.
Sachez qu’au retour de mon voyage, bien peu parmi vos pères et vos mères m’ont écouté. Ceux qui le firent m'ont traité de fou et aucun ne m'a cru. Écoutez-moi, cependant, car assurément, je suis digne d’être entendu.
Vous comprendrez que seul est fou celui pour qui notre île serait la seule terre habitée en ce monde...
Cette aventure commença aux premiers temps de ma jeunesse. Je n’avais pas deux ans, et nous autres, chats de l’île de Célinthe, nous vivions déjà en harmonie avec les hommes. Nous peuplions cette colline boisée, en hauteur de notre port, et je passais mes journées à observer ces marins qui allaient et venaient au bord de cet espace infini qu’ils appellent la mer. Je les voyais naviguer près du rivage et rapporter tant de poissons que je m'en étonnais chaque jour.
Sous l’ombre des oliviers, je contemplais cette multitude de bateaux. Certains semblaient de minuscules pailles flottant sur l’eau. D’autres, plus grands, emportaient des marchandises vers des cités voisines. D’autres encore embarquaient des légions de soldats, vers je ne sais quelles guerres.
Jusqu’où allaient tous ces marins? Que découvraient-ils? Telles étaient les questions qui hantaient mon esprit. Je dois vous dire que mes frères s’étonnaient de ma curiosité. Pour eux, la seule chose qui importait était cette prodigieuse quantité de poissons que les pêcheurs ramenaient.
Grâce à eux, nous n’avions qu’à nous servir. Les pêcheurs et les marchands s’amusaient de notre petit ballet où chacun de nous trouvait vite son déjeuner. C’était une nourriture providentielle! Et après tant de festins, nous nous prélassions le restant de la journée, à l’ombre de quelques pins, sur une pierre bien fraîche. Nous ne pouvions être plus heureux ! C’est ainsi que, dès le début de mon existence, je sus ce qu’était le bonheur...
Pourtant, mille questions me taraudaient encore et toujours: jusqu’où voguaient ces marins ? Qui étaient leurs dieux de la mer et du vent? Les légendes qu’ils se racontaient étaient-elles vraies? Seul visiter l’un de leurs navires pouvait me le révéler...